La matrescence, ce 4ème trimestre après la grossesse où la femme devient mère

Tourbillon émotionnel et physiologique, les mois qui suivent l’accouchement sont aussi ceux où les femmes doivent, du jour au lendemain, s’improviser maman. Avec toute la joie mais aussi les doutes, les peurs et les frustrations que cela implique. Cette période s’appelle la matrescence, explications.

“Quand ma fille est née, ça été un tsunami dans ma vie, et ce dans tous les sens du terme.” Dès le premier épisode de son podcast lancé en mars 2019, Clémentine Sarlat, ex-journaliste sportive, donne le ton : l’arrivée de son premier enfant fut un immense chamboulement.

“Je n’étais pas du tout préparée à ce 4ème trimestre dont personne ne parle, ou du moins très peu (…),” avoue-t-elle sans concession, soulignant le manque d’accompagnement que subissent beaucoup de jeunes mamans. Car ce 4ème trimestre dont elle parle, celui qui – vous l’aurez compris – fait suite à l’accouchement, est loin d’être de tout repos. Il a d’ailleurs un nom : on l’appelle la matrescence.

L’adolescence des mères

Corps métamorphosé, changements hormonaux brutaux, confusion émotionnelle, interrogations existentielles liées à ce challengeant nouveau rôle : les bouleversements psychiques et physiques qui accompagnent l’entrée dans la maternité peuvent faire l’effet d’un séisme identitaire pour celle qui apprend à être mère en même temps qu’elle le devient. Un phénomène de mutation individuelle en somme, que Dana Raphaël, anthropologue américaine, désigne dès le début des années 1970 sous le nom de “matrescence”.

“L’accouchement entraîne une série de changements spectaculaires sur l’état physique de la nouvelle mère, son état émotionnel, ses relations aux autres et même dans son identité de femme. Je distingue cette période de transition des autres, en l’appelant matrescence pour mettre en avant la mère et se concentrer sur son nouveau mode de vie”, écrit-elle dans un ouvrage initialement consacré à l’allaitement. Contraction des termes “maternité” et “adolescence”, le concept de matrescence désigne cette ambivalente transition vers la maternité, aujourd’hui vulgarisée par Alexandra Sacks, psychiatre américaine, qui s’applique à le distinguer du galvaudé syndrome post-partum.

Contrairement aux symptômes dépressifs rencontrés par certaines jeunes mères dans les jours suivant l’accouchement, la matrescence s’articule de façon duale “autour d’un tiraillement entre attraction et rejet”, comme l’explique l’experte dans une conférence TedX de mai 2018.

C’est également ce que nous raconte Pauline, 32 ans, qui a vu sa vie intérieure chamboulée à l’arrivée de son nouveau-né. “Je ressentais un besoin viscéral de m’occuper de mon fils : je me sentais aussi hyper affectée quand il était malade, je voulais vraiment être là pour lui et en même temps, quand le premier mois d’euphorie post-naissance est passé, j’ai eu l’impression de me retrouver toute seule à la maison, d’être laissée pour compte. J’étais frustrée de ne pas pouvoir faire ce que je veux, quand je voulais. J’avais aucune idée de ce que j’allais faire de ma vie, et en même temps je ne voulais pas non plus retourner bosser en entreprise. Bref, j’étais perdue !”, se souvient celle qui estime que cette période dure plus ou moins du 2ème mois au 6ème mois de l’enfant.

Entre attraction et rejet du nourrisson

Principale responsable de ce phénomène qui fait sentir aux jeunes mères tout et son contraire ? L’ocytocine, une hormone que produit notre cerveau à la naissance du nourrisson et au moment du peau à peau. “Elle attire notre attention pour le bébé soit désormais au centre de notre monde”, poursuit la psychiatre, le nouveau-né étant naturellement incapable de survivre sans l’attention et les soins que lui porte ses parents – et notamment sa mère si elle allaite. Résultat ? La jeune mère se dédie corps et âme à sa progéniture quitte à remettre complètement en question ses envies, ses besoins, voire même ses ambitions. “Ma fille était ma seule source de joie, de toute ma journée. Ces heures passées avec elle… J’étais dans ma bulle, une bulle d’amour, c’était exceptionnel ! (…)”, se souvient Clémentine Sarlat.

