Féminicide de Nathalie Debaillie : "Elle aurait pu être sauvée si la police avait agi dès l’appel du témoin"
Nicolas Debaillie réfute toute idée de vengeance. Il exige des réponses à ses interrogations, « sans colère irrationnelle mais avec lucidité », il veut savoir pourquoi sa sœur Nathalie Debaillie, a été tuée le 27 mai 2019 dans la banlieue de Lille par son ex-compagnon, Jérôme Tonneau.
Comment cette femme de 47 ans, mère de deux enfants, gestionnaire de patrimoine pour la Société générale, a pu être kidnappée et assassinée après avoir déposé plusieurs mains courantes et une plainte contre cet homme connu des services de police, déjà condamné à la prison pour escroquerie et sous contrôle judiciaire pour de nouvelles ?
« J’ai gardé ses sms sur mon téléphone, raconte Nicolas Debaillie, dont un envoyé alors qu’elle est juste en face du commissariat de Lille, elle m’écrit : « Je ne sais pas si je vais y aller, ils vont encore me prendre pour une folle ». Tous les signaux étaient au rouge, elle n’a pourtant jamais été écoutée ni considérée. On a d’abord pris une avocate à Lille, mais on a finalement préféré être défendu par Me Isabelle Steyer, on veut une militante pour mener ce combat, on a peur qu’il tombe aux oubliettes. »
Tous les signaux étaient au rouge, elle n’a pourtant jamais été écoutée ni considérée.
L’avocate, spécialiste des dossiers de violences faites aux femmes, connue pour son opiniâtreté, a ainsi déjà obtenu en avril 2020, la condamnation de l’Etat pour « faute lourde », pour l’absence de réponse face au non-respect du contrôle judiciaire dans l’affaire d’Isabelle Thomas. Cinq années de combat mené avec Cathy Thomas, la soeur d’Isabelle qui a été froidement assassinée ainsi que ses deux parents, le 4 août 2014 à Grande-Synthe, par son ex-compagnon. Elle avait porté trois fois plainte contre cet homme, lui aussi, sous contrôle judiciaire pour des faits de violences conjugales.
Une famille endeuillée décidée à dénoncer les manquements de la police
Aujourd’hui, c’est auprès de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, qu’elle a déposé le 31 mars dernier, une plainte visant des policiers du commissariat de Lille. « C’est une plainte déontologique, explique Me Isabelle Steyer dans la mesure où ils ont l’obligation de porter secours même hors de l’exercice de leurs fonctions. C’est l’article 8 de leur code de déontologie : « Le fonctionnaire de la police nationale est tenu même lorsqu’il n’est pas en service d’intervenir de sa propre initiative pour porter assistance à toute personne en danger, pour prévenir ou réprimer tout acte de nature à troubler l’ordre public et protéger l’individu, et la collectivité contre les atteintes aux biens, et aux personnes. » La responsabilité de l’Etat du fait de l’inaction des policiers est rarement reconnue, je veux porter ce débat sur la scène éthique, il s’agit d’une question d’humanité, même une tierce personne qui n’est pas policier a l’obligation d’intervenir. »
La responsabilité de l’Etat du fait de l’inaction des policiers est rarement reconnue, je veux porter ce débat sur la scène éthique, il s’agit d’une question d’humanité.
Dans cette affaire tragique, il n’y a pas eu une once d’humanité. Le récit de Me Steyer se lit comme la chronique d’un féminicide annoncé : « Une femme vient pour la quatrième fois déposer : « Mon ex compagnon m’a dit qu’il allait m’enlever, accompagné de Roms et me jeter dans le coffre de sa voiture pour me terroriser. » Cet homme connu des services de police pour avoir commis des escroqueries et mis le feu à ses laveries, lui a envoyé une photo de pierre tombale, a prévenu deux de leurs amis communs qu’il allait la tuer d’une façon abominable. Elle possède des éléments concrets et probants, mails et sms, que faut-il de plus pour que la police intervienne ? Elle était filochée tout le temps, poursuivie jusque chez elle, il se postait dans le café en face de son lieu de travail, s’ils avaient voulu vérifier ce qu’elle disait, c’était facile. »
D’autant plus facile que Jérôme Tonneau avait annoncé son mode opératoire. Quand ce matin du 27 mai 2019, à 8h30, Nathalie Debaillie se gare dans le parking souterrain de l’agence bancaire, Jérôme Tonneau l’attend, tapi avec ses hommes de main.
