Le Syndrome d’aliénation parentale, la pseudo-théorie qui protège les pères violents
- La parole des enfants rendue inaudible
- Inversion des responsabilités
- Des mères gravement traumatisées
- Une idée qui infuse dans la justice française
- L’espoir d’une meilleure protection juridique des enfants
Brandi lors des conflits intra-familiaux, le Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP) se fraye un chemin dans les esprits des magistrats et des législateurs français. Ces trois mots semblent tout droit sortis d’un dictionnaire médical, pourtant, aucune autorité scientifique n’a jamais validé ce terme inventé en 1985 par Richard Gardner, un psychiatre américain et professeur de pédopsychiatrie à l’université de Columbia, aux travaux misogynes et complaisants avec la pédocriminalité.
Ce dernier avançait que la grande majorité des enfants qui accusaient leur père d’inceste auraient subi un lavage de cerveau de la part de leur mère. E d’estimer alors que celles-ci entretiennent un lien pathologiquement fusionnel avec leurs enfants.
« L’enfant l’exprime initialement par une campagne de dénigrement à l’encontre d’un parent, cette campagne ne reposant sur aucune justification. Le SAP résulte de la combinaison de la programmation du parent endoctrinant (lavage de cerveau) et de la propre contribution de l’enfant à la diffamation du parent cible », écrivait le psychiatre. Si dans sa théorie, les deux parents peuvent « endoctriner » leurs enfants, dans la réalité, ce sont quasiment toujours les mères qui sont accusées.
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La parole des enfants rendue inaudible
Dans son livre Les pères en danger ? (éd. de la Maison des sciences de l’homme), le sociologue Edouard Leport critique le « trouble » décrit par Richard Gardner, « à partir de pseudo-constats dont il ne donne jamais de preuves empiriques ». Selon l’auteur, qui s’est penché sur le mouvement des droits des pères, friand de cet outil pour contester la garde des enfants par les mères, le pédopsychiatre « affirme ainsi que 90 % des enfants dont les parents se disputent la résidence souffrent du syndrome d’aliénation parentale ; que la majorité des allégations de violences sexuelles sur enfant faites dans le cadre de conflits sur la garde des enfants sont fausses ; que 90 % des fausses allégations sont le fait des mères. »
Dans son ouvrage, Edouard Leport décrit les limites du discours de Gardner, dont les propos sont particulièrement choquants : « Il considère que les ‘paraphilies’ (les comportements sexuels prédateurs) des êtres humains sont des mécanismes naturels d’adaptation qui favorisent la procréation et assurent donc la survie de l’espèce humaine. Il avance également que les femmes seraient disposées à être traitées violemment, voire violées par des hommes, car ce serait le prix à payer pour ‘recevoir du sperme’ et donc participer à la procréation. »
Malgré les remises en question récentes de cette pseudo-idéologie par des chercheurs, les accusations d’aliénation parentale sont de plus en plus prises au sérieux par la justice française. Il suffit qu’un enfant invoque des violences paternelles pour que les avocats des pères brandissent ce diagnostic infamant.
Aux États-Unis, c’est une notion qui est déjà démocratisée dans les tribunaux. La juriste américaine Jennifer Hoult a pourtant démontré l’inexistence pure et simple de quelconques vagues de fausses accusations contre des pères.
Le sociologue Edouard Leport note que Richard Gardner a développé sa théorie dans les États-Unis des années 80, alors que de nombreux scandales de violences sexuelles sur des enfants ont éclaté dans les médias. « La théorie de Gardner permettait de préserver l’impunité des hommes auteurs de ces violences sexuelles sur leurs enfants en accusant les mères d’avoir manipulé ces derniers pour les faire mentir », écrit-il.
Inversion des responsabilités
Stratégie judiciaire à la mode, le SAP s’érige comme le bouclier de défense des pères incestueux et/ou violents. Exemple donné par Lya Auslander, docteure en psychologie. Elle présente à Marie Claire le cas d’une mère de 52 ans victime de violences conjugales graves, sous les yeux de sa fille mineure, qui ont causé à la mère un handicap psychotraumatique évalué à 79% par la Maison Départementale des Personnes Handicapées.
Elle raconte comment des professionnelles du soin et de la protection de l’enfance l’ont faite passer de victime de violences conjugales à mère suspecte. « Dans le centre médico-psychologique où sa petite était soignée, le père se présentait comme victime d’une femme vengeresse. » Alors, lorsque l’enfant a voulu changer de lieu, le père s’y est opposé, soutenu par les professionnelles.
« Elles étaient incapables d’entendre l’enfant et de reconnaître le contrôle du père sur elle jusque dans ce lieu de soins. Elles sont allées jusqu’à demander à la mère ‘Voulez-vous que votre fille pense que son père est violent ?' », raconte Lya Auslander.
Finalement, conclut la docteure en psychologie, « le juge aux affaires familiales a protégé la petite et reconnu les violences conjugales dont elle était co-victime, battant en brèche les allégations de l’ex-conjoint selon lesquelles la mère ‘inventait les violences’ pour ‘écarter le père de l’enfant' ».
