J’ai avorté pendant le confinement, COVID ou pas, il y a des choses qu’on ne peut pas accepter
Safiya* a eu recours à une IVG durant le confinement. Une expérience qu’elle juge traumatisante et sur laquelle elle s’est épanchée d’abord sur Twitter et ensuite sur notre site. Témoignage.
« J’ai découvert la veille de l’annonce du confinement total que j’étais enceinte, alors que j’avais un DIU. Et en tant que femme, j’ai été particulièrement choquée de la façon dont la procédure d’IVG a été prise en charge par le personnel médical. COVID ou pas, il y a des choses qu’on ne peut pas accepter. J’ai choisi de le faire en hôpital public parce que c’était le plus simple et le service gyneco traite les IVG comme procédure d’urgence. Il faut également savoir que j’habite normalement en outre-mer mais que je me trouvais en Hexagone en vacances quand j’ai appris ma grossesse.
Durant tout le process, j’étais seule aux RDV car je n’avais pas le droit de venir accompagnée du fait du COVID. J’ai eu au début un rendez-vous avec la gyneco. Pour me rendre jusqu’au service gyneco, j’ai dû traverser un couloir avec plein de photos d’adorables bébés et de femmes enceintes, de couples attendant un enfant. Et c’est le cas pour toutes les femmes qui recourent à une IVG à l’hôpital de la ville où j’étais.
Les murs de la salle d’attente sont placardés d’affiche du type « projet bébé ? Nous
pouvons vous aider ! ».
À côté de moi, il y avait des femmes enceintes jusqu’au cou
Bref, j’avais déjà les larmes aux yeux en attendant mon tour. Le bureau de la gynécologue est aussi placardé de photos de bébés. C’est super violent quand tu viens pour une IVG. En plus de ça, la
gynécologue sans être violente n’était pas spécialement bienveillante et agréable. Je suis sortie du RDV le cœur brisé, complètement seule. En plus, je venais d’avoir la confirmation que mon DIU n’avait pas bougé d’un poil.
« J’étais la femme sur 1000 qui tombe enceinte sous DIU »
Le lendemain, j’avais rendez-vous avec la sage femme pour procéder à l’IVG médicamenteuse. C’était dans le service naissance, où sont accueillis les femmes en travail et leurs nouveaux bébés. On m’a fait attendre dans la « salle des familles » où attendent généralement les futurs papas et les familles. Une fois de plus, j’ai trouvé ça super violent. On le répétera jamais assez mais au stade de quelques semaines d’aménorrhée (5 dans mon cas) on attend pas un bébé, c’est un œuf gélatineux; pas besoin de faire des rappels de ce que pourrait devenir l’œuf gélatineux. On sait très bien que ça se développe en fœtus plus tard.
Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’IVG.
La sage femme était très bienveillante, ça par contre je le reconnais. Je lui ai expliqué la violence de la disposition de leurs locaux et elle m’a expliqué que beaucoup de femmes le lui avaient déjà dit, et qu’elles se sentaient mal quand des jeunes filles ado venaient et voyaient ça. J’ai 24 ans et ça m’a brisé le coeur, pas une question d’âge.
Simone Veil le disait, aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’IVG. Personnellement, je vis la pire période de ma vie. Elle m’a ensuite expliqué que le budget de l’hôpital ne permettait pas pour l’instant de faire des locaux séparés. Oui, sauf que décrocher des affiches et faire des locaux un lieu neutre, ça coûte rien du tout. À croire que tout est fait pour nous faire regretter notre choix. Des fois on a pas le choix. La configuration de notre vie fait qu’on préfère ne pas être mère plutôt que d’en être une mauvaise. Et de tout de façon, on a pas à se justifier. Le droit à l’IVG n’est pas à questionner. Bref. Après au niveau de son entourage, c’est important d’être entourée. Je l’ai été, même si j’étais obligée d’aller aux RDV seule.
Je me suis sentie abandonnée
J’avais un rendez-vous téléphonique post-IVG le 06/04. On m’a dit d’être à l’heure près de mon tel, impossible de le faire en présentiel parce qu’avec le COVID, ils limitent au max nos déplacements à l’hôpital. Soit. Sauf que j’étais collée à mon tel ce jour là et ils m’ont jamais appelée. Moi je suis triste seule, je dois guérir de l’IVG mais c’est à moi d’appeler, leur rappeler mon RDV qu’ils ont pas honoré ? J’ai pas eu la force. J’ai abandonné. Je me suis sentie abandonnée. Et juste comme ça, le personnel hospitalier m’a mise en danger. L’IVG n’est pas une procédure sans risque, au delà du risque d’échec il y a le risque important d’hémorragie, voilà pourquoi la visite de contrôle à l’issue de l’IVG est obligatoire et garantie par la loi.
