« Je ne veux pas rentrer dans le rang», clame David Hourrègue

Il est l’un des rares Français à s’être fait un nom grâce à la réalisation de séries. David Hourrègue, président du jury de la compétition formats courts, est un habitué du festival Séries Mania. En 2019, il a fait sensation avec l’équipe de Skam France, dont il a mis en scène les six premières saisons pour France.tv Slash. En 2021, la série Germinal, qu’il a réalisé pour France Télévisions, a suscité une vive émotion lors de sa première mondiale dans l’ancienne ville minière de Wallers Arenberg. L’ovation debout du public, à la fin des deux premiers épisodes de 52 minutes chacun, fut à la mesure de la générosité et de la sincérité du réalisateur, reparti avec le prix du public du festival de Lille-Hauts de France. A 43 ans, il parle à 20 Minutes de son métier, avec la fougue d’un vingtenaire.

Face à une offre pléthorique de séries, qu’est-ce qui fait qu’une série va pouvoir se démarquer ?

Aujourd’hui, on ne peut pas envisager l’analyse du monde des séries sans prendre en compte le côté pléthorique de l’offre. Une bonne série, aujourd’hui plus que jamais, c’est une série qui ne renie pas sa nature et qui va au fond de sa note d’intention d’un point de vue stylistique. La demi-mesure n’est plus le maître-mot. Il y a le cynisme assumé dans Succession, les pics chevaleresques dans Game of Thrones, le romanesque dans La chronique de Bridgerton. Les gens veulent de vraies propositions. Voilà, la période mi-figue mi-raisin, d’essayer de plaire au plus grand nombre, est passée.

Pourquoi distinguer les séries formats courts et longs, trouvez-vous cette distinction pertinente ?

Non, elle n’est absolument pas pertinente. Et je l’ai vécu, j’ai réalisé Germinal et Skam. Lorsque Skam a explosé lors sa saison 3, très objectivement, il était difficile de passer à côté de la série. On s’est posé cette question avec le jury formats courts. On est supposé juger avec beaucoup de bienveillance des œuvres faites pour provoquer une vibration chez nous. On comprend le souci de lisibilité propre au festival de catégoriser, mais on voit qu’il y a des formats différents au sein du format court. Et on se rend bien compte qu’on va juger ces œuvres sur les mêmes critères que pour une série longue. Est-ce que j’ai vibré ? Est-ce que ça m’a parlé ? Est-ce que j’étais époustouflé par les performances ? Est-ce que j’ai compris la démarche ? Est-ce que j’étais emporté ? Tout simplement. Je suis d’accord avec vous, mais je comprends le pourquoi du comment.

Il y a une série que vous avez réalisée qu’on connaît moins, c’est « Cut », cette expérience a-t-elle été une bonne école pour vous ?

Après avoir fait mon court-métrage, où j’avais donné tout ce que j’avais, mon argent, mon temps, mon énergie et ma foi, j’attendais que cela tape dans l’œil de certains producteurs, qui aujourd’hui me parlent. Et Terence Films sont les seuls qui sont venus, à l’exception de quelques boîtes de pubs. Quand Terence Films est arrivé avec ce projet, au départ, j’étais un peu déstabilisé. Je ne m’y retrouve en rien, il n’y a pas une séquence que j’aurais de moi-même voulue porter à l’écran. Mais j’y ai trouvé une telle sincérité dans la démarche et une telle joie à faire ce qu’ils faisaient, que j’en ai pris complètement mon parti. Cela a été aussi un rappel à l’humilité. Je me suis dit : « Si c’est tout ce que l’on te propose pour le moment, c’est que tu ne peux pas prétendre à autre chose ». J’ai pris cela comme une chance incroyable. J’avais 7 à 8 séquences par jour à tourner. Quand j’arrivais sur le plateau, je me disais : « Cette séquence ne te parle pas à l’instant « T », mais, qu’est-ce que tu vas pouvoir trouver pour qu’elle parle au comédien, au monteur, pour qu’elle te parle en tant que réalisateur et qu’elle emporte le spectateur ? » Lorsque vous tournez sept séquences par jour, il faut être très rapide et prendre les meilleures décisions dans le moins de temps possible. J’ai finalement toujours une tendresse incroyable pour ce qui est parfois pointé du doigt comme une série de flux. Cut m’a appris 80 % de ce que je fais aujourd’hui.

Est-ce qu’on se sent plus libre quand on est autodidacte et qu’on n’a pas fait d’école de cinéma ?

Sur le plateau, quand la pression est énorme comme sur Germinal, je dis aux équipes : « Nous sommes en train de faire quelque chose de magique. » Evidemment, quand vous avez un budget de 12 millions d’euros sur les épaules, la pression se rappelle à vous, mais je pense arriver chaque jour sur le plateau en étant conscient du chemin parcouru pour y arriver, de la chance que c’est. Je suis parti sur la ligne de départ, entourée de personnes que j’estimais bien plus talentueuses que moi, et aujourd’hui, je fais le métier dont je rêvais. Il a fallu pas mal de persévérance. Et oui, c’est une liberté, même créative. Je me dis toujours : « Si tu es là, c’est qu’on te fait confiance, alors, exprime-toi ! ». La pire chose serait d’avoir fait ce chemin et de finalement juste se satisfaire de rentrer dans le rang.

