Les défis en ligne peuvent-ils nous aider à nous remettre à la lecture ?

  • La 6e édition des Nuits de la lecture a lieu de ce jeudi 20 au dimanche 23 janvier 2022, dans toute la France sous l’égide du ministère de la Culture. 
  • Depuis quelques années, des défis de lecture sont organisés en ligne pour aider à se mettre, ou se remettre à lire des romans. 
  • Des booktubeuses et bookstagrammeuses, organisatrices de ce type de défis, expliquent en quoi ils permettent de motiver la lecture.

« Aimons toujours ! Aimons encore ! » Ces mots de Victor Hugo servent de thème à la 6e édition des Nuits de la lecture. Depuis 2017, cette manifestation organisée par le ministère de la Culture donne lieu à de nombreux évènements, dans toute la France, pour « célébrer le plaisir de lire ». Avec cette année l’amour comme thème, pour encourager l’amour de la lecture.

Dans le baromètre 2021 « Les Français et la lecture » réalisé par l’institut Ipsos pour le Centre national du livre (CNL), 30 % des répondants affirment avoir le sentiment d’avoir moins lu en 2020. Il leur est également demandé quels sont les premiers leviers de lecture : « avoir plus de temps » est en première position, cité par 69 % des répondants, suivi « des discussions avec vos proches » (53 %) et « voir ou entendre une personnalité que vous aimez parler de ses lectures » (40 %). Les réseaux sociaux sont aussi perçus comme un levier de lecture.

Depuis quelques années, les défis de lecture y fleurissent souvent organisés par des booktubeuses ou des bookstagrammeuses, des vidéastes et influenceuses partageant leurs lectures en ligne. Le but est souvent de « [reprendre] enfin le temps de lire pour [se] faire plaisir ».

Automne et féminisme

Booktube, bookstagram, et désormais booktok [les TikTok dédiés aux livres, NDLR] : des communautés très actives s’organisent autour de l’amour de la lecture sur les réseaux sociaux. Comme celle de Guimause, qui partage ses lectures sur la chaîne YouTube Le terrier de Guimause, suivie par 14.700 personnes, et sur Instagram. En 2017, elle a lancé le « Pumpkin Autumn Challenge ». « J’avais préparé une pile de livre à lire à l’automne, que j’avais classé par « thématiques ». J’ai proposé à ma communauté un petit challenge pour se donner envie de lire toutes et tous ensemble. » Le « PAC » est désormais un rendez-vous attendu au sein des communautés de lectrices et lecteurs. Le hashtag dédié compte
26.922 publications sur Instagram.

Comme Guimause, Ninon, alias Opalyne, discute de ses lectures sur YouTube, elle est suivie par 12.900 personnes, et sur les réseaux sociaux. En 2019, elle a organisé un « FeminiBooks Challenge », dérivé d’une
initiative du même nom « visant à mettre en avant le féminisme dans la littérature » sur YouTube. « Je voulais une activité participative, où je ne serais pas seule avec mon expérience de lecture. »

« Ce que j’aime avec les défis, c’est le partage de savoir, d’idées de lecture – sur un blog, dans une vidéo, en commentaire, au sein d’un groupe privé, raconte Ninon. Cela permet de s’ouvrir à des livres qu’on n’aurait pas choisis seule, quel que soit le thème du défi. »

Menus et catégories

C’est avec l’idée de pousser sa communauté à « lire plus d’autrices et auteurs issus de communautés marginalisées » que Delphine Nguyen, directrice de la collection Young Novel aux éditions Akata, a organisé sur son blog personnel en 2020 puis en 2021 le « Nouvel an lunaire readathon ». « Je voulais inciter les lecteurs et lectrices à lire plus de romans écrits par des personnes asiatiques, explique-t-elle. Pour la première édition, j’avais posté une liste de recommandation, j’y montrais que l’Asie ne se limite pas à la Chine, la Corée ou le Japon. L’idée est que les gens continuent à lire des auteurs et autrices asiatiques une fois le défi terminé. »

Ces défis de lecture s’organisent souvent autour de « menus » avec des thèmes ou catégories à remplir. Ainsi, pour le Pumpkin Autumn Challenge, Guimause proposait en 2021 quatre « menus » aux noms évocateurs (« automne frissonant », « automne douceur », « automne enchanteur » et « automne mystère »), divisés en sous-catégories aux noms inspirés par le folklore automnal.

