Le gaslighting, une dangereuse et insidieuse technique de manipulation mentale
- Souffler le chaud et le froid pour installer la confusion
- Entre les petites attentions et les piques dévalorisantes, le trouble persiste
- Une manipulation qui prend racine aux prémices de la relation
- Prendre conscience en adoptant un regard extérieur
- Comment reconnaître un gaslighter ?
Gaslighting. C’est « le » mot de 2022 selon le dictionnaire américain Merriam-Webster, qui établit chaque année un classement des termes les plus recherchés de l’année. « 2022 a vu une augmentation de 1740% des recherches pour ‘gaslighting’, avec un intérêt élevé tout au long de l’année », précise le communiqué publié sur le site du célèbre dictionnaire.
Pour traduire au mieux ce mot anglais au concept abstrait, certains proposent « décervelage », d’autres « décervelage manipulatoire ». Quoiqu’il en soit, le gaslighting est associé à l’image d’un lavage de cerveau, qui fait perdre à sa victime tous ses repères, afin que le manipulateur prenne l’ascendant.
« C’est de la manipulation à petites doses et beaucoup de confusions pour la personne en face. Le manipulateur n’est pas maltraitant tout le temps, parce qu’il mélange le tout avec des moments bienveillants, des actes et des paroles qui rassurent », explicite Véronique Kohn, psychologue spécialiste des relations amoureuses.
Souffler le chaud et le froid pour installer la confusion
Lina, 26 ans, connaît bien cette mécanique. « Je n’avais jamais entendu ce mot, mais par contre les agissements qui vont avec me sont très familiers », complète la jeune femme.
En exemple, elle évoque sa relation passée avec un homme qu’elle a aimé près de trois ans. « C’était ma première histoire et je n’avais pas vraiment d’amour propre. Je disais oui à presque tout pour ne pas qu’il me quitte et lui jouait dessus. Même si au début tout était parfait, il a commencé à avoir un discours différent selon les jours et les humeurs, mais il n’avait jamais tort », se remémore-t-elle.
« Quelqu’un qui souffle le chaud et le froid ce n’est déjà pas sain », réagit Véronique Kohn. Et là réside toute la mécanique manipulatoire du gasligthing : l’idée est d’éteindre la personnalité de sa proie à petit feu puis de se positionner en sauveur, afin de la garder à sa merci.
« Le terme provient de Gas Light, une pièce de théâtre de 1938, et du film basé sur cette pièce, dont l’intrigue implique un homme qui tente de faire croire à sa femme qu’elle devient folle. Ses activités mystérieuses dans le grenier font baisser l’intensité des lampes à gaz de la maison, mais il prétend que l’éclairage ne baisse pas et qu’elle ne peut pas se fier à ses propres perceptions », éclaire PsychoMedia.
Entre les petites attentions et les piques dévalorisantes, le trouble persiste
« Quand je lui reprochais des choses, ou que je pointais des incohérences, il disait tout le temps que je me trompais, ou que c’était de ma faute. Au bout d’un moment, je ne savais plus vraiment si j’avais des problèmes de mémoire et d’interprétation ou s’il me manipulait », poursuit Lina.
Pour nourrir la confusion, son compagnon de l’époque « calme » ses flammes malveillantes par des actions qui se veulent aimantes. Car parfois, le gaslighter est aussi un adepte du love bombing, une autre technique manipulatoire qui passe par des attentions excessives. La vingtenaire témoigne de « voyages surprises », de « petites attentions au quotidien », et d’une « irréprochabilité devant les personnes extérieures », impossible donc de tirer le vrai du faux.
« Le manipulateur se pose en victime ou en sauveur, parfois il y a des excuses, parfois des accusations minimes ou qui visent à vous faire culpabiliser », décrypte la psychologue.
« Supposons que votre partenaire prépare un petit plat délicieux. Vous aimez ça, mais vous êtes tout de même un peu jaloux. Donc, vous pouvez lâcher quelque chose de subtil comme ‘on dirait presque que ça vient d’un livre de cuisine' », illustre le professeur de psychologie Patrick Luyten pour le média belge Le Vif.
