Gilles de Rais : le serial killer médiéval

Soldat émérite ayant lutté aux côtés de Jeanne d’arc, maréchal de France à 25 ans, ce grand seigneur breton du XVe siècle va perdre le contrôle de ses pulsions et se mettre à massacrer des enfants.

Sur les routes, entre l’Anjou, la Loire-Atlantique et la Vendée, les voyageurs peuvent apercevoir les tours éventrées de Champtocé, les ruines de Machecoul, le donjon Pouzauges et le château de Tiffauges. Si les plus curieux vont voir de plus près ces vestiges médiévaux érodés par le temps, se doutent-ils des horreurs perpétrées en ces lieux voilà près de six siècles ? Peut-être, tant les crimes sanguinaires commis par leur ancien propriétaire ont de quoi effrayer les âmes les mieux trempées, ce qui leur vaut une notoriété qui dépasse nos frontières. Dans son domaine, Gilles de Rais passe en effet, à juste titre, comme un pionnier. Ce seigneur de haute noblesse est le premier tueur en série français attesté et ne le cède en rien à ses successeurs en termes de palmarès. Il ne peut même pas invoquer l’alibi de la guerre pour justifier ses carnages. De toute façon, chercher des excuses à ses accès de violence défiant l’imagination ne serait jamais venu à l’idée de ce soldat dévoyé.

DE RETOUR SUR SES TERRES, CONTRAINT À L’OISIVETÉ, L’EX-GUERRIER S’ADONNE À L’OCCULTISME, BASCULANT DANS LA FOLIE.

Comment expliquer que l’enfant élevé à la cour des ducs de Bretagne ait pu ainsi sombrer dans une démence meurtrière ? La mort soudaine de ses parents, en 1415, semble avoir joué un rôle dans cette décadence, en lui faisant perdre tout sens moral. Gilles, alors âgé de 11 ans, et son frère René sont en effet confié à leur grand-père paternel, Jean de Craon qui selon les écrits de l’un de ses biographes, l’abbé Eugène Bossard, donne à ses petits-fils une éducation « déplorable ».

Partageant ce point de vue, l’écrivain Georges Bataille décrit le tuteur de l’adolescent, dans Le Procès de Gilles de Rais, comme « un homme violent et sans scrupules, laissant son protégé libre d’agir à sa guise, en lui mettant son exemple sous les yeux : il lui enseigne à se sentir au-dessus des lois ».

Pourtant, le jeune homme semble trouver une parade pour échapper à cette mauvaise influence. Il embrasse dès ses 15 ans une carrière militaire convenant tout à fait à son caractère, à la fois courageux et emporté. Une fois lancé à corps perdu dans la bataille, il fait merveille par ses prouesses et l’époque, belliqueuse, lui donne l’occasion de mettre en avant ses qualités.

La reconnaissance de ses talents guerriers ne tarde pas. En 1429, à tout juste 25 ans, ce soldat né est élevé à la dignité de maréchal de France, pour services rendus aux côtés de Jeanne d’Arc, avec laquelle il est parvenu à faire lever le siège d’Orléans, encerclé par les Anglais. Signe de la haute estime en laquelle le tient le monarque, Gilles se retrouve placé à la gauche de Charles VII lors de son sacre à Reims, Jeanne figurant à sa droite. Comble du bonheur, en cette même année, son épouse Catherine de Thouars donne naissance à une fille, baptisée Marie. Tout réussit à cet audacieux qui, sans le savoir encore, vient d’atteindre l’apogée de son destin.

Un insatiable besoin de reconnaissance

Ce même destin bascule trois ans plus tard. Ce seigneur qui ne se sentait jamais aussi vivant que l’épée à la main va soudain être contraint de s’éloigner des champs de bataille. À la mort de Jean de Craon, le 15 novembre 1432, Gilles hérite en effet d’une fortune considérable, ainsi que de nombreux châteaux et de terres dans l’ouest de la France. Bouleversé par la mort de sa femme, celui pour qui le métier des armes constituait sans doute un dérivatif, une manière de tenir à distance ses démons intimes, décide alors de se retirer sur ses terres, près de Nantes. Le guerrier troque son armure pour des atours taillés dans les draps les plus précieux.

Un choix qui ne restera pas longtemps sans conséquences, car l’homme se distingue toujours par son insatiable besoin de reconnaissance. Faute de pouvoir désormais la conquérir au fil de sa lame, Gilles compte l’obtenir par sa munificence de mécène. Il dilapide peu à peu sa fortune en faisant monter des mystères – ou pièces de théâtre à thème religieux – aux décors aussi somptueux que les costumes des comédiens. Si ces fastes forcent le respect d’une partie de ses vassaux, cela suscite aussi la jalousie des autres.

