“L’amour m’a rendu aveugle”
- L’amour ne rend pas aveugle, mais la passion oui
- Un phénomène de projection qui nous aveugle
- Se connaître soi pour mieux connaître l’autre
- “Réappropriez-vous votre pouvoir !”
« Quand tu n’as pas envie de voir… tu n’as pas envie de voir ! Tu as beau avoir la réalité devant tes yeux, ça ne change rien. »
Avec une pointe d’amertume dans la voix, Delphine* 32 ans, nous raconte comment pendant des années elle n’a pas su remarquer que l’homme qu’elle aimait lui mentait. Constamment. “Un jour, je me suis rendu compte qu’il ne bossait plus depuis des semaines…et il ne m’avait rien dit. Pourtant je voyais bien qu’il trainait un peu plus le matin et qu’il portait parfois des costumes alors que ce n’était pas dans son habitude. En réalité, c’était pour des entretiens d’embauche », se souvient-elle, mentionnant un mensonge parmi tant d’autres.
Pour Carole*, 28 ans, ce sont les infidélités à répétition de son compagnon qu’elle a préféré ignorer. « Les préservatifs oubliés « par erreur » dans la voiture, les incohérences dans ses soirées entre potes, le portable parfois éteints… Si une autre femme m’avait raconté ce genre d’histoires, je l’aurai secouée pour lui ouvrir les yeux ! Mais moi, j’étais tellement dedans…que je ne voyais rien !”, se désole-t-elle.
Quant à Fanny*, 35 ans, il lui a fallu 5 ans pour réaliser que la jalousie maladive de son partenaire l’avait peu à peu enfermée dans une relation d’emprise toxique. “Il disait qu’il m’aimait, qu’il avait peur de me perdre… La vérité c’est que je n’avais pas le droit de faire la moindre sortie sans lui. Il contrôlait tout, tout le temps, il a même piraté mon compte Facebook pendant que j’étais en voyage à l’étranger », se remémore-t-elle.
D’autres témoins nous font part d’expériences aux conséquences moins dramatiques, révélant avoir découvert seulement après quelques années de relation combien leur partenaire pouvait parfois se révéler un brin radin, furieusement hypocondriaque ou paresseux sur les bords.
Toutes sont pourtant d’accord sur un point : c’est l’amour et son élan fulgurant qui les ont aveuglées, tel une Psyché tombant amoureuse de Cupidon dans le noir total. C’est l’amour, ou du moins l’idée qu’elles s’en faisaient.
L’amour ne rend pas aveugle, mais la passion oui
“C’est vraiment une question importante qui amène souvent beaucoup de confusion : c’est la passion, et non l’amour, qui nous rend aveugle. Et l’amour véritable, qui nous rend la vue », précise d’emblée Catherine Demangeot, psychologue du couple et créatrice du podcast Qui m’aime me suive !.
« Au début d’une relation, on est effectivement dans la passion, dans un moment de “wow” qui nous dope complètement ! On est jamais fatiguée, on peut faire l’amour tout le temps, on est hyperactif », résume la thérapeute, empruntant à Sex & The City le terme du “Zsa Zsa Zsu” pour désigner cet état presque second.
« D’ailleurs, on le voit au niveau cognitif, cet état de passion active les mêmes zones du cerveau que certaines drogues comme la cocaïne », poursuit-elle. En effet selon une étude américaine réalisée à l’aide d’IRM en 2010, une personne amoureuse et une personne sous emprise de stupéfiant partagent les mêmes réseaux de neurotransmetteurs, activant les zones du cerveau liées au système de récompense et aux sensations de plaisirs et d’euphorie.
Résultat ? Non seulement on tend à devenir dépendant de l’être aimé mais, surtout, à mettre ses imperfections de côté. « À ce moment-là, on est pas en relation avec l’autre : on est surtout en relation avec nos sensations », résume Catherine Demangeot qui note également en parallèle un facteur psychologique à l’origine de cette idéalisation.
Un phénomène de projection qui nous aveugle
« Il y a effectivement un phénomène de projection sur l’autre : c’est-à-dire que l’on va transférer sur l’autre toutes nos attentes et nos désirs. Et ça aussi, ça peut un peu nous aveugler”, commente-elle, précisant que ces projections restent conditionnées par notre cadre de référence culturel.
