"Je m'excuse tout le temps"

  • Les excuses, du naturel au vice
  • Un "réflexe" qui décrédibilise
  • Une habitude nourrie par un manque de confiance en soi
  • Prendre position pour soi-même et analyser son discours intérieur
  • Comment ne plus "trop s’excuser" ?
  • Embrasser le droit à l’erreur

« Ce n’est pas un trait que je mets en valeur, il me fait même honte ». D’emblée, Louise exprime son désarroi lorsqu’il s’agit d’évoquer un trait bien précis de sa personnalité : elle s’excuse sans cesse.

« Je suis le genre de personne qui demande pardon lorsqu’on lui rentre dedans dans la rue ou, c’est caricatural, mais je m’excuse aussi que je rentre dans un meuble », ajoute-t-elle.

C’est bien simple, la phrase qu’on lui répète le plus au quotidien tient en trois mots : « arrête de t’excuser ».

Les excuses, du naturel au vice

S’excuser à outrance n’est pas un phénomène rare, il touche même en grande majorité les femmes, explique Delphine Py, psychologue spécialisée en thérapies cognitives et comportementales.

À l’origine, la démarche est primordiale pour entretenir des relations saines et apaisées, car reconnaître ses torts permet de résoudre des conflits. « Le fait de s’excuser est relié à l’empathie, c’est donc naturel, cela a une fonction d’ajustement social », complète la thérapeute.

Le faire régulièrement serait même perçu d’une façon positive. Une étude publiée en mars 2023 dans la revue Personality and Social Psychology Bulletin avance que les personnes qui s’excusent plus fréquemment sont perçues comme des personnes plus sociables, qui attirent la sympathie et suscitent davantage la confiance.

Mais demander pardon à outrance peut devenir un vice qui, s’il n’empiète pas toujours sur les relations des personnes concernées, complique celle qu’ils ou elles entretiennent avec eux-mêmes.

Un « réflexe » qui décrédibilise

Juliette se dit parfois qu’elle devrait s’affirmer davantage. S’excuser trop souvent ne la met pas en valeur, estime-t-elle. Parfois, ça l’énerve. « Avec mes amis c’est lourd, par moments, c’est vraiment par réflexe« , raconte-t-elle.

Pourtant, la jeune femme de 27 ans a bien conscience que cet automatisme est excessif. Dernièrement, elle se souvient s’être à nouveau excusée lorsqu’elle a découvert l’enterrement de vie de jeune fille que ses amies lui avaient préparée. « Désolée que cela vous ait pris autant de temps », leur a-t-elle dit.

Arthur* évoque aussi un mécanisme devenu presque naturel, « comme quelque chose que je fais par défaut, une phrase placée automatiquement« . Problème : « Ça me décrédibilise », ajoute-t-il.

Au travail, ça peut porter défaut, car ça inverse le rapport de force, et tu te retrouves à te faire bouffer.

Il est d’autant plus difficile de gérer cette habitude, car elle s’installe parfois dans toutes les sphères de la vie. Arthur raconte avoir tendance à s’excuser face aux clients pour lesquels il affrète des vols, bien que certains problèmes techniques qu’ils rencontrent ne soient pas de son ressort. « Au travail, ça peut porter défaut, car ça inverse le rapport de force, et tu te retrouves à te faire bouffer », explique-t-il.

Les liens amicaux, si forts soient-ils, n’y échappent pas non plus. Si Louise parvient, non sans mal, à se défaire des excuses excessives dans sa vie professionnelle, elle demande souvent pardon lorsqu’elle a besoin d’être accompagnée : « dans un groupe d’amis, lorsque je fais appel à l’autre et que je demande un soutien émotionnel, je vais me confondre en excuses et dire ‘désolé de me plaindre, désolé de pleurer’ ».

Si cette habitude ne ternit pas ses relations avec ses proches, Louise sent tout de même qu’elle a des effets sur sa façon de s’exprimer. Alors, elle se restreint et parle vite, par impression de déranger celles et ceux qui l’entourent. Mais, elle l’affirme : les personnes à qui elle tient le plus au monde sont celles avec qui elle ne s’excuse pas d’être.

Une habitude nourrie par un manque de confiance en soi

Sur le long terme, s’excuser sans cesse nuit à la perception de soi-même et s’explique le plus souvent par un manque de confiance en soi.

« Si on s’excuse, c’est qu’on se sent coupable, explique Delphine Py. On s’excuse d’avoir mal agi, on estime avoir mal agi, et cela entretient la mauvaise estime de soi« .

Ce réflexe est si fort qu’il puise parfois ses fondements dans l’histoire personnelle de chacun. Sarah* sait exactement d’où lui vient cette habitude. « J’ai toujours entendu ma grand-mère dire ‘mais qu’est-ce qu’ils vont penser ?’, et elle a légué ça à ma mère qui me l’a légué, donc on était toujours dans une démarche où on ne voulait pas déranger », retrace cette femme de 25 ans.