Elle résume ainsi : « Les allégations d’aliénation parentale s’inscrivent dans un système de contrôle coercitif, qui fait prévaloir les droits du parent violent sur les droits de l’enfant et qui attaque la capacité du parent protecteur et des professionnels à protéger l’enfant. Dans ce cas précis, les personnes du bien-être de la petite ont inversé les responsabilités, écrivant noir sur blanc que la mère était ‘incapable de laisser toute sa place au père' ».
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Des mères gravement traumatisées
La romancière et psychanalyste Caroline Bréhat a fait du SAP l’un des thèmes principaux de ses livres comme Mauvais Père ou Les Mal Aimées. “Les femmes que je reçois dans mon cabinet ont généralement lu mes livres et s’identifient aux personnages féminins de mes récits. Des femmes aux prises avec des violences intrafamiliales, notamment le Syndrome d’aliénation parentale, qui est une forme particulière d’emprise,” analyse-t-elle.
Elle dénonce le « mur » judiciaire auquel sont heurtées ses patientes, lorsque celles-ci ont recueilli la parole de leur enfant et ont entamé des procédures judiciaires. “Elles arrivent dans un état de grande confusion (…) et sont surprises par des professionnels souvent plus formatés à débusquer une supposée aliénation maternelle qu’à protéger les enfants de la violence paternelle”, estime l’auteure.
Cette situation a des répercussions graves, notamment sur leur santé mentale : “Toutes souffrent de stress post-traumatiques multiples en lien avec l’emprise perverse qu’elles ont subie de la part de leur ex. À cause, entre autres, des révélations de leurs enfants, de la crainte de ne pas parvenir à le protéger, et des suspicions de manipulation que la justice fait peser sur elles.”
La psychanalyste regrette les clichés qui entourent ces situations dramatiques. Alors que l’ex violent possède, pour sa part, une personnalité séductrice quasi-magnétique, la mère, elle, est considérée comme aliénante, maléfique, une sorte de “sorcière des temps modernes”, décrit Caroline Bréhat.
Toutes les mères qu’elle rencontre, dit-elle, souffrent d’un manque de confiance en elles et d’une difficulté originelle à entendre leurs besoins et désirs propres. Caroline Bréhat doit alors mener “un gros travail d’élaboration”, avec comme première étape, “exhumer la colère profondément enfouie en elles ». C’est le sens de ses ouvrages qui se veulent avant tout thérapeutiques.
Une idée qui infuse dans la justice française
Depuis 2021, Hanna Dam Stokholm, résidente française d’origine danoise, est à la tête de #Wetoo Stop Child Abuse. Une association fondée sur un partenariat civil novateur entre multinationales, célébrités, experts et acteurs de la protection de l’enfance, afin de protéger les enfants contre toutes les formes de violence (physiques, sexuelles, et les négligences).
« Moins de 1% des agresseurs sont condamnés pour leurs actes pédocriminels et seulement 8 à 10% des victimes d’agressions sexuelles ont obtenu une protection en 2021. Cela signifie que près de 147 000 enfants ne sont pas protégés chaque année”, alerte la présidente.
Selon elle, l’argument du SAP joue un rôle moteur, compte tenu de son usage juridique. À tel point que “récemment, des alertes ont été lancées en Europe et aux États-Unis, et que le Parlement Européen vient de recommander aux états membres de cesser de l’utiliser”.
“L’Espagne et l’Italie ont déjà agi de manière responsable et ont officiellement banni son usage. La plus haute Cour italienne qualifie même le syndrome d’aliénation parentale de ‘théorie nazie non scientifique’. Les premiers résultats positifs de ces pays sont déjà visibles, l’Espagne fait état d’une amélioration importante de la protection des enfants”, note la militante.
Mais alors, pourquoi la France tarde-t-elle à franchir le pas ? Selon le sociologue Edouard Leport, la notion de syndrome d’aliénation parentale s’est « diffusée progressivement dans l’appareil judiciaire et a connu une réception sans méfiance, voire enthousiaste de la part de certain.es magistrat.es ».
Entre 2017 et 2019, une proposition du ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, dont Laurence Rossignol était à la tête, incluse dans le cinquième plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes, prévoyait d’interdire l’utilisation du concept dans les tribunaux français. Mais cette mesure n’a jamais été appliquée. Seule une note d’information a été mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice « pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu » du SAP, souligne le chercheur.
L’espoir d’une meilleure protection juridique des enfants
Ainsi, le combat est toujours d’actualité pour Hanna Dam Stokholm : “Nous lançons une pétition internationale avec nos ONG partenaires aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Scandinavie, afin d’obtenir son interdiction dans ces régions également. Cette question sera notamment débattue, de même que le sous-financement auquel tous les professionnels sont confrontés, lors d’une réunion de crise qui se tiendra à l’Assemblée Nationale à l’automne 2022. Les acteurs clés de la protection de l’enfance partageront leurs expériences pour améliorer la coordination et discuter des domaines de la protection de l’enfance.”
Malgré les frondes des partisans de la théorie du syndrome d’aliénation parentale, la militante est « optimiste pour l’avenir ». Elle l’assure, « il y a un réel engagement à tous les niveaux de la protection de l’enfance pour améliorer la situation ».
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