Des rappeuses amatrices qui appellent « une chatte une chatte »
- Ce vendredi, sort la mixtape Le Rap2Filles Souterraine.
- Ce projet musical regroupe 12 rappeuses amatrices repérées sur Instagram.
- Une compilation féministe et engagée ?
Combien de noms d’artistes féminines évoluant dans le rap français pouvez-vous citer comme ça, là, maintenant ? Pas beaucoup… Alors que ceux des hommes vous viennent en pagaille. Le constat n’a rien de nouveau, mais il est d’autant plus probant depuis que le rap s’est largement imposé dans le paysage musical. En mai dernier, la rappeuse Shay en faisait d’ailleurs état avec une certaine amertume auprès
de 20 Minutes : « Il y a beaucoup de femmes qui écoutent du rap, mais elles sont obligées de n’écouter que des mecs parce qu’il n’y a que des mecs. On doit s’identifier à eux alors que les femmes ont aussi des choses à dire ».
Mais les femmes n’ont pas dit leur dernier mot, et ce vendredi, elles seront notamment douze à faire entendre leur voix, à travers un projet en marge : la mixtape Le Rap2filles Souterraine. Au programme, une compilation 100 % féminine de MC venant de Paris, mais aussi de Châteauroux, Lille ou Saint-Etienne, quasiment toutes repérées grâce à leurs freestyles sur Instagram. L’objectif de cette compil ? « En faire un tremplin, apporter de l’exposition médiatique, et forcément de la visibilité », explique Ocho Doble, créateur de la page Insta rap2filles, beatmaker et producteur. « Si toutes sont signées par la suite, l’objectif sera atteint, ça voudra dire que le projet a été suffisamment visible », ajoute de son côté Benjamin Caschera, organisateur de
la Souterraine. Et pour cela, tous deux ont opté pour un projet exclusivement féminin, « non-mixte », radical. Et foncièrement politique ?
Etiquettes et légitimité
A l’origine de cette compil, on retrouve deux structures très différentes, La Souterraine et Rap2Filles. La première se présente sur Facebook comme une « archive vivante de l’underground musical francophone » qui porte des projets musicaux en marge, la deuxième est un compte Instagram lancé courant 2019, et qui organise des concours de freestyles réservés exclusivement aux femmes. Le résultat de cette collab donne une compilation détonante : 12 rappeuses amatrices âgées entre 22 et 28 ans, aux profils et aux horizons très différents. Et si la plupart rêvent de vivre de leur musique, la soif de gloire n’est pas forcément la motivation de ce projet collectif. « Je ne pensais même pas être sur la mixtape, s’étonne encore Djaahaya. Et je voulais aussi être confrontée à un public autre que le mien, familial et amical. Là je suis avec d’autres rappeuses très talentueuses, et j’ai reçu des critiques constructives, je suis vraiment contente et reconnaissante. »
Une surprise partagée par KLI, l’une des gagnantes du concours rap2filles : « Je ne m’attendais pas à gagner, je suis encore un bébé ! Je n’ai pas énormément de contacts, je vis dans une petite ville… » Agée de 25 ans, la jeune femme doit notamment sa présence à une amie, qui l’a poussée à présenter son rap sur les réseaux sociaux. « J’hésitais parce qu’il n’y a pas beaucoup de filles dans le rap, je ne pensais pas pouvoir être ce que je voulais être, mais j’aurais dû le faire ! », lance-t-elle.
Un manque de confiance en soi notable, mais surtout trop peu de modèles féminins auxquels s’identifier. « Je pense que maintenant on est mise en avant, on a notre place. Ce qui est difficile pour une femme qui fait du rap, ce sont les étiquettes. Ou il faut être sexy et vulgaire, un peu comme les Américaines, ou il faut être un garçon manqué et parler comme les hommes. C’est compliqué de se sentir légitime dans le rap quand on est une femme », analyse Djaahaya, qui, avec raison, étend le débat. « Dans la société, la femme est considérée différemment de l’homme, le rap n’est que le reflet de cela. Le tout est de rester fidèle à soi-même, me concernant je ne cherche pas à être vulgaire comme un garçon ou à prendre des pincettes comme une fille. Et je ne dis pas des gros mots juste pour dire des gros mots, par contre parfois il faut appeler un chat un chat, ou une chatte une chatte ! »
Girl power ?
Reflet de la société, visibilité, non-mixité… La mixtape Le Rap2Filles Souterraine serait-elle plus qu’une simple compilation 100 % féminine ? Faut-il voir dans cet espace réservé aux femmes, une démarche féministe et engagée ? « J’ai vu ça comme une chance, je ne me suis pas dit que c’était pour une cause féministe, répond KLI. Je l’ai fait pour moi, pour dire des choses, et j’ai envie de dire aux gens qu’il faut avoir confiance en soi, homme ou femme. » Pour le fondateur du compte Instagram, « l’idée n’est pas de dire qu’il y a trop d’hommes ou pas assez de femmes, mais juste de rétablir une égalité ».
Benjamin Caschera lui, assume un positionnement un peu plus radical : « Tout ce que tu fais dans la vie est un projet politique. Je crois en l’affirmative action [discrimination positive en anglais], sinon ça ne bouge pas. Non-mixte était d’ailleurs l’une des propositions du nom de la compilation. L’objectif de la Souterraine est aussi de faire passer des concepts de radicalités, et certaines des compils peuvent être vues comme des tracts ». Un passage en force donc ? Plutôt « ouvrir une bulle ». « Il faut sortir la première compilation pour que ça fasse un déclic pour tout le monde. Le but est de motiver des gens, et des meufs à se lancer ». Car ce projet ne devrait pas en rester là. Outre des concerts, La Souterraine et rap2filles ont pour objectif de faire d’autres mixtapes, et de découvrir de nouveaux talents.
La bande de filles
En plus des trois rappeuses citées dans l’article, ont participé à l’album : Turtle White, Vicky R, Savannah Sweet, Yelsha, Holy G, I. llustre, Sensei H, PBL et Dey Ef.
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