"Difficile de parler de choses intimes" : ces patients confinés qui arrêtent de consulter leur psy
Ils ont décliné la proposition de téléconsultation de leur psychologue. Parce que le confinement bouscule leurs habitudes quotidiennes, parce que la promiscuité les empêche de se livrer, ou simplement pour se «challenger».
Pour chaque téléconsultation, Valérie observe le même rituel. La psychologue installe un fauteuil vide en face du sien, s’assied, branche ses écouteurs puis compose le numéro de son patient. Alors, la séance en ligne peut démarrer. «Cette stratégie me permet de présentifier l’absence», explique Valérie, qui a proposé des rendez-vous téléphoniques à sa patientèle dès l’annonce du confinement. Même si «la conversation en ligne ne remplace jamais une vraie consultation», la psychologue y découvre une «nouvelle façon de parler aux effets intéressants» : «On affine l’écoute, sur le verbal mais aussi sur les bruits environnants», analyse-t-elle.
Faut-il encore accepter ces rendez-vous. Depuis le début du confinement, Valérie ne travaille plus qu’avec 30 % de ses patients. Les autres ont décliné sa proposition ou n’ont pas répondu. «En les relançant par mail, je leur ai donné l’opportunité de parler mais je ne veux pas paraître intrusive», poursuit la psychologue, «je respecte leur décision.»
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« Tout est anormal et irréel »
Pour ces patients, la consultation, autrefois hebdomadaire ou bimensuelle, prend une tournure complexe dès lors qu’elle se déroule confinée. La voilà coincée entre le télétravail, la cuisine et les repas ; à proximité du conjoint, des enfants ou des colocataires bruyants. Margaux*, 26 ans, partage un appartement à Brest avec six personnes. Les murs sont fins. Les journées de travail, rudes. La promiscuité, étouffante. «Je ne me suis même pas posée la question de la téléconsultation. C’est difficile de parler de choses intimes avec des gens autour de soi», analyse la jeune femme. Surtout quand «les gens autour de soi» sont d’ordinaire évoqués dans les séances. Maylis, qui vit d’ordinaire à Paris, partage son avis. Elle a aussi décliné les consultations à distance. «Je ne me vois pas parler de ma famille alors que mes parents sont dans la pièce d’à côté», abonde-t-elle.
Le confinement bouscule aussi ses repères et son besoin d’écoute. Elle se sent «à côté de la plaque». «Avec ma psy, je parle de mon quotidien. Le quotidien normal, comme mon travail ou mes relations sociales», explique la jeune femme, qui a déménagé chez ses parents à Cassis le temps du confinement. Or, «le confinement, ce n’est pas le quotidien. Tout est anormal et irréel», poursuit-elle. Dans ces conditions, elle dit ne pas vouloir «financer des séances chères» qui ne lui sont pas aussi utiles que d’habitude.
Une consultation à repenser
Trouver un moyen de s’isoler est une chose. Derrière son écran ou au bout du fil, rester concentrer pendant une heure de séance en est une autre, du côté du thérapeute comme du patient. Le cadre du cabinet, neutre et confidentiel, joue un rôle essentiel. Sans lui, la profondeur de l’échange s’effiloche. «Ce n’est pas qu’un échange de parole. La relation patient-thérapeute peut impliquer des silences, des expressions émotionnelles, des rires, des pleurs. La visioconférence, où l’image est très déformée, enlève à la relation cette richesse. Je ne parle même pas du téléphone», observe Dominique Picard, psycho-sociologue et auteur de Relations et communications interpersonnelles (1).
Quand elle se rend chez sa psychologue, les dix minutes de métro sont essentielles à Maylis. Elle réfléchit aux points qu’elle souhaite aborder, pour «se mettre dans le mood», comme elle dit. Dans le cabinet d’Émilie, sa thérapeute, un bureau les sépare. Émilie la regarde dans les yeux, lui sourit très peu et la vouvoie. Le téléphone de Maylis, lui, dort au fond de son sac. «C’est important pour moi, tous ces détails», explique la jeune femme qui se souvient encore d’une consultation par téléphone peu fructueuse. «J’entendais des bruits autour d’elle. En ne la voyant pas, je m’interrogeais sur elle, sur sa vie. C’est bizarre à dire mais je l’humanisais, ce qui me détournait de notre échange.»
En attendant le 11 mai qui sonnera l’heure d’un déconfinement partiel, Maylis positive : «C’est une occasion de voir si je suis capable d’avancer toute seule. Je me pose même la question de poursuivre ou non la thérapie», avance-t-elle. Margaux voit aussi cette période «anxiogène» comme une opportunité de se challenger. En revanche, elle reprendra le travail avec sa psychanalyste : «Je suis capable de tenir car j’ai l’objectif du 11 mai en tête, mais j’ai hâte de reprendre les séances. Le confinement m’a mise face à beaucoup de choses sur lesquelles je travaille.» Elle pense, entre autres, à ses relations affectives. «Être sur Internet tout le temps, sur Tinder ou d’autres réseaux sociaux, ça ne m’aide pas à prendre du recul», détaille la jeune femme qui pallie l’absence d’échange avec sa psychanalyste en se confiant à ses amis. Elle sourit : «Ça m’aide, mais les amis, ce ne sont pas des psys.»
*Le prénom a été modifié.
(1) Relations et communications interpersonnelles, Dunod, 132 pages.
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