Si cette lubie n’aurait pas suffi à provoquer la déchéance de Gilles de Rais, son goût pour l’occultisme va en revanche lui faire perdre toute raison. Le seigneur commence à la même époque à étudier la magie et l’alchimie, rêvant de découvrir la pierre philosophale.

La légende noire du seigneur de Tiffauges alimentera la veine artistique de nombreux graveurs, peintres et écrivains, en particulier celle de Charles Perrault, qui s’en serait inspiré pour son célèbre personnage de la Barbe bleue.

Entend-il la voix du maître des enfers ?

Devenu le jouet d’une horde d’escrocs ayant flairé l’occasion de gagner de l’argent facilement, l’ancien compagnon d’armes de la bergère de Domrémy perd, peu à peu, tout ancrage dans le réel et croit sentir la présence du diable autour de lui. Peut-être entend-t-il alors la voix du maître des enfers l’invitant à libérer ses pulsions et à jouir sans entraves ? Toujours est-il que Gilles de Rais débute alors sa carrière de criminel. Il ordonne à ses nervis d’enlever de jeunes garçons de la région, avant de violer, torturer, égorger ou dépecer de ses mains ces malheureux sous les yeux de ses proches, qui n’osent mot dire de peur d’essuyer les foudres du maître des lieux, dont le sadisme ne connaît plus de limites.

© Stefano Bianchetti

IL AURAIT DÉPECÉ JUSQU’À 800 JEUNES GARÇONS AVANT QUE LA JUSTICE NE LE CONDAMNE À MORT EN 1440.

« Gilles se vanta d’avoir plus de plaisir au meurtre des enfants, à voir séparer leurs têtes et leurs membres, à les voir languir et à voir leur sang qu’à les connaître charnellement, écrira plus tard Georges Bataille, retranscrivant les minutes du procès. Quand, à la fin, les enfants reposaient morts, il les embrassait, et ceux qui avaient les plus belles têtes et les plus beaux membres, il les donnait à contempler, faisant ouvrir leurs corps et se délectait de la vue de leurs organes intérieurs. »

Le tueur se vante de ses atrocités

Ces macabres agissements durèrent pendant plusieurs années et firent jusqu’à 800 victimes. Ce n’est qu’en 1440, après huit ans de massacres, et sous la pression de ses débiteurs, que les soldats du duc de Bretagne Jean V arrêtèrent enfin ce tueur hors normes dans son château de Machecoul, avant de le traduire devant la haute cour du duché, à Nantes.

Gilles de Rais commencera par nier l’évidence. Pourtant, devant l’accumulation de preuves matérielles (les enquêteurs mettent au jour des os calcinés dans les douves de ses châteaux) et de témoignages, l’accusé finit par reconnaître les faits. Mieux encore, le tueur en série se vante des atrocités qu’il a commises, parlant de lui à la troisième personne : « Il les fit et les perpétra suivant son imagination et sa pensée, déclara-t-il devant ses juges, sans le conseil de personne, et selon son propre sens, seulement pour son plaisir et sa délectation charnelle. »

Devenu soudain très bavard, le pédophile justifie ses actes par ses lectures : « Cette idée diabolique me vint il y a huit ans, confessa-t-il, année où mourut le sire de Suze, mon parent. Me trouvant alors par hasard dans la bibliothèque de son château, je trouvai un livre en latin sur la vie et les mœurs des empereurs romains, écrit par le savant historien Suétone. Cet ouvrage était orné de gravures fort bien peintes, montrant les coutumes de princes païens. Je lus que Tibère, Caligula et autres césars jouaient avec des enfants et prenaient un plaisir singulier à les martyriser. Je décidai alors de les imiter, et le même soir, commençais à le faire en suivant les images reproduites dans le livre. »

©Bridgeman Images

Étranglé avant de finir sur le bûcher

Malgré la gravité de ses crimes, par égard pour son statut de grand seigneur, Gilles de Rais aurait pu sauver sa vie en faisant acte de repentance. Mais l’accusé, fidèle à ses pulsions jusqu’au bout, préféra « aller au diable », qui avait peut-être déjà réservé une place pour son âme. Par considération pour ses anciennes prouesses, ce haut seigneur fut étranglé avant de brûler sur le bûcher. Un privilège auquel même Jeanne d’Arc n’eût pas droit.

Sa mort ne mit pas un terme à sa légende. Gilles de Rais devint le modèle d’un personnage de fiction, la Barbe bleue, qui tuait ses épouses et non pas des enfants, incarné dans l’œuvre de Charles Perrault, Les Contes de ma mère l’Oye, publiée en 1697.

Cette thèse, en apparence plutôt bancale, fut défendue, en leur temps, par Prosper Mérimée et Stendhal. Et aujourd’hui encore, en Bretagne, ce pédophile doublé d’un tueur invétéré est confondu avec un personnage de fiction, véritable allégorie du féminicide. Preuve que l’on ne prête qu’aux riches…

André Morlaix

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