Elles ont rayé le nom du père

  • Modifier son acte de naissance : une réforme attendue
  • Faciliter la vie des mères célibataires ou divorcées
  • "La fille d’un meurtrier" qui ne veut pas porter son nom
  • Le soulagement des victimes d’inceste ou de violences

Vendredi 1er juillet 2022, 8 h 30, devant la mairie du 14e arrondissement de Paris : la file d’attente s’allonge.

Joséphine, 22 ans, étudiante en architecture, est arrivée la première. C’est un jour qu’elle attend depuis longtemps. Elle est venue déposer son dossier à l’état civil pour changer de nom de famille.

Modifier son acte de naissance : une réforme attendue 

En 2005 pourtant, sa mère avait accolé son patronyme à celui du père comme la loi l’y autorisait (1). Mais, pour modifier son acte de naissance, et rayer le nom de son père, il lui aura fallu attendre la loi du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation, entrée en vigueur le 1er juillet 2022.

« J’étais loin d’être la seule devant la mairie. Il y avait des personnes de tous les âges, on sentait que c’était un moment important de leur vie. Cela fait au moins cinq ans que je regarde les procédures possibles mais elles étaient compliquées, et onéreuses. »

En France, où « le nom du père se trouve en première position huit fois sur dix »(2), cette réforme était attendue : sondés par l’Ifop en février 2022, « 22 % des Français exprimaient leur volonté de changer de nom de famille si cela était rendu possible par les pouvoirs publics. » Un pourcentage qui grimpait même à 47 % chez les 18-24 ans.

Portée par le député LREM Patrick Vignal – qui a déclaré qu’il ne s’agissait « ni de féminisme ni de destruction de la famille, mais d’équité dans le couple. Une femme n’est pas la propriété d’un homme, les enfants non plus. Les femmes donnent la vie, elles pourraient aussi avoir le droit de donner leur nom » –, la loi a été votée sans remous.

Selon la chancellerie, au 1er octobre 2022, plus de quatre mille personnes avaient enregistré une demande. De quoi réjouir Me Cyril Braniste, avocat en droit de la famille.

Faciliter la vie des mères célibataires ou divorcées

Dans l’ambiance feutrée de son cabinet parisien, la question du nom revient fréquemment : « Lors des procédures de divorce et au sein des couples non mariés où ce sont très souvent les mères qui désirent que leur enfant porte les deux noms. La question se pose aussi dans les séparations non conflictuelles. L’idée que l’enfant ne porte que le nom du père est une idée qui appartient au passé. Fini le système imposé, le grand apport de cette loi est que le jeune majeur, notamment, a désormais la faculté de substitution (‘Je ne m’appelle plus Dupont mais Martin’), sans avoir à justifier le pourquoi du comment. C’est une démarche individuelle pour plus d’égalité, de liberté et d’autonomie. »

Toute sa vie, ma mère a dû sortir le livret de famille, (…) alors que tout ce que nous avons accompli en tant que personne, c’est grâce à elle, et à elle seule.

La réforme législative facilite aussi aussi la vie des mères célibataires et des divorcées n’ayant pas conservé le nom de leur ex-mari, qui ne devront plus prouver que leurs enfants sont bien les leurs. « Toute sa vie, ma mère a dû sortir le livret de famille, déplore Gwendoline, 25 ans, journaliste. Quand mes frères sportifs remportaient des médailles, c’est le nom de mon père qu’on entendait sur les podiums. Comme si ma mère n’existait pas aux yeux de la société alors que tout ce que nous avons accompli en tant que personne, c’est grâce à elle, et à elle seule. »

Le 2 juillet 2022, trois des quatre enfants – le benjamin est encore mineur – sont allés ensemble à la mairie. « Cela a été rapide, début septembre, je portais le nom de ma mère, mon vrai nom, explique Gwendoline. Ceux qui connaissent mon histoire ne sont pas surpris. Mon père était une personne relativement mauvaise, absente, alcoolique. J’en ai garde´ peu de souvenirs, à part ses accès de colère. La seule attache qui nous reliait était son nom, mais en réalité, je n’avais qu’un seul parent, ma mère, et je voulais faire perdurer le sien. Petite, je lui disais tout le temps que je voulais me marier pour changer de nom. Je l’ai fait au bon moment, avant que je ne construise ma vie. »

Joséphine se sent bien plus légère depuis qu’elle s’est débarrassée de ce patronyme qui lui rappelait en permanence sa famille paternelle.

