Le producteur américain juge « Drag Race France » « incroyable »

  • La saison 2 de « Drag Race France » s’est achevée vendredi sur France 2 avec la victoire de Keiona.
  • «  J’avais été vraiment impressionné par la première saison, mais là, c’était encore un cran au-dessus et c’était incroyable », juge Fenton Bailey, producteur exécutif, qui veille, en tant que patron de la société de production américaine World of Wonder, à ce que le cahier des charges de la franchise « Drag Race » soit respecté.
  • Fenton Bailey, qui a accordé une interview exclusive à 20 Minutes, trouve qu’organiser une version « All Stars » francophone avec des queens ayant participé, notamment, aux versions française, belge et canadienne serait « une très bonne idée ».

« C’était incroyable ! » Le compliment envers la saison 2 de « Drag Race France » qui a pris fin le week-end dernier sur France 2 n’émane pas de n’importe qui. Il vient de Fenton Bailey qui a créé en 1991, avec Randy Barbato, World of Wonder, la compagnie de production à l’origine de « RuPaul’s Drag Race ». Sans lui, il n’y aurait sans doute jamais eu une telle compétition de drag-queens sur le service public tricolore. Le Britannique de 63 ans, qui vit depuis de nombreuses années à Los Angeles (Etats-Unis), a accordé une interview exclusive à 20 Minutes

L’occasion de revenir sur l’adaptation française du format culte et ses spécificités, d’évoquer le phénomène « Drag Race » qui compte une douzaine de versions à l’international (Canada, Suède, Mexique, Allemagne, Suède, Italie, Philippines…) et de parler de la dimension politique de cet art.

Qu’avez-vous pensé de la saison 2 de « Drag Race France » qui vient de se terminer ?

Je l’ai trouvée spectaculaire. J’avais été vraiment impressionné par la première saison, mais là, c’était encore un cran au-dessus et c’était incroyable. On le constate souvent dans les différentes adaptations de « Drag Race », sur la saison 2, tout le monde est plus à l’aise, a l’air davantage confiant, plus relax et profite davantage du tournage. Mais ce n’est aucunement une critique de la première saison !

Quand la production française vous a soumis son souhait de tourner la finale en public, ce qui ne s’était jamais fait jusque-là, sauf aux Etats-Unis et en Thaïlande, vous avez donné votre feu vert immédiatement ?

La question ne s’est pas vraiment posée. C’était surtout une histoire de dispositif technique. La finale ne pouvait être en direct parce que, si l’émission a un large public en France, elle est aussi très suivie à l’international. Aujourd’hui, on en est à un point où les spectateurs, d’un pays à l’autre, n’ont plus l’habitude d’attendre pour regarder un programme. Ils veulent pouvoir tout voir en même temps que tout le monde. Sinon, cela les frustre. Donc la finale ne pouvait pas être en direct, car il fallait qu’on ait un peu de temps pour tout traduire, faire des sous-titres, et le mettre sur la plateforme WOW Presents Plus pour que tout le monde puisse en profiter au même moment que le public français.

Selon vous, qu’est-ce qui fait la spécificité de « Drag Race France » ?

La qualité spécifique à l’adaptation française réside dans le sens du design et du visuel [« sense of design and visualization »]. C’est très élégant. Le drag américain peut avoir une esthétique très « Hollywood ». Je dirais que « couture » est un terme adapté au drag français, les tenues sont brillamment conçues. Un autre point fort, c’est Nicky Doll.

C’est-à-dire ?

Elle amène dans l’émission son expérience de queen qui a elle-même été candidate de « Drag Race » [elle a participé à la saison 12 américaine en 2020]. Elle a beaucoup d’empathie, elle soutient toutes les participantes, elle est très impliquée, attentive à chacune. Elle est douée pour faire avancer les choses. Elle est par ailleurs une très gentille personne.

Voyez-vous des choses à améliorer pour la saison 3 ?

Non. Je ne peux pas concevoir que l’émission puisse être meilleure parce que je pensais que la saison 1 était déjà à ce niveau [il fait un signe de la main pour indiquer un haut niveau], donc je suis surpris que la saison 2 soit là [il élève sa main d’un cran]. Il y a une vraie ambition, une attention aux détails. Je suis venu sur le tournage de la saison 1 et, je ne sais plus qui avait réagi ainsi mais, comme il se trouve qu’il y a tout un vocabulaire et des gimmicks anglophones réutilisés d’un pays à l’autre, là, quelqu’un a dit « Hors de question qu’il y ait de l’anglais dans l’émission ! » Et j’ai trouvé ça fantastique.

La francophonie est représentée notamment dans « Drag Race France », « Drag Race Belgique » et « Drag Race Canada » avec des queens québécoises… Serait-il possible de voir prochainement arriver un « All Stars » francophone ?

Je trouve que c’est une très bonne idée. Absolument, oui. D’ailleurs, Rita Baga, candidate de « Drag Race Canada » présente la version belge. C’est très enthousiasmant de voir la famille grandir ainsi. Bien sûr, « Drag Race » n’a pas inventé le drag qui existe depuis des siècles, sous différentes formes, selon les cultures, mais quelque 600 candidates sont passées dans l’une des versions de l’émission et j’ai hâte de voir les prochaines versions. Parce que, sans critiquer des talent shows comme « The Voice » ou « Nouvelle star » – qui sont très bien – le plus souvent, vous y participez et c’est tout. Or, « Drag Race » est un tremplin pour des artistes qui peuvent ensuite mener leur carrière comme ils et elles l’entendent. L’émission met le projecteur sur un art et le célèbre. Je me réjouis que cela prenne une ampleur nationale et internationale. Nicky Doll est un exemple de queen qui a percé au niveau mondial, comme [la Thaïlandaise] Pangina ou [la Canadienne] Jimbo, entre de nombreuses autres.

