Interview de Jacques Rouveyrollis : “Les artistes sont tous jaloux et possessifs !”

Il a mis en lumière Johnny, Barbara, Polnareff, Berger et tant d’autres. Nouvel éclairage sur d’inoubliables souvenirs.

Tel un magicien, il a inventé un métier qui n’existait pas et, depuis près de soixante ans, éclaire de son génie les plus grands noms du théâtre et de la chanson. Dans un ouvrage passionnant intitulé Mes années lumière (éditions de l’Archipel), il revient sur son parcours aussi inattendu que lumineux !

France Dimanche : Vous remémorer toutes ces aventures a dû être réjouissant, non ?

Jacques Rouveyrollis : Très ! Dès 1974, j’ai commencé à tout noter dans des agendas, dans lesquels je me suis replongé pendant les confinements. Tout remontait à la surface, jusqu’à me réveiller la nuit… À tel point que j’avais l’impression d’écrire l’histoire de quelqu’un d’autre !

FD : Avez-vous toujours eu envie d’éclairer les autres ?

JR : Non, ça s’est fait par hasard. Enfant de l’après-guerre, j’étais un élève médiocre, mais je remercie mes professeurs d’avoir si peu réussi à m’intéresser, ce qui m’a laissé tout le loisir de rêver, rêver ma vie « en lumière » ! Tout a commencé avec un groupe originaire de Colombes (Hauts-de-Seine) que j’aimais écouter et imaginer en lumière. Ils m’ont embarqué en tournée avec eux. J’ai tout appris sur le tas. Et j’ai toujours la même passion aujourd’hui.

FD : Vous êtes un des pionniers de ce métier…

JR : Tout à fait. Lorsque j’ai commencé, en 1965, on était trois ou quatre sur la planète à faire ça ! À l’époque, les mecs étaient juste éclairés par des rampes néons. Regardez des vidéos des Beatles ou des Rolling Stones à leurs débuts, il n’y a rien ! Je suis arrivé à la création de ce métier, et c’est ce qui a été ma chance.

FD : Johnny Hallyday, Barbara, Michel Polnareff, Sylvie Vartan, Jean-Michel Jarre, Dorothée…, le « p’tit gars de Grenoble » imaginait-il collaborer avec tous ces grands ?

JR : Jamais ! Je suis né au milieu de deux sœurs, Pierrette et Danièle, et c’est l’aînée, fan de Juliette Gréco et de Marina Vlady, qui m’a un peu initié à tout ça. Car moi, ni musicien ni fan de vedettes, j’étais plutôt branché sports, ski et course à pied.

FD : Ce sont les histoires ayant mal commencé qui ont souvent été les plus fortes…

JR : En effet. Avec Barbara, par exemple, ça avait très mal démarré, parce que je lui tenais tête et lui disais la vérité. Ce dont elle avait besoin, en fait. Et notre amitié a duré plus de vingt ans, jusqu’à sa mort.

FD : Vous écrivez qu’elle était très jalouse…

JR : Oh là, oui ! Mais ils sont tous jaloux et possessifs ! Ils vous veulent tous en exclusivité et vous font une crise dès que vous allez travailler avec un autre, prenant ça comme une véritable trahison !

FD : Malgré vos 77 ans, vous semblez n’avoir aucune envie d’arrêter ?

JR : Jamais ! Je suis payé pour rêver et faire rêver, quel est l’imbécile qui dirait « stop » ? Pas moi en tout cas ! Quand on vit d’une passion, on voit la vie différemment.

FD : Qui éclairez-vous en ce moment ?

JR : Je travaille avec Chimène Badi, qui chante Piaf. Elle est extraordinaire, cette gosse ! Ainsi qu’avec Richard Gotainer, au Lucernaire, et sur des pièces de théâtre, comme Un couple magique, avec Stéphane Plaza, qui est actuellement en tournée.

FD : Livrez-nous quelques secrets ou habitudes de toutes ces stars…

JR : Elles ont chacune leurs petites manies. En voyant Johnny un quart d’heure avant d’entrer en scène, avachi dans sa loge sur un canapé, épuisé, à chaque fois je me disais : « Mon Dieu, mais il n’y arrivera jamais ! » Pourtant, il enfilait le costume et, instantanément, c’était un autre homme, il devenait Johnny Hallyday ! Barbara, elle, aimait se nourrir du public dès l’ouverture des portes. Elle s’asseyait dans un rocking-chair derrière le rideau encore fermé et écoutait les gens entrer dans la salle…

FD : D’autres anecdotes ?

JR : Serge Gainsbourg prenait un malin plaisir à mettre le bazar au début de ses concerts en changeant les gens de place. Il disait à une dame assise à la troisième rangée : « Venez donc au premier rang, Madame, vous serez bien mieux ! » Il fallait alors vite l’arrêter, car ça devenait un vrai capharnaüm ! Aussi, il fumait invariablement 25 cigarettes et, à la vingt-cinquième, c’était la fin de son tour de chant. Pour ce qui est du trac, certains tentent de dormir, d’autres ont besoin de l’évacuer en amusant la galerie, d’autres encore préfèrent s’isoler…

FD : Encore ? On adore…

JR : Lorsqu’on m’a présenté à Léo Ferré, il m’a dit « C’est toi l’artiste des lumières ? » Impressionné, j’ai répondu : « Oui ». Ce à quoi il a ajouté : « Tu vois là, j’ai gardé exprès une touffe de cheveux blancs pour bien accrocher ta lumière ». Quant à Michel Sardou, il ne faut pas le déranger, il a besoin de longues minutes de concentration dans sa loge où très peu de gens peuvent pénétrer.

FD : Avaient-ils besoin que vous les rassuriez ?

JR : Toujours. C’est pourquoi j’ai mes petites phrases rituelles pour détendre l’atmosphère… « Je ne voudrais pas vous inquiéter, mais tout va très bien ! » ou « Heureusement que ce n’est pas ce soir ! » En général, ça les fait marrer !

FD : Vous aviez aussi une relation particulière avec Sylvie Vartan…

JR : Elle a été mon porte-bonheur ! C’est avec elle que j’ai rencontré Annie Girardot et Bob Decout, mais aussi le metteur en scène Jean-Luc Tardieu, qui m’a ouvert les portes du théâtre en grand alors que j’étais parti pour faire du rock’n’roll toute ma vie ! Et grâce à lui, en 2000 puis en 2002, j’ai décroché deux Molières. Deux des premiers Molières de la meilleure lumière ont donc été gagnés par un rocker !

FD : Un souvenir inoubliable pour finir ?

JR : Avec Jean-Michel Jarre, à Houston (Texas) en 1986, il fallait éclairer 1 kilomètre de long sur 320 mètres de large devant 1 million et demi de personnes, c’était démentiel ! Et le surlendemain, j’étais tout aussi heureux de retrouver mon amie France Léa, qui chantait au théâtre du Tourtour, à Paris, devant 80 personnes. C’est ça, la magie de ce métier, et ce qui vous permet de rester humble. En éclairant Mike Brant, à mes débuts, dans des petits stades de province, je n’imaginais pas me retrouver plus tard au Stade de France… Sans le savoir, tous ces gens m’ont appris mon métier et permis de rêver. Je suis un homme heureux !

A lire…

Mes années lumière (éditions de l’Archipel), Jacques Rouveyrollis,  ‎21,00 € 

Caroline BERGER

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