Il lui a envoyé une photo de pierre tombale, a prévenu deux de leurs amis communs qu’il allait la tuer d’une façon abominable. Elle possède des éléments concrets et probants, mails et sms, que faut-il de plus pour que la police intervienne ?
« Un de ses collègues entend ses cris alors qu’elle est jetée dans une camionnette et tente d’intervenir, poursuit Me Steyer, il est touché par deux balles en caoutchouc. Il appelle immédiatement la police qui n’intervient pas alors même que l’enlèvement est prouvé grâce à son témoignage et à la caméra de surveillance du parking. Il faudra attendre deux heures pour qu’ils aillent sonner chez Tonneau. Aucune réponse, ils ne défoncent pas la porte et repartent. Nathalie aurait pu être sauvée s’ils avaient agi dès l’appel du témoin. A 12h30, ils y retournent et défoncent enfin la porte. »
Il est hélas trop tard. Nathalie Debaillie gît dans la baignoire où elle a été torturée et égorgée avec un cutter.
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Pour que cesse l’impunité des agresseurs conjugaux
Ces dernières semaines, des meurtres conjugaux ont fait de nouveau la une de l’actualité. Après l’assasinat, début mai, de Chahinez Daoud brûlée vive par son mari en pleine rue à Mérignac, Stéphanie Di Vincenzo et Doris Voinson ont été tuées par leur compagnon à Hayange et Colmar.
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« Ce sont très souvent des récidivistes qui tuent, pas des primo-délinquants, analyse Me Steyer. Ce qui démontre la détermination de ces hommes mais aussi le manque de répondant de la police et de la justice. Comme pour Chahinez, tout le monde le sait, le vit, le voit, l’entend, on a même des vidéos, des écrits, un passé judiciaire. C’est une affaire privée, alors ils s’en moquent. Sauf que la majorité des meurtres ont lieu dans la sphère privée, les règlements de compte liés à la prostitution et à la drogue, c’est quand même marginal dans les cours d’assises, neuf meurtres sur dix sont liés à des affaires familiales. »
Neuf meurtres sur dix sont liés à des affaires familiales.
Nicolas Debaillie était très proche et admiratif de sa sœur Nathalie, « une femme indépendante, une combattante qui a gravi les échelons un à pour faire carrière. Nous sommes une famille de nordistes très unie, on était au courant de sa relation, elle a beaucoup partagé dès le début. C’était un flambeur, il l’a emmenée en voyage, il l’a épatée mais ces deux ans et demi de relation ont été un ascenseur émotionnel. Au commissariat hélas, on vous croit si vous arrivez avec des marques de coups, mais si vous dites « il me menace de mort », on ne va pas poser un bracelet électronique à votre agresseur. Lui a agi en toute impunité, il n’a jamais été convoqué. Il avait fait un an de prison pour escroquerie et pourtant quand il a accusé Nathalie de vol de portable, elle a été convoquée au commissariat, c’est surréaliste ! »
Au commissariat hélas, on vous croit si vous arrivez avec des marques de coups, mais si vous dites « il me menace de mort », on ne va pas poser un bracelet électronique à votre agresseur.
« Les agresseurs conjugaux bénéficient d’un véritable système d’impunité », confirme le Haut Conseil à l’Egalité (HCE) dans sa première édition du tableau d’indicateurs sur la politique publique de lutte contre les violences conjugales, publiée le 9 juin dernier. Les données collectées sont éloquentes : « Chaque année plus de 125 000 femmes victimes de violences conjugales parviennent à se déclarer auprès des forces de sécurité intérieure. En 2019, seuls 52.000 agresseurs conjugaux font l’objet d’une réponse pénale, 33.000 font l’objet de poursuites judiciaires et seuls 18.600 agresseurs conjugaux ont été condamnés en 2018. »
Isabelle Steyer a adressé un double de sa plainte contre la police aux ministres Elisabeth Moreno, Marlène Schiappa et Eric Dupond-Moretti, aucun-e ne lui a répondu. « Il y a deux semaines, le ministre de l’Intérieur m’a répondu qu’une « enquête administrative pré disciplinaire a été conduite par la cellule déontologique de la DDSP 59* qui avait conclu à l’existence de manquements déontologiques et professionnels et propose des sanctions disciplinaires ». » Comme il n’a pas encore été statué sur la sanction disciplinaire, pour Me Isabelle Steyer, le combat continue.
*Direction départementale de la sécurité publique.
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