Je ne vis pas pour mon travail et tout va très bien
- Le travail, comme objectif de vie ?
- Le travail comme moyen et non comme but
- Le travail alimentaire, une solution à court terme
- La pression du métier-passion
- Entre le bore-out et les heures supplémentaires : trouver son juste-milieu
“Pendant des années, j’ai vu mes parents se tuer à la tâche, pour maintenir la tête hors de l’eau. Pour moi, le travail a toujours été connoté négativement, donc c’est pour ça qu’aujourd’hui, ça importe peu dans ma vie”, commence Caroline, 27 ans.
Pourtant, dans notre société, l’occupation professionnelle détient une place de choix. Qu’on le veuille ou non, nul ne peut nier que le travail fait partie intégrante de notre vie, et même, de notre personne.
“On ne peut pas y échapper, le travail est au cœur de nos apprentissages. Très rapidement dans la scolarité, on fait référence au travail comme un objectif premier de vie. Si on travaille bien à l’école, on pourra exercer un métier qui nous plaît et gagner beaucoup d’argent et ensuite, seulement ensuite, on pourra construire une famille”, résume Sébastien Hof, psychologue du travail.
Mais dans un environnement social où le métier-passion et les heures supplémentaires sont souvent glorifiés, comment font celles et ceux régis par l’état d’esprit du “travailler pour vivre, et ne pas vivre pour travailler”, sans pour autant tomber dans le “métier ennui” ?
Le travail, comme objectif de vie ?
But premier de vie, dont la réalisation passe, souvent, avant celle des sphères personnelles et familiales, notre relation au travail a tendance à déborder sur tous les pans de notre existence. Sébastien Hof, parle même d’un “objectif de vie”, inculqué dès le plus jeune âge.
“Au lycée, c’était quelque chose qui m’angoissait beaucoup. C’était un peu comme s’il fallait faire des choix irréversibles à 17 ans, qui conditionneraient ma qualité de vie d’adulte, alors que moi, je partais du principe que ma carrière devait suivre le même raisonnement que mes jobs d’été : gagner de l’argent pour profiter”, se remémore Mathieu, 32 ans.
“On a tendance à y investir beaucoup, puisque a priori, c’est un enjeu capital pour notre construction. C’est notre première formule d’identité sociale, quand on doit se définir auprès de personnes qui ne nous connaissent pas, donc peu de personnes le voit comme une autre manière de se réaliser”, souligne le psychologue du travail.
Et cette dissonance avec les autres, le trentenaire l’a bien ressentie. Dans sa famille, presque tous ont fait médecine – ou du moins, ont essayé. “C’était des années d’études pour des journées sans fin ensuite. Moi, je voulais seulement voyager et garder une occupation simple à côté, sans avoir à y penser une fois en vadrouille. Finalement, j’ai appris autant de choses que mes oncles et mon père”, sourit Mathieu.
Le travail comme moyen et non comme but
Mais ce choix de vie est aussi dû à un écart générationnel, qui est venu remettre en question notre rapport au travail et replacer ce dernier au rang de moyen et non plus de but.
« Je dirais que les plus jeunes ont tendance à avoir une relation au travail différente, que les générations d’avant : ils ont pu voir des courbes de chômage énormes pendant longtemps, des gens qui souffraient de ne pas avoir de travail, et des gens qui souffraient d’en avoir un. Ces jeunes, à qui ont a toujours promis que le travail était le Graal absolu, n’ont plus envie de s’investir dans des activités qui font abîmer leur santé”, appuie Sébastien Hof.
Caroline, se retrouve dans les paroles de l’expert. Elle, qui a vu le dos de ses parents se courber au fil des années, ne compte pas se tuer à la tâche comme eux.
« Je sais que ma mère faisait beaucoup d’heures supplémentaires, aussi parce qu’elle n’avait pas le choix. J’ai cette chance de n’avoir que moi-même à charge, donc je peux me permettre de partir à l’heure tous les jours”, poursuit la jeune femme, qui évolue dans la vente.
“Et ce n’est pas une honte, ni un secret pour mes collègues. Elles savent que sur mon temps de pause, je coupe mes notifications professionnelles et qu’après mes horaires, ce n’est pas la peine de chercher à me joindre. Ma vie, c’est tous ces moments entre et je ne peux pas la gâcher à penser logistique ou relations clients. Tant que je ne suis pas responsable, je m’en tiens à mon contrat, et ça ne fait pas de moi quelqu’un de moins appliquée”, plaide-t-elle.
Le travail alimentaire, une solution à court terme
Malgré tout, une question se pose. Certes, on peut ne pas vouloir passer sa vie à penser boulot, mais en partant du principe qu’on y passe presque tou.tes, au moins 35 heures par semaine, si le travail n’est qu’alimentaire, notre santé mentale n’en pâtit-elle pas ?
“Le temps que l’on passe au travail est conséquent, donc si l’on n’y prend pas plaisir, ça devient un peu long. L’idée c’est d’y trouver un minimum d’intérêt, pour se lever sereinement, et ne pas y aller avec la boule au ventre, sinon, la situation peut vite devenir néfaste”, développe Sébastien Hof.
Qu’il induise un bore-out ou une anxiété, ce travail, à l’opposé du métier passion, n’est peut-être pas la bonne solution.