« Elle m’a rejetée quand j’ai cessé de parler à mon père il y a trois ans. En juin, il est revenu à la charge, il a contacté mon école pour obtenir mes notes aux examens, en disant : ‘Je suis son père, vérifiez, on a le même nom de famille.’ J’ai 22 ans, je suis en école supérieure, la direction lui a rappelé qu’il n’avait pas le droit de faire ça. Je sais qu’il se sert de ma réussite pour se glorifier alors qu’il n’en est pas acteur, ma mère l’est beaucoup plus. Aujourd’hui, je ne suis plus vulnérable, il n’existe plus de lien de filiation directe, il ne pourra plus demander des comptes à qui que ce soit vis-à-vis de moi. Ce choix du nom est irréversible, je le sais, cela ne me dérange pas, le nom de ma mère a toujours été celui que je voulais léguer à mes enfants… »

Changer de nom est une libération et une réappropriation d’une identité blessée, la volonté de ne pas avoir la filiation de quelqu’un que l’on sait coupable de négligence, d’abandon ou d’un crime.

Pour la psychothérapeute Anne-Laure Buffet (3), « changer de nom est une libération et une réappropriation d’une identité blessée, la volonté de ne pas avoir la filiation de quelqu’un que l’on sait coupable de négligence, d’abandon ou d’un crime. Accoler les deux noms de ses parents, c’est légitimer la mère sans supprimer le père. Vouloir rayer le nom de ce dernier sur l’acte de naissance signifie que dans l’histoire de l’enfant, quelque chose a été vécu comme un trauma ».

« La fille d’un meurtrier » qui ne veut pas porter son nom

Chloé avait 7 ans quand, le 24 septembre 2017, sa mère Ghylaine Bouchait est morte immolée avec de l’essence par son compagnon (4). La sœur de Ghylaine, Sandrine Bouchait (5), qui depuis préside l’Union nationale des familles de féminicides, s’est battue pour obtenir la garde de sa nièce.

Au collège, elle a demandé aux professeurs de ne jamais prononcer le nom de son père lors de l’appel.

Dans le cahier secret où elle a écrit à sa mère « j’ai pas pu te sauver, car papa était trop fort », Chloé a signé : « La fille d’un meurtrier. » Elle n’a jamais cessé de vouloir porter le nom de sa mère.

« Trois mois après avoir été accueillie chez nous, elle nous a parlé d’adoption, raconte Sandrine Bouchait. On lui a expliqué qu’il fallait que le procès ait lieu, que l’autorité parentale, suspendue, soit retirée à son père. Le procès a eu lieu le 20 janvier 2020. Le soir même, elle nous disait : ‘On va enfin pouvoir m’adopter.’ On lui a demandé de nous laisser le temps de digérer la violence des Assises. Alors, elle a commencé par faire des fautes d’orthographe dans son nom de famille, puis n’a plus utilisé que son nom d’usage. Au collège, elle a demandé aux professeurs de ne jamais prononcer le nom de son père lors de l’appel. Aujourd’hui, elle est adoptée, heureuse que ce soit enfin acté parce que, dit-elle : ‘Ce qu’a fait mon père, c’est trop grave.' »

Le soulagement des victimes d’inceste ou de violences

Parmi les patientes d’Anne-Laure Buffet, des femmes victimes d’inceste ont elles aussi fait rayer le nom de leur père sur leur acte de naissance.

