Le chamanisme, ou les nouveaux gourous du bien-être

Cristaux aux 1001 vertus, nettoyage d’âme en spa 5 étoiles ou retraite amazonienne en pension complète : bien loin de Mère Nature, le chamanisme se mue en nouvelle tendance bien-être savamment marketée, entre esthétique ultra instagrammable et quête fastidieuse de spiritualité.

28 mai 2018. À Saint-Paul de Vence, en Provence, des mannequins graciles déambulent dans les jardins soigneusement paysagés de la fondation Maeght. Nous sommes au défilé Louis Vuitton, Croisière 2019, parmi une horde d’invités triés sur le volet, et malgré un ciel menaçant, pas une goutte n’est venue perturber le défilé. Coup de chance ? Sans aucun doute. Quoique.

Cette mise à l’écart d’une averse qui aurait pu s’avérer fatale serait en réalité l’œuvre d’un chaman brésilien qui aurait le don de repousser le mauvais temps. Son nom ? Omar Santos Scritori aussi appelé The Weather Son sur Instagram. À coups d’enlacement d’arbres et de grandes embrassades avec Mère Nature, l’homme aux honoraires salés s’applique ainsi aux côtés de sa femme Adélaïde, également chaman et médium de profession, à chasser nuages et mauvaises ondes à travers le monde, des JO de Rio au mariage de Meghan et Harry. True Story.

Problème : ils ne sont pas les seuls à diffuser, et surtout à monnayer leurs talents chakratiques auprès de nos âmes d’occidentaux – un brin – paumés.

Chamans superstars et Palo Santo pour tous 

Revival New Age oblige, l’heure est en effet à un certain retour à des formes de spiritualité païennes et mystiques. Tandis que Gwyneth Paltrow ne jure plus que par Durek Verrett, mi-spirit hackeur mi-instagrammeur, les modeuses de la côte Est se bousculent aux cérémonies de Déborah Hanekamp, chaman nouvelle génération adepte de “lectures médicinales” sur fond d’incantations poussives, d’encens lentement brûlé et de branches de sauge secouées.

Aux Etats-Unis comme en France, les chamans se consultent en cabinet ou via Facetime comme n’importe quel psychologue, une simple recherche Google vous permettant de rentrer en contact avec des centaines de professionnels de l’âme tourmenté et du corps torturé.

Version 2019, l’uniforme urbain et le paiement par CB ont généralement remplacé le poncho à franges et la notion de gratuité, les honoraires pouvant flirter avec les 300 dollars comme cela se vérifie outre-Atlantique. Le phénomène est tel qu’on ne compte plus les retraites en pension complète visant à vous immerger dans les rites chamaniques de l’Amazonie ou les soirées à l’ayahuasca, cette boisson hallucinogène censée purger votre corps comme votre esprit à grands renforts d’incantation.

D’une certaine manière, je crois que c’est ce que les gens recherchent : avoir accès à autre chose que ce que le monde actuel leur offre

À Miami comme au Mexique, certains hôtels de luxe recrutent même des chamans pour superviser les soins prodigués par leur spa, certains allant jusqu’à proposer des “souls cleansing” se fondant entre les soins du visage et les épilations.

Coté world wide web, il est désormais de bon ton d’afficher sur son feed Instagram cristaux et pierres magiques, dreamcatcher et talismans, sans oublier son bâton de Palo Santo, un bois “sacré” d’Amérique du Sud que l’on peut faire doucement brulé pour purifier l’air de notre 35m2. Même les géants de la grande distribution s’y sont mis, avec par exemple Sephora qui nous propose un peigne en quartz rose dont “l’énergie positive” permettrait d’assouplir vos longueurs, tandis que Spotify propose des playlists pour ambiancer vos sessions chamaniques.

L’apocalypse est à venir, on peut désormais en être certain.

“Le monde en avait besoin” 

Mais comment une discipline née dans les confins de la Sibérie, retrouvée aussi bien dans les rites tribals d’Amérique du Sud que de Corée, est devenue la tendance numéro 1 en terme de beauté et de bien-être dans nos milieux occidentaux urbains ? “Cela nous permet de revenir à la source de ce que nous avons perdu dans cette frénésie, cette course à l’argent, au travail, au pouvoir, énumère Dominique Lassus-Minvielle, chaman français basé à Dijon. Ces gens qui viennent me consulter sont à la recherche de la vérité. Qui suis-je ? Que n’ai-je pas encore réalisé ou créé ?”, poursuit-il.

“Cela nous apporte des informations de l’ordre de l’immatériel”, souligne au Washington Post le François Demange, ancien cocaïnomane devenu chaman après une expérience de mort imminente. “D’une certaine manière, je crois que c’est ce que les gens recherchent : avoir accès à autre chose que ce que le monde actuel leur offre.”

Éveiller sa conscience, revenir à son essence, renouer avec les vertus de Mère Nature ou tout simplement partir en quête de sens : tels sont les mantras récurrents que l’on retrouve en légende des posts louant le chamanisme sur les réseaux sociaux, le tout dans un contexte d’urgence écologique, de crispation religieuse et de remise en question de la société de consommation.

Conçue pour “s’éveiller doucement au féminin sauvage”, la revue française Druidéesse souhaite ainsi offrir à ses lectrices la “possibilité d’entrer dans sa Roue de Médecine”, de “vivre des rituels transformateurs” ou encore de “plonger dans ses profondeurs.” La promesse d’une quête métaphysique en somme, qui a permis aux fondatrices, Marie Cochard et Stéphanie Lafranque, de réunir une communauté cumulée de 40 000 abonnés et de produire 3 numéros en seulement quelques mois. “Merci pour ce beau cadeau que vous avez fait en donnant naissance à ce magazine : le monde en avait besoin”, témoigne Ilia sur leur site.

Chamanes et “gourous de l’argent”

Si la pratique de rites chamaniques en tunique blanche dans la forêt de Fontainebleau ou en tenue de yoga dans un cossu immeuble haussmannien peut prêter à sourire, elle peut parfois prendre des tournures beaucoup plus douteuses pour ne pas dire dangereuses. « Certains chamans profitent de l’emprise qu’ils peuvent prendre sur des « disciples' » notamment chez les personnes atteintes de troubles psychiatriques », alerte dans un article de la RTBF Serge Bliskole, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) en Belgique.

Par essence hétéroclite, le chamanisme revêt des formes diverses et variées où « le meilleur côtoie le plus mauvais », souligne l’expert. “Il est vrai qu’il y a des ‘gourous de l’argent’ mais ils ne durent pas”, concède Dominique, notre chaman dijonnais.

Ce dernier reconnaît également l’absence de formation ou de diplôme certifiant qui permettrait d’encadrer légalement la profession et sa pratique. “Il n’y a pas de formations à proprement parlé, chacun a la capacité plus ou moins développée de devenir chaman”, explique-t-il, pointant du doigt les limites d’une tendance pouvant rapidement tourner à la déviance.

Une raison supplémentaire en somme, de garder tout notre (bon) sens en éveil.

  • L’ocean therapy, ou quand les pouvoirs de la mer soignent notre tête
  • Le Shinrin-yoku, la thérapie immersive (et préventive) dans la forêt

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