"Judy" : une idole brisée dès l’enfance, qui a tout fait pour plaire

En salle ce mercredi, "Judy" est un film biographique consacré à Judy Garland, l’une des stars de l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Un biopic touchant qui revient sur sa terrible dernière année, et sa résidence compliquée à Londres. Renée Zellweger, qui a le premier rôle, méritait son Oscar.

C’est l’un des films les plus attendus de ce début d’année, à cause de son sujet, Judy Garland, l’une des plus grandes stars de l’âge d’or du cinéma hollywoodien, et parce que celle qui la joue, Renée Zellweger, a remporté l’Oscar et le Golden Globes de la Meilleure actrice pour ce rôle. 

Judy arrive en salle ce mercredi 26 février. Le film se concentre sur la dernière année de vie de la chanteuse américaine, lorsqu’elle doit laisser derrière elle ses deux derniers enfants pour se renflouer à Londres, où on lui propose une résidence chantée dans un théâtre. Ce qui fut sa célèbre résidence au Talk of the Town en 1968, présentée comme un retour flamboyant, après des années de déchéance, presque retombée dans l’oubli. 

Un pari compliqué, alors que l’actrice, popularisée dans sa jeunesse par Le Magicien d’Oz et un programme télévisé qui la mettait en scène, était tombée en désuétude, et dans les addictions. 

L’amour-haine pour la scène

Judy fait le pari de l’extrême intimité. Montrer, avec plus ou moins d’exactitude, qui était l’actrice derrière son image de petite fille modèle devenue chanteuse au timbre hors-pair, qui tranchait avec la délectation des tabloïds à raconter ses déboires.

Et pour retracer cette chute, le film prend le prisme de son rapport à ce, ou ceux, qui la regarde(nt) ; la caméra, son producteur, des inconnus. Judy montre aussi très bien en quoi Judy Garland semble subir la scène autant qu’elle ne peut s’en passer. Son déchirement intérieur est flagrant, s’exprime dans le contraste entre sa maigreur et ses tenues flamboyantes, sa voix exceptionnelle qu’elle gâche à coup d’alcool. 

À mesure que la première représentation au théâtre Talk of the Town approche, le côté autodestructeur de la star reprend le dessus. De plus en plus stressée, elle se saoule et se sur-médicamente, comme pour reculer le moment fatidique, dans une suite colorée et moelleuse. Le film prend son temps, succède les plans amenant inéluctablement au malaise, dans cette chambre d’hôtel silencieuse, où elle semble se sentir enfermée. « The show must go on », mais à quel prix ?

Les flashbacks de son enfance difficile à Hollywood montrent sa désillusion face à la méchanceté d’adultes la prenant pour leur petite chose, alors qu’elle est portée par un émerveillement d’enfant face à la magie de la caméra. La bascule s’opère au fur et à mesure, à mesure que la jeune Judy, interprétée avec force par Darci Shaw, sent l’étau se resserrer. 

Délicate Renée Zellweger

Le montage du film vise à expliquer les addictions et le côté autodestructeur de Judy Garland par les sévices qu’elle a subis dès son plus jeune âge. Pour autant, Judy ne fait pas passer la performeuse pour une femme-enfant. Et heureusement. C’est bien une femme adulte, alcoolique, accro à ses cachets, que l’on voit se détruire à petit feu, impuissants. C’est une mère de famille aimante, maniaco-dépressive, imprévisible, colérique, incapable d’être dans une relation saine, que l’on nous montre. 

Dopée dès l’enfance aux mirages hollywoodiens et aux boîtes de pilules, Judy Garland ne voit la vie que façon pays d’Oz magique, ou en noir et blanc. Il n’y a pas de juste milieu. Le film de Rupert Goold relate avec force ces montées trop hautes annonçant forcément des chutes vertigineuses.

Des changements radicaux d’ambiance que Renée Zellweger parvient à saisir avec aisance. L’actrice américaine fait rire lorsqu’elle sort les réparties cinglantes de Judy Garland, et colle des frissons lors des nombreux moments de chant, où sa tristesse transparaît, mêlée à une profonde colère. Le micro dans une main, dont le fil est enroulé autour de son autre bras, Judy Garland semble se cramponner à son instrument comme une béquille, en même temps qu’elle se défait parfois de son long fil. Les inspirations sont profondes, comme si elle était en train de se noyer. On est scotché par la prestation autant qu’on a peur pour elle.

La démarche cassée, en zigzag, quand elle a consommé trop d’alcool, couplé à des médicaments, la montre en bête de scène blessée, qui traîne son corps à cran devant le public. Sa maigreur est suggérée, plus que fétichisée. On la comprend quand elle lutte pour manger une part de gâteau, et quand un médecin inquiet lui dit qu’elle est en sous-poids, lui préconise des vitamines et beaucoup de repos. Judy Garland sourit, et glisse, l’air de rien, qu’elle a subi une trachéotomie quand elle a tenté de se suicider quatre ans plus tôt. Quand il lui demande si elle est suivie, elle répond : « J’ai tenté quatre mariages. Bien sûr, ça a raté », un rictus à la bouche.  

Judy derrière Judy Garland

Comment une artiste, qui s’est fait connaître par un film fantastique resté culte, a-t-elle pu chuter à ce point ? Judy pointe des coupables : ceux qui étaient censés la prendre sous son aile alors qu’elle n’était qu’une enfant. 

Privée de nourriture pour rester maigre, mise en rivalité avec les autres chanteuses et actrices de sa génération, contrôlée au millimètre, sans cesse rabrouée et rabaissée dès qu’elle essayait de faire valoir ses droits, la jeune artiste a été maltraitée physiquement et moralement. La jeune star semble n’avoir aucun répit. Un traitement qui contraste avec les plateaux joyeux où elle a grandi. Le film montre bien la perversité de s’être construit dans un paradis factice aux coulisses ignobles, fait de plastique et de carton-pâte. 

Darci Shaw, qui interprète Judy Garland à ce jeune âge, est troublante et fend le coeur. On voit peu à peu, que si son entourage n’est pas prêt à lui donner de l’amour, elle ira le chercher auprès du public, quitte à en devenir dépendante et se rendre davantage vulnérable.

Judy a aussi le bon goût de rappeler que Judy Garland était une icône LGBT+, par sa grande gueule, ses tenues extravagantes, ses costumes d’hommes colorés, sa voix puissante et ses chansons pleines d’affirmation de soi et de résilience. L’une des scènes les plus touchantes, et drôles, montre la star s’inviter chez un couple gay venu la voir tous les soirs à sa résidence. Alors qu’elle chante, accompagnée de l’un d’eux au piano, l’homme fond en larmes, bouleversé. Elle avait donné un élan à tant, et ce film le lui rend bien.

Judy, de Rupert Goold, avec Renée Zellweger, Jessie Buckley, Finn Wittrock 

 

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