Enfant hypersensible : une découverte du monde exacerbée, entre beauté et incompréhension

  • Une hypersensibilité notable dès les premiers jours de vie
  • Des réactions décuplées interprétées comme des caprices
  • À l’école, des difficultés à conjuguer avec les autres enfants
  • Savoir accompagner un enfant hypersensible
  • L’humain 2.0 : la force de l’enfant hypersensible

Selon le psychanalyste et spécialiste de l’hypersensibilité, Saverio Tomasella, entre 25 et 30% de la population française serait hypersensible, énonçait-il pour Néon, en février 2020. Et si ces chiffres restent approximatifs, c’est parce que l’hypersensibilité est plurielle, unique chez chaque personne qui l’abrite. 

S’il n’existe pas de diagnostic – la sensibilité décuplée n’étant pas une pathologie, mais bien un pan de la personnalité – beaucoup tâtonnent des années durant avant de pouvoir mettre des mots sur une souffrance, souvent due à une incompréhension des réactions et des ressentis. 

Et si cette difficulté est une épreuve à gérer chez les adultes, souvent taxés de trop sensible et d’à fleur de peau, cette dernière est démultipliée chez l’enfant, où le raccourci du caprice est vite fait. 

Ils ne savent pas ce qu’il se passe à l’intérieur d’eux. Donc ils sont en constante sur-adaptation et sont souvent un miroir de ce qu’ils rencontrent, alors ils ne s’écoutent pas. On ne peut pas bien grandir comme ça”, regrette Charlotte Wils, psychopraticienne et coach spécialiste de l’hypersensibilité

Une hypersensibilité notable dès les premiers jours de vie

S’il n’y a pas de “signes” à proprement parler, tant l’hypersensibilité couvre un spectre de personnalités variées, certains comportements ou réactions peuvent poser la question, et ce, dès les premiers jours du vie du nourrisson. 

“On peut rencontrer des difficultés avec les tissus, dès la naissance, certains enfants ne supportent pas avoir des matières sur la peau. Généralement, ils pleurent aussi plus que la moyenne et ils veulent beaucoup être dans les bras”, énumère Charlotte Wils. 

Nicolas Lisimachio – à l’origine du podcast Fortitude, dans lequel il étudie les facettes de la force mentale – est le papa de César, 9 ans. “Hypersensible physiologique et émotionnel”, voilà seulement un an que les parents et le jeune garçon ont pu mettre des réponses et des mots sur certaines réactions. 

Longtemps, on m’a dit que je faisais du cinéma, alors que porter un tissu précis peut réellement me bloquer et même me faire paniquer.

“Ça a toujours été présent. Pour lui, ça se manifeste surtout par une sensibilité à la température, qu’elle soit extérieure ou alimentaire. Mais les habits posent aussi problème, surtout au niveau des coupes et des tailles. Par exemple, pour lui faire porter des chaussettes, on a été obligé d’en trouver des sans coutures, sinon c’était impossible de sortir de la maison, des crises à répétition”, témoigne le père de famille. 

“Les matières synthétiques me sont insupportables à porter. C’est difficile à expliquer, mais c’est un vrai rejet de mon corps, je ne supporte pas certains vêtements. Longtemps, on m’a dit que je faisais du cinéma, alors que c’est un facteur qui peut réellement me bloquer et même me faire paniquer”, raconte Agnès*, 17 ans. 

Des réactions décuplées interprétées comme des caprices 

Faire son cinéma ou des caprices, c’est pour l’enfant hypersensible le “t’es toujours à fleur de peau”, lancé aux adultes submergé.es par les émotions. 

“Honnêtement, pendant longtemps, on n’a pas réussi à gérer, c’était très compliqué. Nous sommes une famille très attachée à l’éducation. Automatiquement, quand il nous disait qu’il ne pouvait pas manger sa soupe parce qu’elle était trop chaude et qu’on la goûtait pour vérifier qu’elle était bien à température ambiante, on prenait ça pour un caprice. Seulement, nous n’avions pas la bonne liste de lecture et tout n’était qu’opposition et confrontation”, admet Nicolas Lisimachio.

« C’est normal que l’on se dise que ce soit des caprices, mais il est primordial de rappeler que ce n’est pas le cas. Ce sont seulement des enfants qui n’aiment pas les règles rigides et préfèrent généralement les jeux calmes. C’est également quelque chose qu’il faut savoir comprendre », souligne Charlotte Wils.

Après avoir discuté avec un de ses clients, lui hypersensible, le père de César relie, en avril 2021, les points entre les réactions disproportionnées de son fils et ce terme dont il n’avait jamais entendu parler. « La révélation a impliqué une culpabilité, celle de ne pas avoir compris et d’avoir réagi de manière inadéquate, mais ça a aussi été un soulagement », partage-t-il.

À l’école, des difficultés à conjuguer avec les autres enfants 

Mais ce soulagement ne s’opère que dans la sphère familiale. Pour Agnès, le mot hypersensibilité n’est arrivé que tard. « C’est ma sœur qui est tombée sur le livre de Maurice Barthélémy – Fort comme un hypersensible (Ed. Michel Lafon) – et qui m’en a parlé. Ça a été comme si je me rencontrais pour la première fois, et même si j’ai pu mieux accepter des pans de ma personnalité, comme ma difficulté à garder mes amis, c’est encore dur de faire entendre ma réalité à l’extérieur de chez moi« , confie la jeune femme.

En effet, la scolarité d’Agnès n’a pas été de tout repos. Cours de sport trop intenses, professeur.es strict.es, intimidation… « J’en bave encore et de tous les côtés », explique-t-elle.