Cinéma, littérature, télévision, musique : comme pour le mythe du grand amour ou celui du Prince charmant, notre consommation de produits culturels – dont l’idéologie est elle-même conditionnée par les valeurs sociétales au sein desquelles ils sont façonnés – va déterminer notre rapport à l’amour, au coup de foudre… et notre capacité à garder les yeux ouverts lorsque Cupidon vient bouleverser notre bon jugement.
Autre raison d’un tel aveuglement selon notre spécialiste ? Les modèles de couple auxquels nous avons été exposés dès notre plus jeune âge. “J’ai grandi avec des parents qui se sont déchirés pendant toute mon adolescence », analyse a posteriori Delphine. “Du coup, j’ai toujours rêvé d’une vie de couple complètement à l’opposé de ça. Même face aux mensonges évidents de mon copain, je voulais que mon couple marche et que ce ne soit pas autrement », conclut celle qui a finalement rompu après 4 années de vie commune.
Se connaître soi pour mieux connaître l’autre
Et lorsque ce n’est pas le comportement de l’autre qui vient percer notre bulle de déni et de bonheur, c’est tout simplement la machine à dopamine de notre cerveau qui tend à s’essouffler.
« Toutes les informations un peu dérangeantes sur l’autre qu’on avait déjà perçues mais mises de côté vont refaire surface. On va enfin percevoir l’autre comme il est, du moins comme il se laisse voir et se confronter à son altérité. C’est là qu’on retrouve la vue finalement », explique Catherine Demangeot au sujet de cette nouvelle phase du couple qui marque la fin de l’idéalisation de l’autre au profit du choix, conscient et réfléchi, de l’amour de l’autre.
“À ce moment-là, la personne que j’ai en face de moi, je vais pouvoir me poser la question de savoir si elle me convient ou pas. Alors que ceux qui sont accros aux sensations du début de la rencontre, ils ne vont jamais vouloir passer le cap de l’idéalisation. Ils vont vouloir sans arrêt renouveler cet effet et essayer d’être dopés en permanence », résume-t-elle.
Pour sortir de l’aveuglement, je pense qu’il est bon aussi de savoir qui l’on est. Car très souvent ce que l’on projette sur l’autre, c’est la partie de nous que l’on ne connaît pas bien.
Reste alors à savoir si cet aveuglement d’ascendance passionnel se doit forcément d’être une fatalité. Sommes-nous réellement condamnés par nos neurotransmetteurs à l’idéalisation béate et insouciante du premier « boyfriend material » trouvé sur le marché ? Ou, à l’extrême opposée, à nous empêcher toute euphorie amoureuse de peur de ne pas remarquer les gigantesques red flag qui s’agitent pourtant sous notre nez ?
Spoiler : non. « Pour sortir de l’aveuglement, je pense qu’il est bon aussi de savoir qui l’on est », conseille notre thérapeute. « Car très souvent ce que l’on projette sur l’autre, c’est la partie de nous que l’on ne connaît pas bien, que l’on n’assume pas bien, les besoins et les désirs qu’on explique pas clairement. Or, si je ne sais pas qui je suis, si je ne m’aime pas comme je suis, si je ne suis pas consciente de mes besoins, si je suis pas consciente de mes de mes qualités, mais aussi de mes failles, je vais avoir beaucoup d’attentes sur l’autre et mettre sans doute la relation rapidement en échec. »
“Réappropriez-vous votre pouvoir !”
Autre étape fondamentale pour mieux appréhender la réalité de son (éventuel) partenaire ? Comprendre que l’idéal du moi que l’on projette sur lui relève en réalité de traits de caractères que l’on ne voit pas en nous.
“Souvent, je propose donc à mes patient.es de de nommer les toutes les qualités de leur conjoint.e et de se les réapproprier en admettant qu’elles existent aussi chez eux.” donne-t-elle pour exemple, avant de nous donner un ultime conseil. “Réappropriez-vous votre pouvoir ! Car si vous idéalisez trop l’autre, vous lui en octroyez un trop grand ».
Ou quand l’amour de soi et la conscience de qui l’on est, nous permettent d’embrasser l’autre tout en gardant les yeux ouverts.
*Les prénoms ont été changés
** Université de Syracuse (Journal of Sexual Medicine, 2010)
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