Je culpabilise de me mettre en arrêt maladie

  • L’arrêt maladie vu comme une option plutôt qu’un besoin
  • La culpabilité de laisser s’accumuler le travail ou de le déléguer
  • La hiérarchisation des pathologies

“J’ai tendance à me dire que ce n’est qu’un petit rhume, une petite déprime, ou un coup de fatigue, donc pas de quoi alerter qui que ce soit”, raconte Estelle, assistante administrative de 33 ans.  

Selon une étude du groupe de protection sociale Malakoff Mederic Humanis de 2019 – hors Covid donc – les salarié.es sont de plus en plus nombreux.ses à ne pas respecter l’arrêt de travail prescrit, 28% des sondé.es ayant avoué ne pas avoir respecté les consignes de leur médecin après un arrêt maladie établi, “soit 9 points de plus en 3 ans”, écrivait à l’époque, BFM TV.

“Ce n’est pas surprenant, je rencontre souvent ce comportement, notamment vis à vis de problématiques psychologiques. Il est très courant que les personnes reçoivent un arrêt du médecin, mais qu’ils n’en fassent pas part à l’assurance maladie et ne le prennent pas”, réagit Mélissa Pangny, psychologue du travail. 

L’arrêt maladie vu comme une option plutôt qu’un besoin

“Honnêtement, tant que je tiens debout, je vais au travail. Parfois, on n’a pas le choix. Dans mon entreprise, c’est un peu ‘marche ou crève’”, témoigne Marianne*, 47 ans et salariée dans un hôtel. 

Et cette pression de l’entreprise – souvent déguisée – est sûrement l’origine de beaucoup d’arrêts non respectés, ou refusés. 

« Souvent, les personnes ont beaucoup de mal à se dire que l’arrêt peut être bénéfique. Pour certains, se mettre en retrait du poste pendant un certain temps peut aider, pour travailler sur leurs soucis, parce que l’arrêt maladie, en temps que tel, ne soigne pas les problématiques du poste », explique Mélissa Pangny.

Le temps accordé au salarié dont la santé (physique ou mentale) ne lui permet pas de travailler doit être respecté – par lui-même et son entreprise – pour résoudre le problème en question, au risque de le voir évoluer et devenir incapacitant. 

“C’est aussi valable pour les personnes qui écourtent leurs arrêts. Certains veulent reprendre vite, ont une envie irrépressible de vérifier leurs mails, voient que les choses s’accumulent… et ne peuvent donc pas se reposer comme il se doit”, explicite la psychologue du travail. 

La culpabilité de laisser s’accumuler le travail ou de le déléguer

Au-delà de la pression de l’entreprise qui a tendance à encourager au maximum le présentéisme, la culpabilité de voir ses collègues récupérer sa charge de travail est une autre raison pour la/le salarié.e de ne pas écouter son corps. 

“Je sais que nous avons déjà trop de pain sur la planche. Je déteste quand ma binôme est malade parce que c’est une source de stress en plus, donc je ne veux pas qu’elle soit dans la même situation par ma faute”, raconte Rose, qui avoue même avoir travaillé alors qu’elle était “bien diminuée” par une infection au Covid-19.

Cette culpabilité est quasi systématique et est souvent due à la charge de travail qu’on laisse à ses collègues, ou à la sienne, quand on reviendra. Parfois c’est un non-sens pour certains : si le problème est la charge de travail et qu’on est arrêté pour burn-out, on se dit que si on se met en arrêt, ça va être pire”, argue Mélissa Pangny. 

Et d’autant plus quand – volontairement ou non – les collègues viennent “prendre des nouvelles”, à coups de “quand est-ce que tu reviens ?”, “c’est dur, il y a beaucoup de travail”…

“C’est très stressant. Certains vont même penser que c’est le chef qui essaie de leur faire passer un message, parce qu’il n’ose pas appeler, comme c’est interdit de prendre contact pour le travail avec le salarié en arrêt. Peut-être que c’est à raison aussi, il n’y a pas que de la paranoïa, mais les personnes peuvent penser que les collègues viennent sonder pour savoir si on envisage de le remplacer, ou d’attendre la fin de l’arrêt”, élabore la psychologue du travail.

Si l’experte n’a rien contre l’idée de prendre des nouvelles, elle rappelle qu’il ne faut pas que ça mette la pression à la personne. Le bon réflexe est de ne pas évoquer la vie de bureau dans la conversation, même si le/la malade pose des questions à ce sujet.  

La hiérarchisation des pathologies 

Mais encore faut-il que l’arrêt maladie ne soit pas stigmatisé ou remis en question. Quand Matthieu a fait un burn-out à seulement 26 ans, c’était hors de question pour lui de s’éloigner de son poste. 

« Déjà, je ne pouvais pas laisser le travail encore plus s’amonceler et surtout, je ne voulais pas que mes collègues sachent. L’arrêt que mon médecin m’avait fait était long, je ne pouvais pas dire que j’avais un rhume ou même la grippe”, se souvient l’ancien commercial, aujourd’hui reconverti dans l’éducation. 

J’ai eu droit à des remarques du type ‘alors, ça prend des vacances aux frais du contribuables’.

Parce qu’au-delà de l’image médicale de la maladie, il y a son image sociale. “Le burn-out, les problèmes de harcèlement, ça ne se dit pas et ça ne se voit pas. Quand vous vous brisez un os, les autres vous souhaitent un prompt rétablissement et ça s’arrête là. Sauf que dans une problématique plus psychologique, ils posent toujours des question, parce que ces pathologies sont stigmatisées”, confirme Mélissa Pangny.

S’il a dû s’arrêter parce qu’il “n’en pouvait plus”, Matthieu a eu droit à des remarques du type “alors, ça prend des vacances aux frais du contribuables”. Voilà pourquoi, selon notre experte, il est important d’initier une coupure avec la vie de bureau, quitte à se forcer.

“L’arrêt, ce n’est pas de tout repos. Les personnes travaillent sur elles. Avec notre aide, elles tentent de comprendre ce qui fait qu’elles se sentent mal à ce point. La première étape, c’est de faire accepter l’arrêt maladie, pour travailler sur d’autres thématiques. On peut choisir de vivre pour son travail ou non, mais on ne peut le laisser nuire à notre santé dans aucun cas”, martèle Mélissa Pangny.

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