La hausse des attaques contre le Planning familial rappelle que l'IVG est bien un droit menacé en France
À quelques semaines d’intervalles, le même mode opératoire : un slogan anti-IVG peint à la bombe dans une rue du centre de Strasbourg. L’un à la veille du 8 mars 2023, l’autre à la veille de la journée mondiale de la trisomie 21, le 21 du même mois. Ce tag, il était stratégiquement apposé à l’entrée du Planning familial du Bas-Rhin. Alice Ackermann, sa présidente, y voit plus qu’une dégradation mais une vraie volonté de culpabiliser et de décourager toute personne qui voudrait pousser la porte de la structure. « C’est un délit d’entrave à l’IVG », tranche-t-elle, catégorique, auprès de Marie Claire.
Reconnu dans la loi depuis 1993, le délit d’entrave à l’IVG condamne les personnes ou les organisations qui tentent d’empêcher une personne d’accéder à l’avortement par la pression, la menace ou la contrainte. Il a été étendu en 2004 au fait de perturber l’accès à l’information sur l’IVG, puis en 2017, afin de lutter contre la désinformation en ligne. Ce dernier volet reste néanmoins difficile à appliquer.
Ces actes sont maintenant revendiqués politiquement.
À Strasbourg, ce n’est pas la première fois que le centre est attaqué. Alice Ackermann rappelle que la plaque de l’association avait déjà été taguée en 2021, sans pour autant que cette dégradation ne soit revendiquée par des personnes anti-choix. Aujourd’hui au contraire, des militants opposés à l’IVG se sont vantés via un post sur le compte Instagram Collages ProVie Strasbourg de ces deux derniers actes de vandalisme.
« Depuis sa création, le Planning familial a toujours été attaqué », explique Sarah Durocher, co-présidente et membre du bureau national. « On a toujours eu des autocollants anti-IVG sur les portes, de la colle dans les serrures. Ce qui a changé, c’est que ces actes sont maintenant revendiqués politiquement », note la responsable.
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Le reflet d’un climat profondément réactionnaire
Trois attaques en quelques semaines, toutes signées du groupuscule Action directe Identitaire, c’est ce qu’a subi le Planning familial de Gironde à Bordeaux – actuellement en grève contre la réforme des retraites. Il n’est pas le seul à subir cette vague de violences ciblées : « De nombreuses associations ont été bénéficiaires de ces graffitis à Bordeaux », souligne amèrement Annie Carraretto, co-présidente du Planning girondin. L’ASTI, association de solidarité avec tous les immigrés, ainsi que Les Hébergeurs solidaires, qui viennent en aide aux mineurs isolés, ont elles aussi été taguées au cours des derniers mois.
La militante dénombre d’autres incidents révélateurs : les jets de bouteilles et insultes, assorties d’une banderole « Protégeons les enfants. Stop folie LGBT », au cours de la Pride de Bordeaux en 2022, mais aussi des agressions racistes dans le quartier Saint-Michel, commises par des membres du groupuscule Bordeaux nationaliste début 2023, de véritables « ratonnades », ou encore l’irruption de militants d’extrême-droite lors d’une conférence des députés LFI Louis Boyard et Carlos Bilongo à l’Université Bordeaux Montaigne.
En réponse commune des associations bordelaises à ces provocations et menaces de l’extrême-droite, un rassemblement a été organisé dans la ville le 21 mars 2023. « Elles sont la traduction d’une extrême droite de plus en plus implantée et décomplexée sur notre territoire », avait dénoncé le collectif sur son compte Instagram. Malgré cela, aucune suite n’a été donnée aux plaintes déposées par le Planning familial de Gironde, alors que les auteurs « s’en vantent sur les réseaux sociaux », s’indigne Annie Carraretto.
On a besoin d’être protégées, c’est ce qu’on demande aux politiques.
Elle s’inquiète d’un deux poids deux mesures, tandis que « des colleuses féministes ont déjà été en garde-à-vue », rappelle-t-elle en référence aux militantes interpellées en février 2021 après un collage dénonçant les expulsions menées par la préfecture de Gironde. « On a l’impression que tout le monde n’est pas traité de la même façon », souligne-t-elle.
