Je n'aime pas Noël, mais vraiment pas

Chère maman, cher papa, cher frère, chère soeur, moyennement chers belles-soeurs et beaux-frères, tonton lourdingue, tatie grincheuse, chers petits monstres boutonneux, etc.

Rassurez-vous, ce n’est pas moi qui suis avec vous ce soir, je n’ai pas pu. Le vrai moi est resté à South Park, un des seuls endroits sur cette terre où l’hypocrisie, la morale et le familialement correct ont cédé la place aux vrais visages, aux sentiments les plus inavouables. Celle qui est venue est juste une grenade dégoupillée qui risque d’exploser la bûche et les ravis de la crèche. La sainte ambiance de Noël, les retrouvailles familiales, il paraît que ça en comble certains, moi, ça me déclenche. Mais au fond, c’est bon signe : nous sommes simplement une vraie famille, dysfonctionnelle comme les autres. Chaque année, on se prend les pieds dans notre vieux tapis plein de trous.

D’où mon absente présence. Car jouer le rôle que vous attendez de moi devient de plus en plus difficile à mesure que ma psychanalyse avance. Et comme Noël est le théâtre de tous les règlements de compte, on va se parler franchement. 

Toi, maman, qui m’a élevée à : « Ta soeur est vraiment une belle fille. Toi, tu as de la personnalité. » Ecoute-la ce soir : « Maman, tu m’as préparé une assiette de salade sans sauce ? » Et toi, tatie grincheuse, qui engueule tonton lourdingue. Oui, il balance des vannes salaces, et alors ? Au moins, il y en a deux qui se marrent : lui et Lulu, le petit dernier. T’as raison, tonton, descendons cet âpre brouilly qui était dans le guide des vins 2014. Celui à 5,05 la bouteille. Noël, c’est comme beaucoup de mariages, on fait genre. Genre on est trop contents de se voir. Genre on s’entend tellement bien qu’on s’est fait des cadeaux. Cette année, c’est moi qui m’occupais du tien, Lulu. Tu as 7 ans, oui, tu es le petit prince héritier. Je voulais te prendre un Lego Ninjado Destructoïde, un truc qui dézingue. Ta maman devait avoir peur de ma funeste influence, à la place elle t’a acheté une panoplie du petit naturaliste. J’étais chargée du cadeau, alors j’ai remboursé ta mère. Et je t’ai quand même offert mon Destructoïde. Si j’explose la bûche, sûre que tu viendras en renfort, Lulu. T’aime bien la rigolade, toi, et le pâté. Ta mamie te corrige : « Du foie gras, mon chéri. » Les frères et beaux-frères parlent fric et voyage, obéissant à papa qui nous a fait promettre de ne pas parler politique. C’est vrai, l’an dernier, j’avais voulu quitter la table sans oser. Evidemment. Pauvre de toi, mon père, qui ne reconnaissais plus le marché où tu vas faire tes courses le dimanche : il y a plus de burqas que de Français ! Encore une fois, chacun joue son rôle. Jusqu’à l’écoeurement. 

La gueule de bois est l’un des effets secondaires de Noël. Si on boit tant, d’ailleurs, c’est que l’épreuve est rude. L’an prochain, j’arrêterai peut-être d’être l’ado rebelle de la famille. Et toi, maman, tu découvriras peut-être que je suis jolie et que tonton lourdingue est un vrai ambianceur. Peut-être qu’alors on formera une famille d’Epinal. Comme les autres.

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