« "Le chat du rabbin" ne doit jamais devenir inoffensif », selon Joann Sfar

  • En 2002, Joann Sfar publiait le premier tome de la bande dessinée Le chat du rabbin.
  • L’auteur a tenu à célébrer les 20 ans de cette BD à succès.
  • « Au début, j’étais dans le camp du chat, provocant et sarcastique. En vieillissant, j’apprécie mieux la tempérance de son maître », explique Joann Sfar à 20 Minutes.

Au commencement, il y eut le verbe. Et un chat. C’était il y a 20 ans, et même si ce n’était pas vraiment le commencement de la carrière de Joann Sfar, ce fut le début d’un succès populaire qui ne s’est jamais démenti. Le onzième tome du Chat du rabbin, – ou les aventures d’un chat doué de parole et de son maître, rabbin à Alger dans les années 1930 vient couronner ce 20e anniversaire que l’auteur a tenu à fêter comme il se doit. « Le Chat du rabbin est devenu une sorte de classique sans que je le fasse exprès. Marquer cet anniversaire c’est une bonne manière de se poser des questions sur le statut de ces personnages, de réfléchir au format, au lectorat… Il y a des fidèles mais il y a aussi des gens qui le découvrent aujourd’hui. Je dois continuer à me demander comment m’adresser à tout ce monde. Je sais que le succès est fragile. »

C’est aussi pour cela que Joann Sfar ne boude pas son plaisir de se rendre au Festival du Livre de Paris pour célébrer cet anniversaire : « Je suis toujours content d’aller en salon, de rencontrer les gens. Je suis très sociable et joyeux. En tant qu’auteur de BD, on passe beaucoup de temps seul. En salon, je discute avec des gens qui me suivent parfois depuis trente ans. C’est très agréable et ça me rend fier de discuter avec des personnes qui lisent mes livres, qui ont découvert la lecture avec mes BD, qui ont des anecdotes avec elles… Il y a des histoires et des rencontres incroyables. »

« Mon inspiration, c’est le folklore fabulaire des lectures de CM2 »

Pourtant, le succès du Chat du rabbin, ne coulait pas de source. « Au début, la BD a été reçue comme une œuvre philosophique ou pédagogique, parce que le chat et le rabbin discutent de religion, de moral… Moi, je ne voyais pas du tout ça comme ça, se remémore Joann Sfar. De mon point de vue, ce sont des livres sur la famille, ses comédies et ses disputes. Mon inspiration, c’est le folklore fabulaire des lectures de CM2 : Marcel Pagnol, La Fontaine, le roman de Renard… »

Avec ses tribulations joyeuses et colorées (et un peu philosophiques quand même, n’en déplaise à son auteur), Le Chat du rabbin est devenu un succès de librairie et un classique de la BD qui, de l’aveu de Joann Sfar « l’oblige ». « J’ai un pacte avec le lectorat. Il ne faut jamais que Le Chat du rabbin devienne inoffensif, mais qu’il ne soit pas offensant non plus. Il ne faut jamais quitter la table familiale… Un album du chat doit faire débat, poser des petits problèmes. En général, quand je commence un album je me dis « je ne peux pas parler de ça… » Et c’est toujours le thème que je choisis finalement. »

Réenchanter la mémoire maghrébine

Avec ses histoires de tolérance et d’écoute, l’anniversaire du Chat du rabbin résonne avec l’actualité politique et la montée continue des idées d’extrême-droite et d’exclusion. Auteur engagé, et parfois grande gueule, Joann Sfar ne veut pas, pour autant, faire de son héros le défenseur d’une cause humaniste. « Il y a vingt ans, déjà, la société était crispée, tendue. Je ne voulais pas, avec ces albums, créer du conflit. Au contraire… Je voulais mettre en scène un lieu de partage, un bien commun. Je voulais aussi montrer Alger, où je n’ai jamais mis les pieds, et réenchanter la mémoire maghrébine. »

Trois événements ont présidé à la naissance du Chat du rabbin :  les attentats du 11-septembre 2001, la mort de la grand-mère de l’auteur, et la naissance de sa fille. « On nous prédisait un choc des civilisations que j’ai refusé. J’ai réfléchi au souvenir culturel de ma grand-mère algérienne que je voudrais transmettre à ma fille. »

« Je ne m’identifie à aucune d’eux ou à tous »

Avec le temps, Joann Sfar a, bien sûr, mûri avec ses personnages. « Au début, j’étais dans le camp du chat, provocant et sarcastique. En vieillissant, j’apprécie mieux la tempérance de son maître, sa bonhomie, et je donne de bons dialogues sa fille… Je ne m’identifie à aucune d’eux ou à tous. Cette famille, c’est ma troupe de théâtre imaginaire pour dire ce qui me passe par la tête. »

Et pour aider les lecteurs à comprendre « ce qui lui passe par la tête », Joann Sfar a écrit sa première autobiographie. Un gros album « dessiné et colorié comme un Chat du rabbin qui racontera mon enfance à Nice. J’y montre ma vraie famille. Peut-être que les gens comprendront ce que j’ai voulu dire dans mes albums en lisant celui-là… »

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