« C’est la volonté de le supprimer symboliquement, analyse la psychothérapeute. Le père incestueux raye l’identité de son enfant puisqu’il le nie totalement. C’est lui faire ce qu’il a fait mais dans une démarche inconsciente. Mais rayer, ce n’est pas effa- cer, il existe encore. Des patientes vont encore plus loin en changeant également de prénom dans une volonté de couper avec leur géniteur, mais aussi de s’autonomiser avec une part de colère vis-à-vis de leur mère qui n’a pas été assez protectrice. »

Comme j’étais mère célibataire, avec cette automaticité de transmission du nom du père, mon fils portait le nom de mon agresseur.

C’est l’histoire d’Isabelle Aubry (6), présidente de Face à l’inceste. Il y a vingt ans, quand elle se lance dans le combat pour faire insérer l’inceste dans le Code pénal en tant que crime spécifique, elle change de nom. Un nouveau patronyme choisi avec son fils.

« Comme j’étais mère célibataire, avec cette automaticité de transmission du nom du père, mon fils portait le nom de mon agresseur. Cela ne m’a même pas effleurée de prendre le nom de ma mère, elle ne m’a pas protégée quand mon père m’a violée et prostituée enfant, de 6 à 14 ans. Il a été condamné à six ans de prison… » Et pour exister en dehors de l’inceste, elle a gardé son nom de naissance, Aubry, pour son travail militant.

« Symboliquement lié à l’inceste, c’est devenu mon nom d’Indien, un nom virtuel investi pour le combat. Si, dans la rue, vous m’appeliez Isabelle Aubry, je ne me retournerais même pas. Dans le milieu associatif, personne n’est au courant de ma nouvelle identité ; dans la petite ville de province où je suis cheffe d’entreprise, on ne me connaît que sous cette dernière. »

La nouvelle loi comporte une autre disposition importante, comme nous le rappelle Me Braniste : « Dans les affaires d’inceste ou de violences extrêmes, le juge qui prononcera le retrait de l’autorité parentale pourra statuer sur le changement de nom de l’enfant. » Un point de vue qui diffère de celui d’une psychothérapeute pour qui le temps de la réflexion compte.

« Cette loi est pour beaucoup un soulagement, constate Anne-Laure Buffet. Mais on est passé trop vite de l’impossibilité à la possibilité sans restrictions. Je ne souhaite pas de retour en arrière. Je ne dis pas non plus qu’il faut envoyer tout le monde en thérapie, mais je pense que la personne doit s’interroger pour être certaine que c’est un acte pleinement réfléchi. Je pense notamment aux jeunes femmes entre 18 et 22 ans, période où elles prennent conscience qu’elles ont pu vivre quelque chose d’incestuel ou d’incestueux avec leur géniteur. Je ne suis pas sûre que changer de nom les libérera totalement. Je crains à terme soit des conflits intrapsychiques, soit des conflits intrafamiliaux si on ne porte plus le même nom que sa fratrie. Il faudrait un délai de rétraction plus large (il est d’un mois, ndlr) en imposant aux jeunes majeurs une visite chez un thérapeute, un psychologue… »

Joséphine, qui a mûrement réfléchi, est encore sur un petit nuage. « À la mairie, j’ai été reçue par la dame qui avait fait mon certificat de naissance, en 2000, puis l’ajout du nom de ma mère, en 2005. Elle était très émue de me recevoir, seule et déterminée, elle partait à la retraite une semaine plus tard. Elle m’a dit : ‘C’est trop beau, la boucle est bouclée…' »

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1. Loi du 4 mars 2002.
2. Ined, 2017.
3. Autrice de Ces séparations qui nous font grandir, éd. Eyrolles.
4. « Effacées de la photo », Marie Claire n° 808, décembre 2019.
5. Coautrice avec Claude Mendibil d’Elle le quitte, il la tue, éd. L’Archipel.
6.Autrice de La première fois, j’avais six ans… éd. Pocket.

Ce décryptage a initialement été publié dans le magazine Marie Claire numéro 845, daté février 2023.

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