Grandir sans grands-parents : s’enraciner sans ses aînés
- Les grands-parents, figure d’équilibre pour l’enfant ?
- Une enfance sans manque, mais sans référence
- Faire le deuil de grands-parents encore vivants
- À la recherche de racines enterrées
- Trouver ses racines en dehors de sa famille
- De la chance dans l’absence
À l’école primaire, j’étais très copine avec Lisa. Pourtant, celle qui me vient à l’esprit quand je repense à elle, c’est sa “super mamie”. Une femme aux cheveux blancs soyeux, tenus en chignon, qui lui organisait des goûters d’anniversaire dans cette maison si particulière, où le temps semblait s’être arrêté, mais où la vie ne manquait jamais.
Et si, pendant des années, j’ai observé et admiré la grand-mère de mon amie, c’est parce que moi, je n’en avais pas.
J’ai tendance à dire que j’ai grandi sans grands-parents, mais pour être très exacte, je suis carrément née sans. À la maternité, aucune personne âgée n’est venue épauler ma mère, qui a perdu ses parents à l’adolescence et dont les beaux-parents ont toujours été aux abonnés absents.
Plusieurs fois, elle m’a avoué s’en être voulue de ne pas m’avoir “offert la chance d’avoir un papi et une mamie”. Pourtant, si les relations grands-parents/enfants m’ont toujours émue, je n’ai jamais ressenti de manque dans ma vie d’enfant et d’adolescente.
Mais depuis quelques années, mon discours n’est plus tout à fait le même. Aujourd’hui adulte, si le manque n’est toujours pas là, la frustration de ne pas avoir les clés de mon histoire a mûri avec moi.
Parce que finalement, personne ne nous explique comment se construire, quand une partie de notre passé a été enterrée avec nos aîné.es.
Les grands-parents, figure d’équilibre pour l’enfant ?
Le cliché de l’enfance parfaite, c’est une photo de famille bien garnie. Sur le canapé, les parents et les enfants, et de chaque côté des accoudoirs, une paire de grands-parents. Ce schéma est le symbole ultime de l’équilibre familial, en tout cas pour moi.
“Pour se construire et s’intégrer à son clan familial, l’enfant a besoin de modèles d’identification. Ses parents sont la source première et privilégiée, mais les grands-parents en sont aussi une”, me confirme Constance Latourrette, psychopraticienne spécialisée en psychogénéalogie.
Mais heureusement pour moi, aucun modèle idéal au bon développement de l’enfant n’est inscrit dans le marbre. “Ce qui compte, pour un enfant, c’est d’avoir au moins une relation fiable avec un adulte, ça peut être la mère, une grand-mère ou même un professeur”, rassure Saverio Tomasella, psychanalyste et écrivain.
Ce qui importe donc, c’est la présence d’une figure tutélaire, avec qui l’enfant pourra tisser une relation durable. “Dans cette optique, il n’y a aucun problème pour sa construction”, indique le spécialiste.
Une enfance sans manque, mais sans référence
Cet adulte référent, j’ai eu la chance de l’avoir. Ce qui explique sûrement en partie pourquoi je n’ai jamais jalousé mes copines aux grands-parents présents.
Sienna* a la vingtaine bien entamée. Un grand-père paternel décédé à sa naissance et une grand-mère maternelle absente, qu’elle n’a vue qu’une seule fois, à l’occasion d’un mariage, il n’y a même pas deux ans. Son histoire est différente de la mienne, mais chez elle non plus, le manque n’a pas fait son trou.
“En fait, je ne me suis jamais posé la question, comme ils n’étaient pas là et très peu mentionnés. Ce qui me manquait, c’était de ne pas avoir d’informations sur l’enfance de ma mère”, confie-t-elle. Constance Latourrette parle ainsi d’un “regret qui peut être ressenti par l’enfant”.
À défaut d’une famille suffisamment présente et ‘étoffée’ qui permettra à l’enfant de se sentir intégré à son clan, il pourra chercher des grands-parents d’adoption dans son entourage.
En outre, si je n’ai pu converser avec des personnes dans ce cas, il est important de noter qu’à chaque enfant, ses émotions. Et certain.es peuvent tout à fait souffrir de cette absence.
“Des enfants peuvent demander un grand-parent, parce que leurs amis en ont. Ils posent alors la question : ‘pourquoi je n’ai pas de grand-parent ?’”, indique Savario Tomasella. Dans ce cas-là, le psychanalyste conseille de répondre au mieux au besoin de l’enfant, “il existe des associations pour adopter, de manière informelle, un petit-enfant par exemple”, indique-t-il.
« À défaut d’une famille suffisamment présente et ‘étoffée’ qui permettra à l’enfant de se sentir intégré à son clan, il pourra chercher des grands-parents d’adoption dans son entourage, constituant un support d’identification pour mieux se familiariser avec la vieillesse, la sagesse et qui viendront, dans une certaine mesure combler certains manques », ajoute de son côté Constance Latourrette.
Faire le deuil de grands-parents encore vivants
Mais l’absence est encore plus cruelle lorsque les aîné.es sont encore en vie et qu’ils décident de leur propre chef de ne pas être un papi ou une mamie. Si Sienna n’a plus personne du côté maternel, les parents de son père sont encore vivants. Pendant des années, elle a même vécu à seulement quelques kilomètres de chez eux.
Les grands-parents vont aimer leurs petits-enfants en fonction de leur propre histoire et des projections qu’ils vont faire sur eux.