“J’étais très ambitieuse dans ma vie. Et d’un coup, je me suis retrouvée à me dire : je crois que je veux être mère au foyer, je veux rester avec mon bébé toute ma vie. Je ne savais pas que c’était une phase. J’étais perdue”, explique-t-elle dans son podcast. Une attraction aux airs d’instinct animal qui se double d’un sentiment de rejet alimenté par les injonctions sociales contemporaines.

“La mère se souvient que son identité présente d’autres aspects – son travail, ses loisirs, une vie spirituelle et intellectuelle – sans parler des besoins physiques : dormir, manger, faire de l’exercice, avoir des rapports sexuels, aller aux toilettes, être seule”, poursuit Alexandra Sacks. Pourtant, rien de plus normal pour la psychiatre qui précise que cette dualité émotionnelle ne doit pas être stigmatisée, même si elle déboussole fortement celles qui en sont touchées.

“Je ne me reconnaissais plus”

“J’avais l’impression de devenir folle, se souvient Pauline. Je pétais des câbles pour un rien, y compris quand mon compagnon rentrait à la maison avec 5 minutes de retard alors que ça ne m’avait jamais préoccupé auparavant. C’est simple : je ne me reconnaissais plus.”

La jeune trentenaire souligne également le contraste entre la maternité, telle qu’elle est racontée dans les médias et exposée sur les réseaux sociaux, avec une réalité plus difficile à appréhender. “Certaines peuvent avoir des attentes ‘irréalistes’ par rapport à la maternité : être une mère parfaite, avoir des instincts infaillibles, penser que s’occuper de son enfant serait forcément un vrai plaisir”, rappelle Mélissa Pagny, psychologue clinicienne basée à Paris.

J’étais fatiguée. Je me suis sentie démunie, seule complètement isolée

La solution ? “Se renseigner sur les changements corporels possibles et sur les bouleversements hormonaux, s’interroger sur sa représentation d’une ‘bonne mère’, savoir ce qu’on attend de sa nouvelle vie de famille, interroger sa place dans le couple après la venue d’un enfant et même sa place au travail…”, suggère la spécialiste. “On ne pourra pas avoir les réponses de manière précises mais il peut être salvateur de se poser les bonnes questions et d’être au clair sur sa vision de la maternité. En somme, creuser un peu la question pour anticiper”, conclut-elle, tout en précisant qu’il n’y a pas de solution miracle.

Bienveillance, information et congé paternité

D’autres, comme Clémentine Sarlat, voit dans l’allongement potentiel du congé paternité une façon de vivre plus sereinement sa matrescence, le partenaire comprenant en outre difficilement ce processus par lequel passe la mère de son enfant. “J’étais fatiguée. Je me suis sentie démunie, seule complètement isolée. Mon amoureux était un peu présent mais pas assez. Et il le sait. Mais ça, c’est la société qui fait que les hommes sont obligés de repartir travailler si vite…”, dénonce-t-elle.

La clé pour bien vivre la matrescence, c’est de l’accepter

“Il est très important de ne pas juger l’autre dans cette période, de respecter ses choix et de ne pas émettre d’injonctions ou de principes sur lesquels les partenaires ne se seraient pas entendus avant”, conseille Mélissa Pagny qui plaide pour toujours plus d’informations et de sensibilisation au sein des couples.

“Plus les femmes et les hommes seront informés, moins la solitude rongera les familles et les foyers”, ajoute Clémentine Sarlat, dont le podcast a d’ailleurs aidé Pauline à mieux vivre ce processus. “J’ai découvert le mot ‘matrescence’ grâce à ce programme et mettre un mot à ce que j’étais en train de vivre m’a permis de comprendre ce qu’il se passait. Je n’étais pas folle, ni malade, c’était juste tout à fait normal”, confiait la trentenaire sur son compte Instagram avant notre entretien. “Finalement, la clé pour bien vivre la matrescence, c’est de l’accepter.” conclut-elle. On aurait pas dit mieux.

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