« Les dernières heures de Mario Biondo », vrai-faux « true crime » de Netflix

  • La mini-série documentaire, en trois épisodes, Les dernières heures de Mario Biondo a été mise en ligne sur Netflix le 3 août.
  • La police et la justice a conclu que le décès de Mario Biondo, en juillet 2013, était un suicide. Cependant, la famille du jeune homme s’obstine à soutenir la thèse de l’homicide, en portant notamment ses accusations vers l’animatrice Raquel Sánchez Silva, épouse de Mario.
  • Les dernières heures de Mario Biondo est à rebours des « true crime » qui contribuent au succès de la plateforme : il est bien moins question d’enquêter sur un mystère que de mettre en lumière le deuil impossible et le déni de la famille Biondo. Et aussi de restaurer la réputation de Raquel Sánchez Silva.

Le catalogue de Netflix est bien pourvu dans la rubrique true crimes, c’est-à-dire celles de documentaires dédiés aux faits divers. Making a Murderer, Les Meurtrers d’Alcàsser, Grégory (sur l’affaire Villemin), Emanuela Orlandi, la disparue du Vatican – dont le dossier vient de connaître un énième rebondissement – figurent parmi les plus mémorables. Une mini-série documentaire, Les dernières heures de Mario Biondo réalisé par María Pulido, a rejoint cette liste des plus recommandables le 3 août. Elle est, depuis sa mise en ligne, le contenu le plus visionné sur la plateforme en Italie, et le deuxième le plus populaire en Espagne. En revanche, elle est sortie dans une quasi-indifférence en France. 

Elle mérite pourtant qu’on s’y arrête, car les trois épisodes se démarquent nettement de la construction habituelle des productions Netflix en matière d’enquêtes criminelles. Il est ici bien moins question de revenir sur les éventuelles failles des investigations ou d’élucider un mystère que d’évoquer les conséquences de l’impossibilité d’un deuil. Explications.

Il était une fois un couple people…

Mario Biondo est Italien. Raquel Sánchez Silva est Espagnole. En 2011, il est caméraman sur le tournage de Supervivientes : Perdidos en Honduras, l’équivalent espagnol de Koh-Lanta dont elle est l’animatrice vedette. Ils tombent amoureux, se marient en 2012, et s’installent sous le même toit à Madrid (Espagne). Le 30 mai 2013, Mario est retrouvé par la femme de ménage, pendu à une étagère. Il avait 30 ans. La veille au soir, Raquel était partie à Plasence, à quelque 250 km de la capitale espagnole, pour aider son oncle censé être hospitalisé le lendemain. Le documentaire reconstitue les dernières heures de Biondo en s’appuyant sur les rapports de police ainsi que sur ses relevés bancaires et téléphoniques. Il serait ainsi sorti en pleine nuit, aurait retiré de l’argent, se serait rendu dans un bar, où il a réglé plusieurs consommations, puis a regagné son domicile où il a été aperçu par la dernière fois sur le palier par sa voisine. Le médecin légiste a conclu à un suicide. Les enquêteurs ont entre autres envisagé la piste de l’asphyxie autoérotique. C’est le début d’un psychodrame qui, depuis, n’a cessé d’alimenter les rubriques people et faits divers en Espagne et en Italie.

Une famille inconsolable

Les parents, la sœur et le frère de Mario Biondo refusent d’accepter les conclusions de la police et de la justice. Tous quatre témoignent dans cette mini-série documentaire. Pour eux, il est impensable que le jeune homme ait pu consommer de la cocaïne ou se risquer à pratiquer l’asphyxie autoérotique. En revanche, ils ont de forts soupçons envers Raquel Sánchez Silva. Ils ne cachent pas l’antipathie qu’elle leur inspire, la décrivent comme une femme froide, qui ne souhaitait pas se mêler à eux. Pour eux, l’animatrice, de sept ans l’aînée de Mario, a quelque chose à voir dans la mort de leur proche. Les époux ne s’étaient-ils pas disputés le 29 mai au sujet de l’enfant qu’ils n’arrivaient pas à concevoir ? Et puis, peu après l’enterrement, la veuve a maintenu le voyage au soleil que les tourtereaux avaient prévu de longue date. Autre grief retenu contre elle : le fait d’avoir posté sur ses réseaux sociaux des photos d’elle sur la plage, ce qui n’est pas, estiment certains, une attitude digne d’une femme en deuil.