Dans le cas du FeminiBooks Challenge, le but était de lire un livre correspondant à une catégorie mensuelle, comme « le premier roman d’une autrice » en février ou « le parcours d’une femme qui a marqué l’histoire » en septembre. S’y ajoutaient 12 catégories bonus. « Avec le défi, je cherche un livre qui rentre dans la thématique, ce qui me pousse à m’intéresser à autre chose que le dernier livre acheté », constate Ninon.

Outil ludique

Delphine Nguyen a également organisé son readathon [marathon de lecture, N.D.L.R.] du Nouvel an lunaire en catégories, avec des défis comme « un livre qui a du rouge et/ou du jaune/doré sur la couverture ». « Pour la deuxième édition, j’ai créé une grille de bingo avec les défis. Quand on en validait un, on pouvait ajouter la couverture dans la grille et essayer de la remplir. Je trouve l’aspect ludique encourageant ! »

La dimension collective aide à lire plus, favorisant l’échange. Avec toujours un risque, facilement amplifié sur Internet : celui de la comparaison aux autres. Il n’est pas rare de se fixer un objectif trop ambitieux et de culpabiliser de ne s’y être pas tenu. Il est parfois décourageant de voir que pendant qu’on met deux mois à achever avec effort la lecture d’un livre de 150 pages, les autres participantes empilent les pavés de plus de 500 pages les uns après les autres.

Sur ce point, les organisatrices de défi se veulent rassurantes. « Je pars du principe que chacun.e a sa vie, ses obligations, son rythme, ainsi que tout un panel de passions s’ajoutant à celle de la lecture. Il faut être indulgent avec soi-même », rappelle Guimause. Pour Ninon, « les défis sont surtout un prétexte. Je participe au week-end à 1000, qui vise à lire 1.000 pages en un week-end. Souvent je rate le défi, mais ce qui m’intéresse, c’est d’avoir pris du temps pour lire. » Quant à Delphine Nguyen, elle estime que « le défi de lecture est un outil plus qu’une compétition », avance-t-elle.

Les participants qui sentent la déception, voire le stress, monter en constatant qu’elles ne parviendront pas à tenir leur objectif peuvent chosir d’établir une liste ouverte de livres plutôt qu’un nombre précis. On peut aussi organiser son défi en « menu », pour lequel n’importe quel ouvrage, même illustré, peut-être utilisé pour valider le défi.

Choisir la facilité

Savoir accepter que les BD, comic books et romans graphiques sont des lectures aussi valables qu’un roman ou un essai, n’est pas toujours aisé. « On va dire à quelqu’un qui ne lit que du manga que ce n’est pas un lecteur, s’indigne Ninon. Mais c’est faux ! » Mais l’a priori reste bien établi. A en croire le baromètre « Les Français et la lecture », 81 % des personnes interrogées estiment spontanément être des lecteurs. Ce chiffre monte à 87 % quand on leur précise les genres littéraires compris par l’étude – dont les bandes dessinées, les livres pour enfants ou des livres pratiques.

Selon ce même baromètre, l’un des « leviers de lecture » identifiés par les répondants est « une lecture plus facile ».

Pour se remettre à lire, « il fut un temps où je me forçais, mais ce n’est pas génial, avertit Delphine Nguyen. Aujourd’hui, je garde l’envie de lire avec d’autres formats, éloignés de ceux sur lesquels je travaille [des romans, N.D.L.R.], comme les webcomics ou les mangas. » Pour « relancer une dynamique », Ninon se tourne vers une « lecture doudou », soit un récit d’horreur ou un thriller. « Je pense qu’il faut laisser du temps vacant pour d’autres activités, répond Guimause. Il n’y a rien de problématique à feuilleter plusieurs bouquins, en commencer certains, puis les laisser de côté jusqu’à trouver celui qui nous tiendra en haleine. »

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