“J’ai dû faire leur deuil, alors qu’ils étaient tous proches. Ça a été très difficile parce qu’ils ont fait une différence entre leurs petits-enfants – les cousin.es de Sienna (ndlr) – et ma soeur et moi. On passait toujours en dernier et on ne s’occupait pas de nous”, se remémore la jeune femme.
Pendant des années, enfant, puis jeune adolescente, elle tente de construire un lien avec ces personnes hostiles. Elle se force à être la petite fille parfaite, mais rien ne paie. “À cause d’eux, j’ai eu l’impression que, du haut de mes 6 ans, je n’étais déjà pas assez bien pour que des adultes m’aiment”, explique-t-elle.
“Je l’ai très mal vécu de savoir que mes grands-parents ne m’aimaient pas, alors que j’avais juste envie d’avoir un papi et une mamie, chez qui je pouvais aller passer des week-ends. Je ne demandais pourtant pas grand chose”, continue Sienna.
“Les grands-parents vont aimer leurs petits-enfants en fonction de leur propre histoire et des projections qu’ils vont faire sur eux : affinités avec certains – ‘les chouchous’ -, relation distante avec d’autres qui représentent inconsciemment un lien difficile avec une personne de la famille, des ressemblances ou des différences qui vont jouer sur le plan affectif…”, énumère Constance Latourrette.
À la recherche de racines enterrées
Qu’ils soient disparus ou qu’ils choisissent de ne pas être présents, les grands-parents laissent derrière eux beaucoup d’interrogations, du moins, de mon côté. Aujourd’hui, outre le côté affection et confidences, j’ai de multiples questions sur mon histoire qui ne trouveront sûrement jamais de réponses.
Parce que généralement, les recettes de grand-mère et les conseils de bricolage de grand-père permettent à l’enfant de rentrer dans l’histoire familiale, tant ces mémoires vivantes délivrent, au fil du temps, des confidences et des clés de compréhension d’événements familiaux.
D’un point de vue psychogénéalogique, les grands-parents font partie de nous et laissent des empreintes en nous inconsciemment.
Pour Constance Latourrette, l’enfant privé psychologiquement de ses racines pourra faire un travail personnel de recherche, en questionnant des membres de sa famille, en construisant son arbre généalogique ou en se renseignant en mairie. « Partir à la recherche de ses ancêtres permet d’élargir le socle de ses racines », appuie-t-elle.
“Les parents peuvent faire ce travail de mémoire avec l’enfant, ce qui va lui permettre de s’identifier par le récit, d’ouvrir les albums, de raconter des souvenirs, de répondre aux questions, d’éviter les secrets de famille. Mais d’un point de vue psychogénéalogique, les grands-parents font partie de nous et laissent des empreintes en nous inconsciemment. Les parents, en éduquant leurs enfants, le font à partir de leurs propres identifications ou rebellions, sur leurs parents. Le patrimoine familial affectif et relationnel se transmet”, assure Constance Latourrette.
Trouver ses racines en dehors de sa famille
Malgré tout, si la famille n’est pas une option, il ne faut pas pour autant faire une croix sur ses racines. “C’est important de savoir que, ce qu’on appelle les racines, peuvent être dans et en dehors de la famille. Un enfant qui grandit sans grands-parents ou parents, peut s’enraciner dans sa ville, son quartier, une association”, propose Saverio Tomasella.
Pour certain.es, cette recherche n’est même pas un besoin. C’est le cas de Bastien, qui n’a jamais connu ses grands-parents, disparus avant sa naissance.
“Il arrive parfois qu’on m’en parle, mais je ne cherche pas à en savoir plus, je n’ai aucune curiosité à ce niveau-là. Peut-être que ça s’explique par le fait que je ne suis jamais parti dans mon pays d’origine, mais je suis vraiment très fermé à l’idée de chercher des informations sur eux”, raconte le jeune étudiant.
Pour lui, connaître son histoire n’est “ni un objectif, ni un besoin”. “Ça peut paraître égoïste, mais c’est une absence totale d’intérêt de ma part. J’ai mis une distance entre eux et moi, parce qu’ils ne font pas partie de moi”, assume Bastien.
De la chance dans l’absence
Ainsi, le rapport à l’absence est propre à chacun. Si Bastien a choisi de ne pas inclure ses grands-parents à son histoire, Sienna a, elle, décidé de faire de ceux qui lui restent, des inconnus.
“Je crois que si un jour ils décèdent, ça ne me fera pas grand-chose », confie-t-elle du bout des lèvres.
Parce qu’après tout, comme le rappelle Saverio Tomasella, ce qu’on doit d’abord trouver dans une relation grand-parent/enfant, c’est du confort. “Par définition, les grands-parents sont beaucoup plus cools. Ce qui est intéressant, c’est d’avoir une relation qui apporte de la distance à celle très impliquée, qu’est la relation parent/enfant”, indique le psychanalyste.
Ce qui est intéressant, c’est d’avoir une relation qui apporte de la distance à celle très impliquée, qu’est la relation parent/enfant.
Et même, si bien sûr tout ça me fait envie, et que mon cœur se serre un peu quand je vois Axel et Papi JC dans Pékin Express, je crois que je suis finalement reconnaissante de cette absence.
Parce qu’autour de moi, j’ai vu mes ami.es perdre ces grands-parents. Et, quand je rentre en province et qu’il m’arrive de croiser la mamie de Lisa au détour d’une rue, je remarque toujours ses cheveux soyeux, mais encore plus ses rides creusées et sa posture voûtée.
Logiquement, nos premières rencontres avec la déchéance, la maladie et la mort passent par nos grands-parents. Et cette immense tristesse, elle m’est épargnée par cette absence.
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