"J’ai échappé au destin de ma mère grâce aux livres"

« Ma mère a tout misé sur sa beauté. Pour sortir de son milieu paysan, brutal, elle a privilégié ce qui pouvait lui apporter de la liberté.

Elle avait remporté un concours de miss locale. Elle correspondait aux canons de son temps, l’après-guerre, un profil à la Bardot, très jolie, très yéyé. Une poupée qui a construit sa vie entière sur son apparence. Toute petite, j’ai su intuitivement que je ne voulais pas lui ressembler. Quand j’étais enfant, elle passait trois heures dans la salle de bain chaque matin, sortait de la maison, ongles et maquillage impeccables, sublime mais à midi.

Pour moi, c’était incompréhensible. Ma mère prenait soin de moi. Elle s’est occupée de mes leçons de piano, de mes chaussures cirées… Pas du tout de mon cerveau. Elle a délégué mon éducation intellectuelle à mon père. Un architecte lettré, fou d’Aragon et de Breton, qui m’a mis très tôt des livres entre les mains. Mary Poppins1, c’était moi. Ce personnage de femme très apprêtée et libre à la fois a été, je m’en aperçois rétrospectivement, un modèle féministe pour moi. J’ai dû le lire cinquante fois.

Aucun désir de revanche sociale

Les livres ont favorisé l’éveil de mon esprit critique face aux comportements maternels que je trouvais absurdes. Car ma mère était le stéréotype de la femme au foyer. Elle n’avait aucun désir de revanche sociale.

En fait, elle a fait profession de sa beauté. Mon père était fidèle, il l’adorait. Elle avait des amants, elle était volage. Se servir de son corps en échange d’un bénéfice matériel, c’est très classique, paradoxal aussi : sa beauté lui a donné une liberté mais elle a été à la solde financière des hommes toute sa vie.

Source: Lire L’Article Complet