“C’est vrai que travailler en tant que télé-opérateur, je ne l’aurais pas fait toute ma vie, accorde Mathieu, ce n’était pas forcément l’éclate tous les jours, mais là où certains avaient pour but de voir grandir leurs opportunités professionnelles ou leur boîte, moi, ma carotte, c’était les voyages que je préparais à côté”.
Aujourd’hui reconverti dans le transport, c’est en faisait presque le tour du monde, que Mathieu a d’ailleurs trouvé sa voie. « Je n’ai pas eu besoin de dix ans d’études, mais de vivre, pour trouver le métier qui me fait vibrer, ajoute-t-il, pour autant, je goûté au luxe d’avoir du temps pour soi, et je sais mettre des barrières là où il faut ».
“Temporairement, le travail alimentaire peut être un moyen de défense. On peut mettre à distance son emploi, si l’on gagne assez bien sa vie et que ça nous permet d’être heureux à côté. Mais ce sera pas tenable sur le long terme”, martèle Sébastien Hof.
La pression du métier-passion
Malgré tout, difficile de retourner à une vie un tant soit peu gouvernée par le travail, quand notre fameux “métier passion” est celui qui nous en a dégoûté.
Flora a 26 ans. Depuis petite, elle veut être professeure des écoles. En 2019, elle obtient son CAPES et commence alors une carrière d’enseignante. Mais au bout de quelques mois de stage, elle déchante : peu de moyens, beaucoup d’élèves et pas de considération. Elle termine en burn-out, après un an et demi de métier seulement.
Avoir un 9h-17h, m’a fait me rendre compte que c’était ça la vraie vie et pas se tuer à la tâche à même pas 30 ans.
“Après ça, impossible de me dire que je referais la même chose, à arriver en classe pour 7h et à partir à plus de 20h, ça m’a changée et ça a même failli me coûter mon couple”, raconte la jeune femme, encore marquée.
Une autre différence se remarque ici aussi, par rapport aux générations passées : la santé mentale au travail est désormais un enjeu adressé, même s’il reste des progrès à faire.
“Malheureusement, nous ne sommes pas aidés pour les organisations et entreprises qui abusent du fait que les gens ont tendance à – trop – s’impliquer, et c’est aussi du ressort de l’employeur de faire attention à ces dynamiques-là, pour éviter que les gens ne se crament”, réagit Sébastien Hof.
Depuis, la jeune femme travaille avec ses parents, dans l’immobilier. “Pour l’instant je ne fais que de l’administratif, et puis c’est mes parents, donc je n’ai pas de pression. Mais avoir un 9h-17h, m’a fait me rendre compte que c’était ça la vraie vie, et pas se tuer à la tâche à même pas 30 ans”, poursuit-elle.
On peut très bien s’épanouir dans un métier qui nous plaît, sans pour autant qu’il prenne trop de place.
“On a tendance à se construire en lien avec le boulot, ce qui fait qu’on évolue dans l’idée de tout mettre en place pour pouvoir arriver à quelque chose qui pourrait s’apparenter au métier passion. Mais ce n’est ni une obligation, ni un besoin humain. On peut très bien s’épanouir dans un métier qui nous plaît, sans pour autant qu’il prenne trop de place”, appuie Sébastien Hof.
Si la jeune femme avoue avoir eu du mal à faire un trait – pour l’instant – sur sa carrière de professeure, pour elle l’avenir est clair « si le métier que je rêve de faire fait mal, et que je dois choisir entre lui, ou moi, ce sera moi ».
Entre le bore-out et les heures supplémentaires : trouver son juste-milieu
Alors, entre le métier de nos rêves qui nous grignote et le métier “ennui” qui nous permet d’avoir une vie, mais nous angoisse au quotidien, il ne semble pas qu’il faille choisir, mais plutôt trouver un juste-milieu.
C’est en tout cas ce que préconise le psychologue du travail. “Il faut tout remettre en perspective, en définissant les autres sphères. Quelle proportion pour soi ? Pour l’autre ? Pour la famille ? Ensuite, on insère le travail”, conseille-t-il.
Le spécialiste propose l’établissement d’un “camembert à 100%”, qu’il va falloir découper, selon vos besoins et vos envies, pour atteindre votre objectif de vie idéal.
S’il est important de rappeler que chacun.e a un rapport différent avec l’organisation de son temps et de sa vie, et qu’on peut très bien choisir de passer le plus clair de son temps au travail ou de butiner de job en job pour s’offrir des plaisirs, il ne faut, dans aucun des cas de figure, culpabiliser.
“Par exemple, le salarié qui passe beaucoup de temps au travail, s’il choisit de prioriser, il faut qu’il se limite – si possible – pour se créer de nouvelles habitudes. Pour autant, ça ne voudra pas dire qu’il sera moins impliqué, mais bien qu’il aura décidé de ne plus laisser son occupation professionnelle empiéter sur son temps personnel”, fait remarquer Sébastien Hof.
Et moins de temps au bureau ne veut pas dire moins de valeur ou moins de sens à votre vie. Rappelons-nous que, même si notre emploi nous définit, il n’est pas notre essence – la preuve, vous existiez, bien avant lui.
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