Faut-il craindre de voir les communautés complotistes prendre vie IRL ?

Ce n’est pas une grande nouvelle, les théories complotistes se répandent massivement sur la Toile. Elles prolifèrent grâce, notamment, aux algorithmes de recommandation de Facebook,
YouTube, Twitter, et consorts, pour recruter de plus en plus de monde. Et avec l’arrivée du
Covid-19 et des confinements successifs, ça n’a pas loupé, les communautés conspirationnistes ont trouvé une nouvelle « clientèle » parmi les
antivax qui partagent la même défiance vis-à-vis des pouvoirs en place.

L’isolement doublé de l’augmentation du temps passé en ligne -télétravail oblige- dans un contexte sanitaire particulièrement anxiogène ont créé un terreau fertile à la diffusion de ces théories farfelues. Selon certaines croyances, les vaccins contre le Covid-19 rendraient stériles ou provoqueraient des fausses couches, selon d’autres, les vaccins ARN modifieraient notre patrimoine génétique… Sans oublier le puçage de la population grâce à l’injection du sérum. Les complotistes, qui, jusque-là, se retrouvaient principalement en ligne, cherchent désormais à se rassembler dans le vrai monde. Pourquoi faut-il craindre de voir ces communautés se structurer IRL ?

RéinfoCovid dans l’Aveyron, Pierre Barnérias près de Lannion

Depuis plusieurs mois, les manifestations du samedi contre le passe sanitaire permettent déjà aux complotistes de se retrouver physiquement. En octobre dernier, One Nation, portée par Alice Palzamar, a vu son projet d’acquisition d’un vaste domaine dans le Lot s’arrêter net après de nombreux signalements. Elle avait réussi à récolter 200.000 euros sur le site HelloAsso aidée par 650 donateurs, selon l’AFP. La communauté One Nation n’aurait pas complètement lâché l’affaire, elle aurait désormais pour projet de s’installer dans les Alpes-de-Haute-Provence.

De son côté, « RéinfoCovid, le mouvement du médecin anesthésiste Louis Fouché, a des visées dans l’Aveyron et on se pose des questions sur le projet d’éco-village près de Lannion, en Bretagne, lancé par Pierre Barnérias, le réalisateur de Hold-Up », pointe Marie Drilhon, présidente de l’Adfi Yvelines (Association de Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes) et membre du bureau de l’Unadfi qui indique que, tout récemment, un site de rencontres des non-vaccinés a vu le jour. « Connectez-vous avec d’autres personnes conscientes », peut-on lire sur
Vacc. free love.

« Ces communautés ont des liens, elles font des lives ensemble, elles organisent des conférences, décrit Thomas Huchon, journaliste et spécialiste du complotisme. Alice Pazalmar de One Nation était à l’Université citoyenne organisée par des gilets jaunes en juin à Avignon où elle a participé à des débats avec des personnalités antivax comme le réanimateur marseillais Louis Fouché de RéinfoCovid, l’une des principales figures du mouvement antivaccination ». Tous ces groupes n’allaient pas rester indéfiniment dans le virtuel, surtout en ces temps d’isolement. « Les gens ont besoin de se rencontrer, il y a eu les manifestations avec RéinfoCovid, c’était festif, heureux, décrit Marie Drilhon. On se sent plus forts parce qu’on est plus nombreux, on trouve une fraternité ».

Les antivax, nouveaux dans les troupes

La crise sanitaire a donné un réel coup d’accélérateur au phénomène. « On a clairement eu plus d’appels et de cas de ruptures familiales liées à la pandémie. Avec le télétravail, les personnes ont été coupées d’un contact quotidien avec des gens qui ne pensaient pas comme elles, observe la spécialiste des dérives sectaires. En général, le lieu de travail vous force à vous ouvrir, vous ne pouvez pas parler que de ça ». En parallèle, les usages numériques ont explosé pendant les différentes périodes de confinement. En ligne, on peut atteindre des personnes très éloignées de notre réseau. Et, malheureusement « le virtuel facilite la propagation de ces idées déviantes. Les algorithmes font le reste », explique Romy Sauvayre, sociologue et spécialiste des mécanismes de croyance. Avec les bulles de filtres, la tendance des algorithmes des réseaux sociaux à créer des environnements numériques où les utilisateurs ne voient que des contenus en accord avec leurs idées, les individus finissent par penser que leurs idées déviantes sont la norme. « C’est ce passage qui est nouveau avec les réseaux sociaux », poursuit-elle.

Les complotistes ont accueilli dans leurs troupes une partie des antivax, qui n’auraient peut-être pas adhéré à ces théories avant la pandémie. « Il y a des points communs entre les antivaccins et les complotistes de base : la notion de liberté, la défiance vis-à-vis du gouvernement, des big pharma et de la science en général, note Romy Sauvayre. On a une sorte de package. Lorsque Emmanuel Macron impose le passe sanitaire, les citoyens très attachés à leur liberté individuelle s’opposent à cette mesure. Vous avez-là des points d’accroche à la fois du côté des antivaccins et du côté des gilets jaunes, par exemple. Ça peut créer un mouvement de cohésion qui existait déjà sur les réseaux sociaux ». Ils discutent entre eux, ils vont sur les mêmes sites, comme la plateforme de vidéos Odyssee, qui a accueilli le film Hold-Up après son bannissement par Vimeo.

Des actions violentes à craindre

Pour une structuration dans le vrai monde, il faut un gourou et des adhérents. On voit clairement des personnalités émerger : Alice Palzamar de One Nation, le réanimateur Louis Fouché, l’influenceur Jean-Jacques Crèvecoeur, Thierry Casasnovas, qui donne des conseils en matière de santé et de nutrition, le militant d’extrême droite et complotiste Rémy Daillet, le réalisateur Pierre Barnérias… Tant que le complotisme reste sur le Web, on pourrait croire que c’est anodin (quoique), mais il y a toujours un moment où ces mouvements prennent vie. « N’oublions pas que ce sont sur la messagerie Telegram de One Nation, que des criminels se sont entendus pour enlever la petite Mia », rappelle Thomas Huchon.

Un autre danger des dérives sectaires, c’est le suicide collectif. « On l’a vu dans les années 1990 avec les suicides collectifs de l’Ordre du Temple solaire », note Romy Sauvayre qui précise toutefois que les antivax semblent davantage se tourner vers des actions collectives de contestation des autorités et des symboles de la République. L’adhésion à ces théories peut conduire, sur le plan de la santé, à des arrêts de traitements, ou des comportements dangereux. « Sur le plan politique, les conspirationnistes rejoignent souvent des mouvements d’extrême droite ou d’extrême gauche, observe Marie Drilhon. Les individus peuvent être conduits à des actions violentes sociales ou politiques ». Prenons l’exemple des Etats-Unis, QAnon est directement liée à l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021. En France, la figure du complotisme, Rémy Daillet, incarcérée dans l’affaire de l’enlèvement au printemps dernier de la petite Mia, a été mise en examen en octobre pour des projets d’attentats avec pour objectif la préparation d’un coup d’Etat. Rassurant…

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