« Le docu "On est ensemble" marche à contre-courant du cynisme ambiant »

  • « On est ensemble » est mis en ligne ce mardi 14 juillet sur Netflix.
  • Ce documentaire, réalisé par Stéphane de Freitas, raconte la conception du tournage du clip de « Solidarité » et mettant en scène des militants et militantes des droits humains du monde entier.
  • « C’est un acte de rébellion de faire exister des paroles visant à rappeler qu’on doit rester fédérés, soudés », avance Stéphane de Freitas à « 20 Minutes ».

Ils vivent à Paris, Sarcelles, Rio de Janeiro, New-York ou Bamako et, à leur manière luttent contre le racisme, les violences faites aux femmes, la précarité… Ces cinq militantes et militants sont tous au casting du clip de Solidarité, chanson extraite de Lamomali, l’album conçu par -M- en compagnie d’artistes du monde entier, sorti en 2017. Le réalisateur de la vidéo, Stéphane de Freitas, retrace cette histoire dans son documentaire On est ensemble, mis en ligne le 14 juillet sur
Netflix. Bien plus qu’un making-of, le film s’intéresse à l’action de ces personnes engagées et continue de les accompagner bien après que le clip a été tourné.

Dans une présentation du clip de « Solidarité » sur Internet, vous dites avoir eu de nombreux échanges avec Matthieu Chedid (-M-) sur « le rôle de l’artiste engagé ». C’est le point de départ de ce projet ?

On est dans une période de remise en cause de beaucoup de strates de la société. On s’interroge sur la manière d’agir sur les questions de société, d’environnement, de précarité… On s’est demandé comment, d’un point de vue artistique, on pouvait apporter une pierre à l’édifice en étant le plus concret possible. Aujourd’hui, c’est risqué quand on est artiste et privilégié, même si toutes les contributions sont positives, de s’engager. Matthieu Chedid avait écrit le titre Solidarité avec des artistes du monde entier. Je lui ai proposé de mettre à l’honneur des héros du quotidien, cela semblait être une manière concrète de donner de la force et de la lumière à des gens qu’on connaît hélas trop peu.

Vous dites qu’il est risqué de s’engager lorsqu’on est privilégié. Vous vous êtes posé cette question de la légitimité de votre démarche ?

La période actuelle est extrêmement tendue. Pour mettre la lumière sur des inégalités et injustices, telles que certaines violences policières ou les féminicides, on doit tous « punchliner » [trouver des formules marquant les esprits], être percutant, frapper les esprits, les consciences. On a l’impression que tout le monde s’exprime, mais aussi que tout le monde hurle. En se demandant si on est légitime pour effectuer une action positive, si on peut apporter une contribution… on en viendrait presque à la paralysie, parce que chaque action que l’on est susceptible d’engager pour faire évoluer les choses peut être décriée, dénoncée.

En réalité, si on voit le côté positif des choses et de ce qui se passe, on est en train de créer un monde collaboratif et participatif. Il ne faut pas oublier que, dans ce moment où on peut être tenté de se replier sur sa communauté, son groupe d’appartenance, un grand défi se lève dans notre génération : nos vies sont liées les unes aux autres et on est ensemble. C’est un acte de rébellion aussi de faire exister des paroles visant à rappeler qu’on doit rester fédérés, soudés.

Sur le papier, cette idée que « nos vies sont liées », que l’on est « ensemble », peut passer pour de la naïveté ou de la bonne conscience. C’était une crainte ?

Le film ne raconte pas l’histoire d’un groupe d’artistes qui décide de se donner bonne conscience. Je suis militant, engagé, j’ai une expérience associative. Cela fait 10 ans que j’ai imaginé Eloquentia [un programme éducatif d’intérêt général autour des concours d’éloquence]. J’ai aussi travaillé sur l’entraide et le réemploi d’objets par rapport à l’environnement. J’ai galéré, j’ai vécu pendant cinq ans dans mes bureaux pour pouvoir m’en sortir. Avec Eloquentia, j’ai d’abord galéré pour qu’on me donne de l’argent pour faire exister ce projet visant à donner de la voix à la jeunesse des banlieues. On est ensemble est d’abord le film d’un militant qui sait de quoi il parle. Je suis réalisateur, mais c’est moi qui suis allé chercher les artistes et leur ai proposé de mettre en lumière des leaders qui, chaque jour essaient, tant bien que mal de faire évoluer les choses, de manière concrète, souvent avec peu de moyens. C’est tout sauf angélique. Ce film, c’est la célébration du monde associatif, des millions de gens qui au quotidien essaient d’être dans la construction, dans quelque chose de positif. J’assume.

Vous ne redoutez pas les réactions cyniques ?

Aujourd’hui, hurler, être dans la violence et la punchline, ce n’est pas être rebelle. Cette force-là peut être nécessaire pour occuper la place publique, le débat et exister. Mais on entre dans une surenchère de la parole, de la force. C’est important qu’en parallèle, pour construire, préparer un après, on fasse émerger des visions qui rappellent qu’on est ensemble et qu’il y a chaque jour des gens qui œuvrent pour plus d’empathie, de compréhension mutuelle, d’entraide. Ces valeurs, si on les oublie, si on se laisse ronger par le cynisme et la période rude que l’on vit, on en perd le sens même de la vie en société. En ce moment, on est dans un grand vertige, on a l’impression qu’il y a beaucoup de disputes, de tensions. Mettre la lumière non pas sur la polarisation de la société mais sur un monde participatif, c’est marcher à contre-courant de la haine et du cynisme ambiant.

Dans le documentaire, on voit aussi ce qui se passe après le tournage du clip, notamment l’accompagnement pour une aide aux financements des différents projets…

Il y a un million d’associations en France, vous en avez environ 5 % qui concentrent tous les deniers. Tout ce secteur, qui maintient le lien social et qui corrige bien des inégalités dans la société, est bien souvent laissé pour compte. Un plan d’aide pour les entreprises face à l’impact du Covid-19 a été annoncé, mais quid des associations qui vont encore plus souffrir ? Dès le départ, mon objectif a été, en tant qu’associatif, de me demander comment on pouvait soutenir le secteur.

« A voix haute » a son mot à dire sur Netflix

A voix haute, réalisé par Stéphane de Freitas et Ladj Ly, est également visible en ligne sur Netflix. Succès public et critique lors de sa diffusion sur France 2 en 2016, et de sa sortie en salle en avril 2017 (plus de 190.000 entrées), ce documentaire suit la préparation d’un groupe d’étudiants de l’université de Saint-Denis à Eloquentia, un concours d’éloquence sacrant « le meilleur orateur du 93 ».

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