Lucie Azema : “Pour les femmes, le foyer conjugal est bien plus dangereux que le voyage en solitaire”

Journaliste aventurière, Lucie Azema incite les femmes à explorer le monde dans un essai aux 1001 pistes de réflexion.

À 31 ans, Lucie Azema a déjà vécu au Liban, en Inde, en Iran, en Turquie. La France est son étape entre chaque pays d’adoption. La journaliste raconte sa vie d’aventurière dans les pages de Courrier international. Dans un livre passionnant, Les femmes aussi sont du voyage (1), elle offre une réflexion féministe sur le voyage et les femmes.

Madame Figaro. – Pourquoi avez-vous eu envie de prendre la plume ?
Lucie Azema.
-Au cours de mes voyages, je me suis trouvée dans des situations cocasses, où des hommes croient vous expliquer les difficultés du périple. Ce livre, c’est un peu celui que j’aurais voulu lire, les représentations d’aventurières sont si peu nombreuses… Je ne viens pas d’une famille de grands voyageurs mais, depuis que je suis petite, je dévore les récits d’aventures. J’ai commencé par Jules Verne, puis sur le tard j’ai découvert les textes moins connus des aventurières, comme ceux d’Alexandra David-Neel (première femme occidentale à atteindre Lhassa, en 1924, NDLR). J’ai senti qu’il y avait un truc, un champ sous-exploré dans les réflexions féministes.

Comment vous êtes-vous autorisée à vivre cette vie d’errance ?
Je me suis dit : «Si elles l’ont fait, alors c’est possible.» Elles m’ont enlevé tout le stress qu’on peut avoir sur l’instabilité inhérente à cette vie. En parallèle de mes voyages, mon engagement féministe se creusait. Dans ma famille, je suis la seule à m’être implantée ailleurs. Au début, il s’agissait juste de périples, puis c’est devenu un mode de vie. Je me suis rendu compte que c’est comme cela que je m’émancipe. On parle beaucoup des risques à voyager seule en tant que femme, alors que statistiquement le foyer conjugal est bien plus dangereux. On vous dit qu’un jour il faudra se calmer, que les voyageuses n’ont pas d’enfants. Je leur oppose que j’ai vu beaucoup de parcours possibles, et que les femmes font ce qu’elles veulent.

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Vous parlez du syndrome de Pénélope… De quoi s’agit-il ?
Pénélope, c’est celle qui attend au gynécée le marin qui a une femme dans chaque port. Ou celle qui est amenée en voyage. Elle montre combien l’aventure est une conception masculine et viriliste. Les systèmes de pensée patriarcaux ont enfermé les femmes dans la sédentarité et la passivité. Pourtant, elles ont toujours voyagé de force, oui (esclavage, mariage), mais aussi de gré, réussissant à dépasser de nombreux interdits moraux ou légaux. Dans l’histoire, beaucoup se sont travesties pour vivre des aventures en tant que pirates ou soldates. La botaniste Jeanne Barret, par exemple, a fait le tour du monde au XVIIIe siècle en se faisant passer pour un mousse.

« Les femmes aussi sont du voyage », de Lucie Azema, aux éditions Flammarion.

Vous mentionnez aussi le privilège de voyager en tant que femme blanche…
Historiquement, la littérature de voyage est souvent liée à celle de la colonisation. Je ne pouvais pas déconstruire le sexisme sans mentionner dans mes pages des voyageuses noires, qui partagent leurs tips sur les réseaux sociaux pour ne pas subir des contrôles douaniers invasifs, ou être soupçonnées d’être des travailleuses illégales. Avec un passeport français, c’est plus facile de vivre ma vie.

(1) Les femmes aussi sont du voyage, Lucie Azema, Éditions Flammarion, 286 p., 20 €.

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