Les femmes, nouvelles cibles du cancer du poumon

  • 34,6% des cas de cancer du poumon concernent des femmes
  • Une maladie de fumeuses avant tout
  • La pollution, un facteur de risque de plus en plus ciblé
  • D’autres facteurs nocifs pour le poumon
  • Pourquoi parle t-on si peu du cancer du poumon chez les femmes ?
  • Cancer du poumon féminin : des symptômes qui doivent alerter au plus tôt
  • Les axes de lutte contre cette pandémie

À 47 ans, Béatrice Swiecka a été diagnostiquée d’un cancer du poumon métastatique, qu’elle pensait avoir développé à cause d’un « choc émotionnel ». « Pour moi, il était impossible d’avoir cette maladie en étant aussi jeune, et en ayant fumé au maximum 200 cigarettes dans ma vie ». 

Soutenue par l’association de l’Air! – qui apporte une aide aux patient.e.s atteint.e.s d’un cancer du poumon – elle a récemment découvert que son cancer résultait d’une exposition aux particules fines. « J’ai entendu plusieurs fois que c’était de ma faute, parce que j’avais déjà fumé. Alors qu’en fait, c’est la pollution ». 

« En terme d’incidence, le cancer du poumon est en train de rattraper le cancer du sein. Il est plus meurtrier », alerte la professeure Marie Wislez, pneumo-cancérologue à l’Hôpital Cochin (Paris), et co-initiatrice de l’étude pilote Dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose chez les femmes (Cascade).

34,6% des cas de cancer du poumon concernent des femmes

En 2000, les femmes ne représentaient que 16% des patients souffrant d’un cancer du poumon. Deux décennies plus tard, le chiffre a doublé. D’après l’étude KBP-2020, présentée en janvier 2022 lors du 26e congrès de pneumologie de langue française, on culmine aujourd’hui autour des 34,6%.

« Chez les hommes, le nombre de cas de cancer du poumon plafonne, voire commence à baisser. Mais chez les femmes, la proportion de malades a nettement augmenté« , s’inquiète le Dr Didier Debieuvre, chef du service de pneumologie au groupe hospitalier de la région de Mulhouse et Sud-Alsace.

Attaquant les cellules des bronches, le cancer du poumon est le plus meurtrier en France, d’après Cancer Environnement. Chez les femmes, les pneumologues n’ont pas peur des mots, et parlent véritablement d’une « pandémie du cancer bronchique ». Un phénomène « tristement prévisible », déplore le pneumologue.

Une maladie de fumeuses avant tout

D’après Marie Wislez, cette augmentation est d’abord le fait d’un changement de mode de vie des femmes pour se rapprocher de celui de leurs homologues masculins. « Contrairement aux hommes qui ont commencé à fumer pour imiter les Américains dans les années 50, les femmes ont commencé la cigarette vers les années 70-80. L’explosion des cas est donc plus tardive pour les femmes », détaille la professeure.  

La courbe de progression des cas de cancer du poumon chez les femmes peut en effet se superposer à une autre : celle de l’augmentation du nombre de fumeuses en France. Dans plus de 85% des cas, les femmes développant un cancer du poumon sont fumeuses ou l’ont été. « Ça reste une maladie de fumeur », tranche le Dr Didier Debieuvre. 

Une pratique historiquement plus récente chez les femmes, qui commencent aussi de plus en plus tôt, si l’on en croit les chiffres de l’étude KBP : sur 100 personnes de moins de 50 ans diagnostiquées, 41% étaient des femmes. « Le tabagisme commence de plus en plus tôt chez les femmes, et est de plus en plus intense. Et plus on commence à fumer tôt, plus le facteur de risque est important », explique la Pre Marie Wislez. 

La pollution, un facteur de risque de plus en plus ciblé

Les facteurs environnementaux prennent une place de plus en plus importante dans les cas de cancer bronchique féminin. Depuis 2013, les particules fines sont considérées comme oncogènes – c’est-à-dire qu’elles favorisent le cancer – par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). « La pollution atmosphérique a sûrement un impact sous-estimé« , conjecture la Pre Wislez.

Et les études ne manquent pas de le prouver. En 2020 déjà, des recherches publiées dans l’ACS Journals imputaient aux particules fines 4% de l’ensemble des nouveaux cas de cancer du poumon diagnostiqués en 2015. Puis, rendue publique le 4 septembre 2022, lors du Congrès international de l’European Respiratory Society, une autre étude mettait en évidence l’impact grave de l’exposition au gaz d’échappement pour la santé des femmes par rapport à celle des hommes. 

Et dernièrement, lors du Congrès ESMO 2022 ayant eu lieu du 9 au 13 septembre 2022, une étude inédite – à laquelle Béatrice Swiecka a participé – montrait justement de quelle façon les particules fines pouvaient déclencher le cancer du poumon chez les non-fumeurs.

Selon les termes des scientifiques du Francis Crick Institute et de l’University College London, les particules fines auraient la capacité de modifier la biologie des mutations des gènes EGFR et/ou KRAS, les faisant agir comme des cellules cancéreuses. En plus de modifier dangereusement la biologie des gènes, la pollution extérieure issue des gaz d’échappement des véhicules et la fumée des combustibles fossiles aurait aussi un effet inflammatoire.

Depuis qu’elle sait cela, Béatrice Swiecka évite les fumées autant qu’elle le peut. « Il faut absolument tirer des leçons de la pandémie. Depuis que je connais mon diagnostic, je ne sors plus me balader dans Paris sans mon masque. Ça ne sert à rien d’exciter le cancer davantage ». 