Même étonnement pour la co-présidente et membre du bureau national, Sarah Durocher : « On a interpellé le ministère de l’Intérieur sur la répétition de ces attaques. On n’a eu aucune nouvelle. Face à des mobilisations sociales, Monsieur Darmanin a une parole politique forte, mais pas quand le Planning se fait attaquer par des mouvements d’extrême-droite ? ». Le ministre de l’Intérieur est par ailleurs mis en cause dans deux affaires de violences sexuelles, maintes fois rappelées par les militantes féministes qui contestent sa nomination au gouvernement.
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La nécessité d’une réponse politique
Ces actes de vandalisme sont là pour dissuader d’entrer au Planning familial mais instaurent aussi un « climat d’insécurité » parmi les salariées et les bénévoles. À Bordeaux comme à Strasbourg, ces attaques sont toujours un coup de massue pour celles qui y travaillent au quotidien. À chaque fois, les militantes et les salariées ont pris du temps pour se retrouver et pour échanger en vue de poursuivre leurs activités en dépit des pressions.
« On a besoin d’être protégées, c’est ce qu’on demande aux politiques », réaffirme Annie Carraretto. Cependant, la vraie nécessité doit être selon elle « une réponse politique à la montée de l’extrême droite et à son projet de société ». Les militantes bordelaises se sont d’ailleurs farouchement opposées à la venue de la députée de Gironde RN Edwige Diaz, lors de la visite de soutien de la ministre déléguée à l’égalité femmes-hommes Isabelle Lonvis-Rome, après une attaque du centre, début mars 2023.
Une façon de rappeler que malgré la campagne de dédiabolisation au long cours du parti de Marine Le Pen, il en faudra davantage pour faire oublier aux militantes féministes les prises de positions anti-IVG de plusieurs cadres RN, y compris parmi celles et ceux élus aux élections législatives de juin 2022 à l’Assemblée nationale.
Ces réactions de l’extrême-droite coïncident quasi systématiquement lorsque des questions sociales traversent la société : le mariage pour tous en 2013, les polémiques autour de la soi-disant théorie du genre les années suivantes, ou encore les débats sur l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires en 2021. C’est par exemple les antennes de Nantes et de Blois qui avaient été touchées à cette période.
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Un cyberharcèlement vif et soutenu
Les attaques contre le Planning Familial succèdent aussi à la vague de harcèlement qu’a subi la structure à l’été 2022, après la diffusion d’une affiche montrant un homme trans enceint, et confirmant l’engagement de l’organisation pour accueillir toutes les personnes dans l’accès à la santé sexuelle et reproductive. La philosophe et ancienne militant Élisabeth Badinter avait par ailleurs co-signé une tribune dans Le Point, pour remettre en question le financement public du Planning à la suite de cette campagne inclusive.
Les anti-IVG sont là parce qu’on les dérange et que la société avance.
Si les antennes sont attaquées plus ou moins ponctuellement, le harcèlement en ligne que subit le Planning familial, lui, ne s’arrête jamais. « C’est constant sur nos réseaux sociaux », confirme Alice Ackermann. « On reçoit en permanence des propos haineux sur nos actions, que ce soit en commentaires ou en messages privés, donc il y a aussi toute cette cyberviolence à prendre en compte, et qui se manifeste particulièrement à des moments de campagnes. »
La question actuelle de la constitutionnalisation du droit à l’IVG n’est pas étrangère aux récentes attaques, estime-t-elle : « C’est une confirmation qu’on va dans la bonne direction ». L’inscription dans la Constitution pourrait intervenir dans les prochains mois à travers un projet de loi, selon l’engagement pris par Emmanuel Macron le 8 mars 2023, mais encore faut-il que le texte garantisse réellement ce droit.
D’ailleurs la situation outre-atlantique, aux États-Unis, où les femmes pâtissent de la révocation de l’arrêt Roe v. Wade protégeant l’avortement, mais aussi en Europe, avec l’interdiction de l’IVG en Pologne ou en Hongrie, confortent ses défenseurs dans l’idée qu’il doit rapidement être garanti par l’État. Et ce, avant même qu’il ne soit concrètement menacé par les politiques conservatrices émergeantes.
« Les anti-IVG sont là parce qu’on les dérange et que la société avance », conclut Annie Carraretto. « L’avortement est un vrai sujet de société à l’heure actuelle et on le voit notamment dans le soutien des jeunes militantes que l’on a autour de nous. Donc, oui, on ressent de la colère, mais ces réactions, ça veut dire qu’on est sur le bon chemin. »
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