Si différentes pistes sont évoquées (dont celle de l’éventuelle présence de deux personnes dans l’appartement au moment de la mort de Mario Biondo), leur plausibilité est rapidement balayée. La narration a beau jouer le suspense, elle se déploie sur un autre tableau que celui du mystère. Chaque rebondissement, autrement dit, chaque nouvelle hypothèse présentée par la famille, est mis à mal dans la foulée. Ce qui saute aux yeux, c’est le déni des Biondo. Eplorés, ils refusent de voir la réalité en face, à commencer par la mère, Santina d’Alessandro. Trois autopsies ont été pratiquées sur le corps de Mario, en Espagne et en Italie, en l’espace de dix ans, et toutes ont conclu à un suicide. « Nier la réalité est une chose. Chercher un coupable en est une autre. C’est bien différent. Tant qu’on cherche un coupable, on se sent vivant. On n’est pas seul dans sa chambre, dans le noir, à souffrir », analyse la journaliste transalpine Selvaggia Lucarelli, l’une des témoins de la mini-série.

Une obsession autour de Raquel Sánchez Silva

Les dernières heures de Mario Biondo se révèle donc être le récit d’une obsession : celle consistant à tout faire pour que Raquel Sánchez Silva soit déclarée coupable, en passant par des recours légaux ou par le harcèlement en ligne. Pendant dix ans, les Biondo sont invités dans des émissions à forte audience en Espagne et en Italie. Ils y racontent leur combat afin de faire éclater « leur vérité » et commentent le dernier pseudo-rebondissement en date.

Nombre de journalistes, animateurs et animatrices se retrouvent acteurs de ce thriller mélodramatique joué en direct, où les larmes coulent et où le désarroi se crie. Une séquence d’archives montre ainsi Maria Venier, présentatrice très populaire en Italie, pleine de commisération à l’égard des parents Biondo, comme le serait une amie de la famille. Ces stars du petit écran « disent que ce n’est pas le moment de souffrir mais de [se] battre et tout ça vous éloigne de la réalité », commente Selvaggia Lucarelli.

La polémique est relancée

In fine, l’objectif des trois épisodes est de réhabiliter l’honneur et la réputation de Raquel Sánchez Silva. Or, si l’animatrice espagnole espérait que Les dernières heures de Mario Biondo lui permette de tourner la page, rien n’est moins sûr. Celle qui a depuis refait sa vie en épousant, en 2015, Matías Dumont (avec lequel elle a eu deux fils), a refusé de s’exprimer devant la caméra de María Pulido.

En revanche, son ancien manager, Guillermo Gomez, raconte à sa place les difficiles épreuves par lesquelles elle est passée et insiste sur le traitement injuste qu’elle a subi. Guillermo Gomez est par ailleurs, comme le souligne El Mundo, l’un des deux hommes à la tête de PAR Produccionnes, la société qui a produit Les dernières heures de Mario Biondo. La famille du défunt affirme n’avoir appris cela qu’après le tournage des interviews. « L’entretien a duré six heures et ils ont tout coupé et monté à leur sauce. Même chose avec les autres intervenant qui témoignaient en faveur de la thèse de l’homicide », a déclaré Santina d’Alessandro au site DonnaClick.it. Dans la lignée des propos qu’elle tient depuis une décennie, elle dit avoir « été dupée », que tout n’est que « mensonge » et « invention ».

Dans le même temps, des internautes réagissent sur X (ex-Twitter) en remettant une pièce dans le juke-box de la théorie du complot. La série documentaire rappelle pourtant les chiffres éloquents de cette affaire : malgré les « 16 juges espagnols, deux juges italiens, cinq procureurs, 13 experts, deux exhumations et trois autopsies » impliqués dans l’affaire, le fait qu’il s’agisse d’un suicide n’a jamais été remis en cause.

Il aurait par ailleurs été possible de se passer d’un malheureux timing – qui n’a pas pu échapper à la plateforme : Netflix a mis en ligne début juillet Falso Amor (rebaptisée L’Amour Fake en France), une téléréalité dans laquelle des couples mettent leur amour à l’épreuve de l’intelligence artificielle et des deepfakes. Qui présente ce programme ? Raquel Sánchez Silva.

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