Le 04 Avril, j’ai fait une prise de sang pour confirmer la réussite de la procédure, et comme personne ne m’a appelée le 06/04 pour analyser les résultats de la prise de sang avec moi, j’ai dû utiliser Doctissimo pour comprendre le taux hormonal affiché et comprendre que l’IVG avait bel et bien fonctionné. Et comme je n’étais pas dans l’état psychologique pour relancer l’hôpital, jusqu’à l’apparition de mes nouvelles règles un mois après la procédure, j’avais toujours la peur que la grossesse ait en réalité continué (étant donné que mon taux hormonal était toujours positif mais avait drastiquement diminué). J’ai donc dû m’auto rassurer par Internet alors que la sécurité sociale a payé pour une visite de suivi qui n’a jamais eu lieu. Puisque bien sûr, le jour où j’ai vu la sage femme, j’ai dû transmettre à l’accueil en quittant l’hôpital le papier garantissant le rendez-vous le 06/04 afin qu’il soit pris en charge par la sécurité sociale.
Il y a aussi l’entourage. Une amie m’a dit spontanément quand je lui ai annoncé ma grossesse et que je voulais pas la continuer « oh tu vas pas avoir un beau bébé tout mignon alors ? ». J’ai fondu en larmes, elle s’est excusée. Une autre personne m’a dit, en parlant de mon ex, « oh il t’a fait un gosse ce connard en plus ! ». Non, c’est pas un gosse, à 5 SA c’est même pas un embryon complet, donc non.
Ces réflexions font mal. Les photos de l’hôpital font mal.
Une IVG, je pense sincèrement qu’on ne s’en remet jamais complètement. Faut faire vraiment attention si vous parlez à une femme ayant recours à l’IVG. Personnellement, je sais que c’était raisonnablement le bon choix, mais je me demande encore parfois comment aurait été ma vie si je ne l’avais pas fait.
On a pas besoin que l’hôpital transforme une grossesse non voulue en un bébé adorable, avec des photos et des affiches. Mon expérience n’est pas universelle, j’imagine que selon les hôpitaux, villes, docteurs, elle peut changer.
N’empêche, j’ai été très entourée par mes ami.e.s; mais avorter en plein COVID est une putain d’épreuve et ça me sidère que la demande de rallonger le délai exceptionnellement ait été une première fois refusée. Et même quand elle a finalement été acceptée, le délai rallongé ne concerne que les IVG médicamenteuses à la maison. Concrètement, ça veut donc dire qu’en temps normal, l’IVG médicamenteuse à la maison est possible jusqu’à 7 semaine d’aménorrhée, et qu’à cause de la situation COVID, elle est dorénavant possible jusqu’à 9 semaines. Sauf que les douleurs pour une IVG médicamenteuse à 7 semaines et 9 semaines d’aménorrhée sont totalement différentes. Cette mesure ne vise pas à faciliter l’accès des IVG, mais juste à décharger les hôpitaux: une femme à 9 semaines d’aménorrhée n’aura donc plus recours à l’IVG chirurgicale mais avortera chez elle, seule, alors que les risques sont bien plus importants. Concrètement, cela veut donc dire que cette mesure soit-disant pour les femmes ne fait que les mettre encore plus en danger, les isoler durant cette procédure peu évidente, et décharger les hôpitaux de leur travail d’accompagnement des femmes.
Une IVG est traumatisante
J’ai eu la chance d’être dans une ville relativement peu contaminée donc j’ai été prise en charge rapidement. Mais c’est pas le cas de tout le monde. Une IVG est traumatisante. Je vous passe les détails, mais même physiquement les douleurs et voir tout ce sang c’est déjà horrible. J’aurais eu besoin d’un peu plus de neutralité de la part de docteurs. Une pensée à toutes les femmes qui ont eu aussi recours à l’IVG. J’espère que mes propos n’ont pas ravivé des douleurs ou suscité une colère enfouie.
Et je tiens à préciser aussi que dans ma ville et mon département en général, il y a très très peu de cas de COVID donc l’hôpital est à priori pas débordé, encore moins les sages femmes qui soignent pas le COVID. Donc leur oubli du rdv est pour moi de la négligence. Et aussi, c’est important de le rappeler pour ceux qui tentent de culpabiliser les femmes avortantes en les accusant d’être non prudentes, que 75% des IVG en France concernent des femmes sous contraception. Dans mon cas j’avais un DIU parfaitement en place. Le DIU est fiable à 99%.
Après quelques semaines d’hésitation, j’ai fini par écrire à l’hôpital pour leur parler de ces photos traumatisantes, du cadre d’accueil et surtout du manque de suivi après la procédure. J’ai eu une réponse, apparemment la commission des usagers va faire une enquête pour tenter de comprendre la mauvaise prise en charge. Si, au passage, ils arrivent à comprendre pourquoi ils ont décidé d’afficher des bébés au nez des femmes recourant à l’IVG, et surtout ils prennent la décision de les enlever, j’estime que mon expérience aura au moins servi. »
* Le prénom a été modifié
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