Très timide durant son adolescence et peu sociable, elle craignait de déranger, de faire tache et s’excluait des groupes. Et, par-dessus tout, elle ne voulait pas faire de vagues. Là, Sarah évoque le divorce de ses parents. « Je me disais qu’ils sont séparés et je ne voulais pas en rajouter, je ne voulais pas déranger et je m’excusais pour des choses inutiles », se souvient-elle.

Une rupture, qu’elle nous concerne ou non, est parfois tellement bouleversante qu’on n’en ressort pas indemne. Juliette se souvient d’une séparation très douloureuse vécue à l’adolescence. Alors que cette relation lui avait donné de l’aplomb, son point final a emporté avec lui la confiance qu’elle se portait. Les six années qui ont suivi ont été difficiles. « J’ai pris du poids, j’ai perdu mes cheveux, et j’ai commencé à m’effacer un peu », raconte-t-elle.

Parfois, aussi, aucun traumatisme n’est la cause de ce réflexe. Arthur évoque quant à lui une simple sensibilité et une aversion pour le conflit, une volonté d’être le plus pacifique possible. Un trait de caractère commun aux personnes qui ont l’excuse facile. « Je préfère couper court que de passer des heures à débattre pour que l’autre admette qu’il ou elle a tort », explique-t-il.

Pour Delphine Py, « si on s’excuse beaucoup, c’est une forme d’évitement émotionnel, à savoir le mauvais jugement de l’autre », détaille la thérapeute. « Si on demande pardon, on évite le conflit et le jugement, et souvent c’est lié à l’anxiété », ajoute la thérapeute. 

Prendre position pour soi-même et analyser son discours intérieur

Si Louise s’amuse de la situation avec son entourage, « car il faut rire de soi », elle avoue espérer changer ce trait de caractère. Déjà, au travail, elle rédige ses mails différemment. « J’essaie de mettre moins certaines formulations, car les autres ne s’embêtent pas avec ça », donne-t-elle en exemple.

Toutefois, elle estime ne pas avoir besoin de changer dans le cadre amoureux et amical : « C’est ce que je suis et ces personnes m’aiment pour qui je suis. Ils m’offrent un espace où je peux être moi-même et assumer tous ces petits défauts. »

Sarah s’est quant à elle légèrement défaite de son réflexe avec l’expérience, en étant notamment un peu plus impliquée dans les conflits. « Je restais en périphérie, mais quand des gens s’en prennent à toi, au bout d’un moment, il faut arrêter de s’excuser », lâche-t-elle, en assurant être sortie de sa coquille et avoir pris confiance en elle.

Comment ne plus « trop s’excuser » ? 

Dans certaines situations, il s’agit en effet de prendre position pour soi-même. Arthur avance par exemple l’importance pour lui de « l’ouvrir » et d’arrêter de s’excuser inutilement.

Delphine Py conseille de son côté de prendre du recul et de se poser les bonnes questions. Est-ce que j’étais vraiment fautive dans cette situation ? Devais-je vraiment m’excuser ? Est-ce que la personne va m’en tenir rigueur si je ne m’excuse pas ?

« Au lieu de dire ‘excusez-moi, je suis en retard’, dites plutôt ‘merci de m’avoir attendu’ »

Vient ensuite l’heure de l’auto-évaluation : « il faut repérer quelles excuses étaient adaptées et celles qui ne l’étaient pas, puis se fixer des objectifs progressivement », indique la thérapeute.

Elle rappelle d’ailleurs l’importance de ne pas s’excuser de ressentir certaines émotions, si les faits reprochés ne sont pas de notre responsabilité ou si on ne les contrôle pas. Face à l’autre, la compassion ou la gratitude devraient aussi remplacer l’excuse. « Au lieu de dire ‘excusez-moi, je suis en retard’, dites plutôt ‘merci de m’avoir attendu’ », prend ainsi l’experte en exemple.

Embrasser le droit à l’erreur

La majorité du travail à accomplir réside finalement dans l’affirmation de soi. Si demander pardon comporte des bienfaits, refuser de le faire en possède aussi. Des chercheurs ont en effet démontré que cela entraînait une plus grande estime de soi et l’augmentation du sentiment de pouvoir et d’intégrité des valeurs.

Attention toutefois à la dérive inverse, car certaines personnes ont aussi la fâcheuse tendance à ne jamais s’excuser, et c’est ici une autre histoire.

Dans le cas des excuses intempestives, Louise remarque du changement avec l’âge. « Je le vois entre ma version adolescente et la femme que je suis aujourd’hui… il y a tout un monde. Je m’excuse beaucoup moins maintenant et je m’embête moins à plaire à tout le monde, même si c’est loin d’être évident », confie-t-elle.

Cesser de demander pardon à tout-va nécessite donc une certaine observation de soi-même. La démarche pousse même à être bien plus doux au regard de ses relations avec autrui. Car si ce réflexe traduit souvent un besoin de fuir le conflit, il s’explique aussi par la peur d’entrer en désaccord avec l’autre ou de le contrarier.

Ici, Delphine Py rappelle un élément essentiel : le droit à l’erreur. Car, « oui, je ne suis pas parfait et j’ai le droit de l’être. »

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* Les prénoms ont été changés. 

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