Une manipulation qui prend racine aux prémices de la relation
Des petites piques, qui, mises bout à bout, viennent perturber la perception de l’autre, qu’importe la nature de la relation. Si ce schéma est majoritairement retrouvé dans les couples, certaines amitiés peuvent également être le théâtre de ce décervelage.
Marion témoigne de ce qu’elle qualifie comme une amitié toxique. « Pour résumer : j’avais besoin d’elle, mais elle non. J’étais limite un projet caritatif pour elle. J’en ai entendu des ‘sans moi tu n’aurais pas eu ça, tu n’aurais pas connu untel, tu n’auras pas de meilleure amie que moi’« , explicite l’étudiante.
Des remarques et/ou comportements que l’on accepte généralement car au début de la relation, la mémoire propre à cette dernière s’est teintée d’un besoin sécuritaire ou affectif.
« Si au début tout est rose, ce n’est que pour mieux maintenir les apparences une fois les contradictions venues. On va presque culpabiliser la personne pour des moments où elle a eu besoin de nous. Toutes les situations sont ré-interprétées, à l’avantage du manipulateur. C’est un coup à devenir fou », souligne Véronique Kohn.
Prendre conscience en adoptant un regard extérieur
D’autant qu’une fois l’ascendant du gaslighter ancré, se défaire de l’emprise désormais basée sur un socle de dépendance est périlleux.
Lina raconte avoir dit stop après une énième dispute « la faisant passer pour folle ». « On a raté un spectacle qu’on devait voir pour son anniversaire, parce qu’il avait mis trop de temps à se préparer. Alors que j’avais passé 25 minutes à l »attendre, il soutenait que si nous étions en retard, c’était parce que j’avais pris trop de temps à le presser », relate-t-elle.
La jeune femme craque et en parle à une amie qui recense les nombreux comportements malsains du compagnon de Lina. « Plus j’étais loin de lui, moins mon cerveau était dans le brouillard« , se souvient la jeune femme.
Pour Marion, c’est aussi une proche qui a tiré la sonnette d’alarme. « Elle voyait bien que j’étais malheureuse dans l’amitié. Toujours être la fautive, ça pèse. Mais je n’osais pas trop en dire, parce qu’avec cette relation j’ai perdu beaucoup d’amis. Comme elle me donnait énormément, je devais aussi lui consacrer la plupart de mon attention en retour », témoigne la jeune femme.
« C’est très dur de se détacher, notamment quand la personne nous a isolé, acquiesce Véronique Kohn. Quand on a un repère dans la famille qui nous montre que ce n’est pas normal, on peut faire un examen de la relation et arrêter le massacre. Sans ce bagage, il faut une aide extérieure. Qu’un ami puisse le voir et nous faire prendre conscience du problème. Une aide thérapeutique peut être nécessaire pour déconstruire la mécanique qui a fait qu’on est tombé dans des filets manipulatoires », explique Véronique Kohn.
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Comment reconnaître un gaslighter ?
Mais alors, qui sont ces gaslighters et comment faire pour les reconnaître ? La psychologue le souligne, dans la plupart des cas, ces personnes ne sont pas consciemment motivées par la manipulation.
« N’oublions pas que tout le monde manipule (pour séduire, pour être aimé, écouté…), mais parfois c’est un mécanisme de défense : tu as besoin de moi, donc je ne perdrais jamais ton amour », détaille-t-elle.
Dans ces cas-là, le/la coupable de « décervelage manipulatoire » va user, tantôt d’une étiquette de victime, tantôt d’une étiquette de persécuteur, pour parvenir à ses fins. C’est ainsi qu’on peut les reconnaître : en notant des actions ou des paroles parfois diamétralement opposées.
« Généralement, c’est l’enfant qui a appris à recevoir les choses via cette technique, donc ce mécanisme devient un moyen normal d’obtenir de l’affection et de l’amour« , continue la spécialiste.
Et si ce dernier n’est pas déconstruit, alors le cercle vicieux continuera. « Si une personne le quitte, il se trouvera facilement une autre proie. L’intérêt, c’est de toujours avoir quelqu’un à manipuler pour se sentir aimé. Sauf qu’on ne gagne pas l’amour, mais au mieux une dépendance », rappelle-t-elle.
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