D’autres facteurs nocifs pour le poumon

Les médecins n’excluent pas d’autres facteurs, qui représentent quand même 12,6% des cas en 2020, contre 7,2% en 2000, rapporte l’étude KPB. L’impact nocif du tabagisme passif, mais aussi du cannabis sont en cours d’exploration. »Chez les moins de 50 ans, 28,3% des usagers de cannabis ont un cancer du poumon », affirme le Dr Debieuvre.

Largement associé au tabac pour la majorité des consommatrices, le cannabis aurait même la particularité de « trouer » le poumon, et d’en faire un « lit pour le cancer ». Pour le Dr Debieuvre, « les luttes contre le tabac ne doivent pas exclure le cannabis ».

D’autres explications peuvent aussi justifier cette augmentation des malades non-fumeuses. Le fait que les femmes aient changé leur mode de vie depuis 20 ans, cela les auraient rendu plus vulnérables face aux expositions professionnelles délétères telles que l’amiante, responsable de 10 à 15% des cancers du poumon, d’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses). 

« On peut aussi parler du radon, ce gaz radioactif cancérigène qu’on trouve dans les régions granitiques comme la Bretagne, les Vosges ou le Massif Central », souligne le Dr pneumologue. Il serait la 2ème cause de cancer du poumon en France selon le CIRC.

Pourquoi parle t-on si peu du cancer du poumon chez les femmes ?

Johnny Hallyday, Jean-Pierre Pernaut, Jacques Brel … Malgré une augmentation flagrante des cas chez les femmes, l’opinion associe toujours le cancer bronchique à un cancer masculin. « La médiatisation de cette pathologie nous fait croire que le cancer du poumon est l’apanage de l’homme. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cancer de l’ouvrier ou du col bleu : c’est le cancer de Monsieur et Madame Tout-le-monde, de n’importe quelle personne ayant des poumons« , martèle le médecin.

L’invisibilisation du cancer bronchique féminin semble résulter d’un tabou. « Comme on l’a toujours prise pour une maladie d’homme fumeur, c’est très culpabilisant pour une femme d’assumer un cancer du poumon », théorise le Dr Debieuvre. « Il y en a beaucoup qui viennent tardivement consulter, avec la honte et beaucoup de difficulté à l’admettre. Surtout quand elles n’ont jamais fumé », précise ce dernier. Et dans le cas du cancer du poumon, le tabou est plus que pernicieux.

Cancer du poumon féminin : des symptômes qui doivent alerter au plus tôt

Car le cancer bronchique a la particularité d’être un pathologie plutôt lente dans son évolution, mais aussi silencieuse pendant très longtemps. « Il est meurtrier parce qu’il y a peu de symptômes lorsqu’il est petit, et donc on ne le soupçonne pas », explique la Pre Marie Wislez. « Les fumeuses ont souvent une bronchite chronique qu’elles associent au tabac, et donc ça ne les alerte pas. Mais lorsqu’il y a du sang dans les crachats, une aggravation de l’essoufflement ou des douleurs thoraciques, cela doit absolument mériter une exploration« , met en garde la professeure. 

D’où l’intérêt pour les fumeuses de se faire dépister au plus tôt. « La détection précoce du petit cancer pourra permettre de le traiter localement par une chirurgie. Quand il est tardif, c’est là où le cancer peut se disséminer », détaille le Dr Debieuvre. Une étude du 17 décembre 2021 publiée dans la revue JAMA Network Open abonde dans ce sens : d’après les recherches, le dépistage précoce pourrait faire gagner près de 5 ans d’espérance de vie. 

Les axes de lutte contre cette pandémie

Reste toutefois un obstacle non négligeable à cette issue : le dépistage du cancer du poumon n’est pas remboursé par l’Assurance maladie. Avec le lancement le 8 mars 2022 de l’étude Cascade, médecins et scientifiques souhaitent faire bouger les choses. 2 400 femmes de 50 à 74 ans ayant fumé au moins 20 ans et sevrées depuis moins de 15 ans vont être dépistées par scanner.

« Pousser les femmes à participer aux recherches aura un triple impact : se sauver, déculpabiliser sur le cancer bronchique féminin, mais aussi contraindre la Haute autorité de santé à reconsidérer le remboursement du dépistage », explique la Pre Marie Wislez. En août 2022, la HAS en France a émis un avis favorable quant à la réalisation d’études pilotes sur le dépistage du cancer du poumon, pour obtenir les données manquantes avant de passer à un dépistage organisé.

Lors de la conférence mondiale de l’Association internationale pour l’étude du cancer du poumon, qui s’est tenue du 9 au 10 août 2022 à Singapour, une équipe de chercheurs du Henan Cancer Hospital (Chine) a présenté son nouveau système de prédiction du risque. À destination des non-fumeuses, ce dispositif vise à prédire le cancer sur un, trois et cinq ans, en fonction des facteurs de risques. Ce modèle mathématique innovant doit encore être validé par la communauté scientifique, mais s’il se révèle pertinent, une avancée dans le dépistage précoce du cancer du poumon serait marquée. 

Si l’on cherche encore à expliquer clairement pourquoi le nombre de non-fumeurs malades augmente, les deux médecins vont de concert : la lutte contre le tabac ne doit pas fléchir pour autant. « Oui, il faut continuer les campagnes, rendre gratuits les substituts nicotiniques, augmenter le prix du tabac … Mais il est aussi très important de déculpabiliser les fumeurs et les victimes du cancer du poumon. C’est un combat qui doit commencer à l’école », tempère le Dr Debieuvre.

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