"La chronique des Bridgerton", "The Gilded Age" : pourquoi les nouvelles séries d’époque plaisent tant ?
Costumes d’époque, dorures clinquantes, bals extravagants et intrigues à l’eau de rose, le period drama, ou drame historique en français, n’a jamais aussi bien fonctionné. Inondant nos écrans, ces capsules temporelles, où les téléspectateurs peuvent s’évader le temps de quelques épisodes en général très esthétiques, font désormais partie de la pop culture.
Downton Abbey, The Crown, Peaky Blinders… L’Angleterre a déjà produit de somptueux joyaux historiques durant les années 2010, et récemment, une impertinente américaine est venue voler la vedette dans le grand bal des séries d’époque.
Adaptée de la saga littéraire éponyme de Julia Quinn par Chris Van Dusen et produite par Shonda Rhimes fin 2020, La Chronique des Bridgerton nous plonge au temps de la Régence à Londres. Quelque part entre Orgueil et Préjugés de Jane Austen et Marie-Antoinette de Sofia Coppola, la série a su trouver son ton et séduire le plus grand nombre.
Comme elle, les séries d’époque d’aujourd’hui dépoussièrent l’imaginaire du passé pour le remettre au goût du jour, plus romanesque qu’historiquement véridique. Et ça marche.
« La chronique des Bridgerton » ou le conte de fée réinventé
En moins d’un mois de diffusion sur Netflix, La Chronique des Bridgerton a été visionnée 625,49 millions d’heures pour la première saison, puis 627,11 millions d’heures la deuxième, ce qui en fait l’un des shows les plus appréciés de la plateforme de streaming avec plus de 80 millions de spectateurs.
Sur fond d’orchestrations classiques de hits pop comme Wrecking Ball de Miley Cyrus ou Diamonds de Rihanna, de jeunes gens beaux et riches se séduisent, se désirent, et se heurtent à leurs devoirs et leurs fiertés mal placées. Avec ses romances gentiment contrariées aux fins heureuses, Bridgerton rejoue une narration de conte de fée. Ce faisant, elle tend également à promouvoir l’institution du mariage hétérosexuel et le concept éculé de « grand amour ».
Jusque-là donc rien de nouveau, c’est une recette qui a fait ses preuves. Mais la série est sauvée par un second degré : la plume satirique de Lady Whistledown, personnage un temps secret qui répand les commérages dans les hautes sphères du royaume. Cette dernière est d’ailleurs devenue la reine des mèmes et parodies sur les réseaux sociaux, notamment Tik Tok.
Cette série d’époque aussi fleur bleue que décalée, est aussi un bon exemple de female gaze, regard féminin, grâce notamment à des personnages de femmes affirmées ou encore l’érotisation d’hommes à l’écran, dont le Duc de Hastings (Regé-Jean Page) et le Vicomte Anthony Bridgerton (Jonathan Bailey).
La saison 2 nous fait par railleurs ressentir le désir palpable de Kate Sherma (Simone Ashley) envers Anthony, qui culmine par une scène de sexe filmée de son point de vue, dans laquelle elle reçoit un cunnilingus et gémit de plaisir. Une séquence d’autant plus importante que le personnage est d’origine indienne, un pays où la sexualité féminine reste taboue.
Ce point de vue moins cliché, malgré le sujet de fond très générique, participe à l’attrait de la série pour un public plus jeune et inclusif que le genre d’époque pouvait attirer jusqu’à maintenant.
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Changement de perspective
Les period drama récents se sont donc débarrassées d’un ton austère qui a longtemps prévalu dans le milieu. Ces shows, en majorité créées par des hommes blancs et hétérosexuels, ont été influencées par la quatrième vague féministe, qui a ouvert de nouvelles perspectives au genre.
Par exemple, les récentes Gentleman Jack (2019-2022) et Dickinson (2019-2021) racontent des histoires d’amour lesbiennes. La première, créée par Sally Wainwright, suit la vie d’Anne Lister, personnage historique du mariage gay, qui a écrit des journaux intimes codés, dans lesquels elle détaillait sa vie avec sa compagne Ann Walker.
La deuxième, signée Alena Smith, propose un portrait rafraîchissant de la poétesse anglaise Emily Dikinson et de sa relation avec Susan Gilbert. La série utilise l’anachronisme et des rêveries surréalistes pour nous faire entrer dans la tête de cette génie des vers en avance sur son temps.
Cette dernière refuse de se prendre trop au sérieux, tout comme la satire féministe The Great, portée par Elle Fanning en future impératrice Catherine de Russie.
Autre signe d’une évolution franche du genre, Bridgerton a fait le choix d’un casting color-blind (aveugle aux couleurs en français, ndlr), déjà à l’œuvre sur un show d’envergure de la même production, Grey’s Anatomy. Il s’agit simplement d’embaucher la meilleure personne pour un rôle, sans tenir compte de ses origines.
Dans une série comme celle-ci, qui ne repose pas sur l’exactitude historique, cela permet de créer de nouvelles représentations, celles de personnages racisés en situation de puissance, comme la Reine Charlotte, bientôt héroïne de son propre spin-off, et qui ont aussi le droit à leur conte de fée puisque le spectateur suit des romances mixtes.
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À chaque époque… ses séries d’époque
Le changement de perspective n’a pas échappé à Julian Fellowes, le créateur de la très blanche Downton Abbey. Sa nouvelle série, diffusée sur HBO, prend place à New-York, après la guerre de Sécession. Reconstitution ambitieuse, The Gilded Age met en scène des nobles, bourgeois et domestiques blancs, mais aussi la classe supérieure noire établie à Brooklyn. Jeune journaliste, Peggy Scott (Denée Benton) y développe une amitié avec Marian (Louisa Jacobson), une femme blanche ignorante de ses privilèges.
Dans l’épisode 6, Marian s’étonne du peu de réaction de son amie face à une personne raciste. Peggy lui explique : « Vous venez de découvrir l’injustice. J’ai vécu avec ça toute ma vie. Si je passais tous les jours à me battre avec des fanatiques, je ne ferais jamais rien. » Ainsi, les period dramas continuent de se concentrer en majorité sur des familles riches et blanches mais les minorités tendent à y être mieux représentées.
La prochaine adaptation du roman de Charles Dickens, Great Expectations, pour la BBC, comprend au casting l’actrice noire Shalom Brune-Franklin dans le rôle d’Estella. Rien de tel qu’un classique revisité chaque décennie pour révéler les préoccupations d’une époque.
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