L’opposition entre cinéma et séries est-elle toujours pertinente ?

Il y a cinq ans, mon agent me conseillait de faire un long-métrage après Skam. J’avais des propositions. Mais la ligne d’horizon a changé. Faire une série est tout aussi valable et important que de faire un premier film aujourd’hui. On parle de créativité et de liberté à chercher. En termes de moyens, les frontières sont plus minces que jamais. Quand on fait un premier long-métrage, si on se débrouille bien, on aura entre 1,5 million et 2 millions d’euros pour le faire. Il est singulier de ce dire qu’1,5 million d’euros, c’est le budget normal d’un épisode de 52 minutes. Je veux croire à une sorte de roue du temps. Là, les gens sont accros aux séries… J’avoue être très sensible et actuellement très en demande d’expérience plus courte. Retrouver l’intensité du cinéma dans la série, c’est tout ce qu’on recherche. Il n’y a pas une note d’intention que je vois présentement qui ne parle pas d’une série à vocation cinématographique.

On a l’impression que les scénaristes ont pris le pouvoir dans le monde des séries, comment vivez-vous cela ?

Je crois en la force collective. Il n’y a pas si longtemps, dans le cinéma, c’était « une production de », avec le nom du scénariste et le nom du réalisateur en plus petit. C’est cohérent, le producteur est celui qui crée l’équation qui aboutit ça. Les producteurs se déterminent souvent comme des dénicheurs de talents, des gens qui donnent des moyens aux talents, mais il faut du talent pour créer cette équation-là. Je vois chaque jour des séries sauvées sur le banc de montage et qu’on fait plus attention aux auteurs, et c’est normal. Mais qu’est-ce qui empêcherait les monteurs, alors que tout le monde s’accorde à dire que c’est la troisième écriture du projet, de réclamer bientôt la même exposition ? J’ai toujours du mal à ne pas y voir quelque chose d’assez égotique. Je comprends, que quelqu’un qui a été invisibilisé, a envie d’apparaître. Mais la réalité de la création d’une série, d’un film ou de toute œuvre artistique est toujours bien plus complexe. Oui, c’est un sujet sensible. La réalité, c’est qu’on travaille tous ensemble et que les équipes qui travaillent le mieux ensemble aboutissent en général au meilleur projet.

Vous vous verriez ne mettre en scène qu’un seul épisode d’une série ?

C’est amusant, parce qu’on me le propose actuellement. C’est compliqué, il faudrait que ce soit une série très particulière pour que j’y aille. Je n’ai jamais eu ce rapport-là… Sinon, je ne serais pas resté trois ans sur Skam, je ne serais pas allé sur Germinal, alors qu’on me proposait Mixte. Ce qui a fait la différence, c’est qu’on me disait : « Tu arrives et tu t’empares de la série ». J’ai besoin de cette liberté plutôt que de me demander si je ne vais trop bousculer les codes. Intervenir en special guest sur des épisodes n’est pas ma priorité pour l’instant.

Qu’est-ce qui fait votre style ?

Il est en permanente évolution. La réalité, c’est que j’aborde toutes mes séquences avec une totale sincérité. Je montre les événements, les regards, tels que je les vois au quotidien. Dans Skam, les séquences de baisers ou d’élan amoureux qui sont restées dans l’imaginaire collectif, il n’y a rien de trafiquer là-dedans, je n’ai fait que porter à l’écran la vision que j’avais, adolescent, de ces moments plus grands que la vie. J’essaye de m’écouter. Je ne suis pas fixé sur une grammaire particulière. Jean-Pierre Jeunet disait récemment qu’avoir un style trop marqué était la meilleure façon de devenir has been. Je veux croire que l’histoire s’impose à moi, on en revient à l’importance des auteurs. J’aime être mis au défi par une histoire, me sentir en danger, c’est ce qui me rend le plus créatif.

Victor Hugo disait : « La forme, c’est du fond qui remonte à la surface »…

C’est une de mes marottes !

Quelles séries vous ont bluffés dernièrement en termes de réalisation ?

J’ai été très impressionné par le pilote, exclusivement le pilote, de Yellowjackets, une sommité de réalisation et d’écriture. L’objet est assez impressionnant, il n’y a rien qui dépasse, le savoir-faire américain poussé à son paroxysme. Je suis amoureux des performances des comédiens de Succession. Même si je trouve que la saison 3 est un péché d’orgueil, il fallait arrêter sur le final de la saison 2 absolument démentiel. Mais, il faut continuer, c’est le capitalisme. C’est peut-être ça le problème des séries, savoir quand s’arrêter. J’ai découvert très récemment les trois premières saisons de Game of Thrones, en me demandant pourquoi les gens étaient devenus aussi accros, et surtout, pourquoi un public si large était tombé accro. Même si la série est assez machiste dans ses premières saisons, j’ai été quand même assez soufflé par ce travail qui respire l’artisanat. J’aime sentir que plein de personnes se sont posées autour de la table pour se demander comment faire la meilleure série possible. Et je le sens à des kilomètres.

Quels sont vos futurs projets ?

Je développe depuis des mois un projet qui me tient énormément à cœur qui se déroule au début du XIVe siècle, sur le Moyen Age vu à travers un regard féminin. Et je peux vous assurer qu’on n’est pas loin du projet de ma vie !

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