Quand vous avez lancé la toute première saison de « RuPaul’s Drag Race » en 2009, pensiez-vous que le concept deviendrait le phénomène que l’on connaît ?

En tant que producteur télé, on espère toujours que ce qu’on propose sera LE concept, sinon pourquoi y mettre de l’énergie ? Mais d’un autre côté, il est très rare que quelque chose perce et connecte autant avec le public. Rétrospectivement, je me dis qu’on aurait dû s’en douter car Randy [Barbato] et moi, quand nous avons rencontré [la drag-queen] RuPaul dans l’East Village de New York dans les années 1980, on s’était dit que ce genre de drag, c’était quelque chose de spécial, d’incroyable et qu’on ne pouvait que se régaler du spectacle. Bien sûr, il provient de la communauté LGBTQ, mais le drag n’est pas uniquement réservé à ce public, c’est quelque chose que tout le monde peut apprécier. Il y a eu tant de queens, avant « Drag Race », qui se produisaient dans des clubs et qui n’obtenaient pas la reconnaissance ou les opportunités que l’émission peut offrir. Ces pionnières ont fait avancer les choses et ont permis de rendre possible ce moment.

Ces dernières années, aux Etats-Unis, mais aussi au Royaume-Uni, en France ou, plus récemment, au Liban, des drag-queens, des spectacles et des lectures sont attaquées par des conservateurs, des mouvements d’extrême droite. Qu’est-ce que cela vous évoque ?

Le harcèlement, les attaques, sont tragiques. Si l’on regarde cela sur une perspective historique plus large, on voit que la communauté LGBT a été ignorée, réprimée, marginalisée, durant des générations et, d’un coup, avec « Drag Race » et de plein d’autres manières, elle est enfin visible. Et nous constatons donc le backlash [« le retour de bâton »] dans l’opposition à cette visibilité. Il est important de se battre. Nous sommes tous dignes d’êtres vus par les autres. L’histoire a montré que ceux qui s’activaient à provoquer ce retour en arrière, et c’est une bonne nouvelle, échouaient toujours. On ne va que de l’avant. A ceux qui voudraient inverser le cours des choses, je dis : « Honte à vous, vous avez tort et vous allez échouer. Nous sommes là et nous ne partirons pas ! » Et puis c’est absurde, les drag-queens, tout comme les personnes trans également attaquées, ne sont pas une menace pour les enfants. C’est un mensonge inventé pour détourner l’attention des échecs de nos dirigeants et politiques, incapables de résoudre les problèmes importants : le pouvoir d’achat, le réchauffement climatique, les inégalités, etc. Comme le dit RuPaul : « Vous naissez nus et le reste, c’est du drag. » C’est vrai aussi pour les personnalités politiques d’extrême droite : chacun choisit son uniforme.

« Drag Race » n’a pas inventé cette discipline mais a donné envie à de nombreux jeunes LGBTQ de se lancer dans le drag. Vous vous sentez une responsabilité de faire respecter cet art ?

Oui, nous éprouvons une responsabilité mais, si l’émission provoque quelque chose, j’espère que c’est parce qu’elle aide des jeunes à reconnaître qui ils sont, ce qu’ils éprouvent, et que s’ils se sentent comme ça, il y a une option pour eux. Moi-même, en tant que gay, quand j’étais jeune, il m’a fallu du temps pour trouver ma tribu. Il n’y avait aucune émission, avec des personnes LGBTQ – et encore moins de drags – à la télévision. J’ai trouvé mon clan plus tard à downtown New York. J’espère, que dans un sens, « Drag Race » offre une opportunité à ceux qui ne le peuvent pas, de trouver leur communauté. C’est ce qui est magique avec la télévision : elle peut nous ouvrir à des choses et des personnes que l’on n’aurait pas forcément croisées au quotidien.

Que répondez-vous aux personnes estimant que « Drag Race » rend l’art drag trop grand public et lui fait perdre de son authenticité en tant qu’expression d’une contre-culture ?

C’est une critique que je ne comprends pas. Ce n’est pas demain la veille que l’on verra l’ouverture d’un parc d’attractions Disney « Drag Race ». Et quand bien même cela se concrétiserait, serait-ce une mauvaise chose ? En tant que communauté, nous, personnes LGBTQ, tendons à internaliser les oppressions et à penser que l’on ne mérite que de vivre dans l’ombre ou à la marge. Si c’est ce que certains souhaitent, très bien. Mais moi, ça me fatigue, je ne veux pas me sentir comme un citoyen de seconde zone. J’ai longtemps pensé que j’avais un problème. Or, ce n’est pas le cas et cela ne m’intéresse pas vraiment de vivre dans l’ombre et la marge.

Aux Etats-Unis, « RuPaul’s Drag Race » vient d’être renouvelée pour une seizième saison et une neuvième saison « All Stars » a été signée. Pensez-vous que cela va durer ainsi encore des années et des années ou qu’à un certain moment, il faudra prendre une autre direction ?

Je ne suis pas forcément le mieux placé pour en juger mais je veux croire que l’émission se réinvente. Elle a évolué et changé au fil des ans et cela continuera ainsi. Le programme dépend du sens artistique des talents, de leur créativité. Tant qu’il y aura du charisme, de la singularité, et du talent, il y aura une émission. Et puis, il existe d’autres émissions avec des drags, « We Are Here » (HBO), « Drag Me To Dinner » (Disney +)… il y a de la place pour plusieurs concepts et c’est bien d’avoir de la concurrence, cela nous pousse à être les meilleurs possibles. Les forces conservatrices pourraient-elles détruire cela ? Je ne le pense pas.

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