Le regard extérieur est difficile, les gens ne comprennent pas forcément le pouvoir des émotions.

« Souvent, l’enfant hypersensible va essayer de contourner les règles, ce qui peut créer des difficultés à l’école, notamment avec l’autorité si elle est froide et dénuée d’émotions. Mais, il va accepter celle qui est dans une forme d’empathie, même s’il va la tester en amont », explicite Charlotte Wils. 

« Le regard extérieur est difficile, les gens ne comprennent pas forcément le pouvoir des émotions. On a commencé à l’expliquer à des maîtresses, parce qu’il grandit, mais c’est compliqué. Par exemple, même la position dans la classe doit être étudiée : par rapport à l’air, la fenêtre, la chaleur… », confesse le père de César.

Et au-delà de nécessiter une compréhension et quelques ajustements, l’hypersensibilité chez l’enfant va aussi rendre ses chagrins d’amitié très douloureux.

« C’est à l’école qu’en général on apprend l’amitié, et, tout comme les adultes hypersensibles peuvent vivre des désillusions amoureuses puissance dix, l’enfant va connaître des déceptions amicales, parce qu’il cherche des très bons copains, loyaux. Il a de grosses attentes et se retrouve déçu quand il ne reçoit pas le même investissement en retour« , prévient la psychopraticienne.

Savoir accompagner un enfant hypersensible

C’est pour cela que l’accompagnement est clé, dans l’éducation d’un enfant à la sensibilité démultipliée. Selon Charlotte Wils, son entourage doit être fait de personnes à l’écoute, empathiques et faisant preuve d’intelligence émotionnelle, plutôt que de compassion.  

« On le fait prendre part aux décisions et on n’essaie de ne rien imposer. Initier également des temps calmes, ainsi que des rituels pour installer une stabilité et des repères est une bonne idée. Et puis il y a des environnements où l’on ne peut pas imposer ses propres règles, et l’enfant va automatiquement faire face à des expériences difficiles. C’est l’occasion de lui expliquer que le monde extérieur n’est pas toujours apte, mais que lui n’a rien d’anormal« , conseille-t-elle. 

Alors, en plus de prendre en considération tous les ressentis de César, sa famille s’adapte au quotidien, pour le bien-être du petit garçon.

« Par exemple, on refrène sa participation à des anniversaires, parce que le niveau de pression est important (excitation, bonbon, cris…) et on module pour ne pas l’épuiser, sinon il est intenable », explique son père. Et Charlotte Wils acquiesce : « dans les situations de surprises, ils peuvent également avoir une réaction disproportionnée avec un surplus d’émotions et mal réagir, en réfutant ou en étant en excitation extrême ». 

Dans tous les cas, Charlotte Wils est formelle : accompagner un enfant hypersensible n’est pas un travail long et laborieux, mais bien une expérience sur-mesure, pour laquelle il n’existe pas de recette miracle.

L’humain 2.0 : la force de l’enfant hypersensible

Si élever un enfant hypersensible demande une attention toute particulière, il n’empêche que ces premières années de découverte du monde, soutenu par un entourage qui sait mettre des mots sur des ressentis forts et flous est « du temps de gagné ».

Nombreux.ses sont celles et ceux à découvrir leur hypersensibilité sur le tard et à apprendre à vivre avec, en déconstruisant toutes les barrières et les moyens de protection mis en place des années durant. Pour certain.es, accepter ce pan de personnalité est aussi une épreuve, tant ces émotions exacerbées sont négativement connotées en société.

« L’avantage de le détecter dans l’enfance, c’est la dé-diabolisation. Ainsi, on peut éduquer l’enfant avec des clés, celles qui nous aident en tant que parents et qui l’aideront à apprivoiser cette partie de lui. C’est l’occasion de lui montrer qu’il peut dire non et de décrypter avec lui pourquoi il est déçu. Et puis, il y a tout un apprentissage émotionnel à faire, sinon on reste dans l’adaptation et on devra tout déconstruire plus tard », confirme Charlotte Wils. 

Le monde n’est pas encore adapté aux hypersensibles, mais ce n’est pas l’inverse.

Pour Agnès, c’est tout un travail autour de la compréhension des émotions et des sensations qui s’amorce. Et pas seulement les siennes. « Je suis une éponge, mais j’apprends à faire la différence entre mes ressentis, qui peuvent me submerger, et ceux des autres, avec lesquels je dois mettre une distance, pour éviter de trop m’impliquer, comme dans le passé », se raisonne la jeune femme.

Une qualité – qui peut blesser – que le père de César a également noté chez son fils. « Il est doté d’une grande intelligence émotionnelle, et il a une capacité à capter les émotions des plus grands, mais n’a pas les capacités pour les comprendre à son âge. Il sait automatiquement si je suis d’humeur moyenne, et il est perméable à ça, donc il y a un travail de communication et d’explication constant à faire », explique-t-il. 

Pour autant, le père de famille sait que son fils a toutes les cartes en main pour s’épanouir au mieux. « César a très bien accueilli la nouvelle, parce que ce n’est pas une maladie, mais bien l’humain 2.0. Certes, le monde n’est pas encore adapté aux hypersensibles, mais ce n’est pas l’inverse. Pour l’avenir, je n’ai aucune inquiétude, je vois son hypersensibilité comme un super-pouvoir et grandir avec ce dernier fait qu’il a acquis une certaine maturité et ça, ça forge des personnalités », philosophe-t-il. 

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* Le prénom de la personne a été modifié

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