Déconfinement : "Je ne veux pas reprendre ma vie d’avant"

« Je pense qu’il y a des gens qui ont surtout envie de reprendre leur vie d’avant, mais pas moi », sourit Christine, enseignante chercheuse en ressources humaines.

Le lien entre les humains, elle connait bien. C’est ce qu’elle transmet à ses élèves de l’Audencia Business School depuis 18 ans. Alors, bien qu’elle appuie l’idée que les relations entre les hommes sortent renforcés de cette période confinée, l’enseignante tire surtout des leçons de ses 8 semaines passées à la maison. Maintenant, elle a « plus de temps pour les gens ». Pour elle, c’est un repositionnement de la perception des vies professionnelle et personnelle qui s’est opéré ces derniers mois.

Et Christine n’est pas seule, selon une étude* ce sont 76% des Français qui espèrent mieux s’organiser après le confinement pour profiter des moments importants et des petits plaisirs de la vie. 

L’après confinement, un nouveau départ ?

« Avant je travaillais énormément, continue Christine, ce confinement m’a fait réfléchir au temps et à la façon dont je l’utilisais. Je sais que maintenant je vais plus lever le pied, pour ma famille, pour moi et pour ma santé aussi. »  

Comme nous resterons en danger pendant un certain temps, certaines de ces nouvelles décisions pourraient solidement s’ancrer

Un désir de casser une routine bien installée que Laurie Hawkes, psychologue clinicienne et psychothérapeute explicite : « Ces prises de conscience sont normales, mais ne survivent généralement pas sur la longueur. Malgré tout, il y a ici un espoir dans le fait que, comme nous resterons en danger pendant un certain temps, certaines de ces décisions pourraient solidement s’ancrer. »

En effet, nous répondons à des habitudes. Même si selon plusieurs études, il faudrait un minimum de 8 semaines pour qu’on en mette une en place, Laurie Hawkes précise qu’il serait bien qu’ici, « elles soient entretenues un peu plus longtemps ».

Le temps des enseignements collectifs

Pour certains, plus que de tirer des leçons personnelles, il faut retenir des enseignements collectifs de ce confinement. Inès, étudiante en anglais, ne veut par exemple plus entendre parler de la bise.

« Même si je doute que la bise chez les adultes soit totalement éradiquée de nos habitudes, je souhaiterais ne plus voir de parent demander à un enfant de faire un bisou sur la joue d’un autre adulte pour que son bonjour soit validé », raconte-t-elle.

Au-delà des problèmes hygiéniques que les embrassades soulèvent, la jeune fille pense à la question du consentement au contact physique. Et si une crise sanitaire pouvait aider à l’internalisation du principe de consentement dans l’esprit des Français ?

Pour Christine, c’est dans le monde du travail qu’il est temps de faire changer les choses. « Je ne veux plus voir d’entreprises rechigner pour quelques journées de travail à la maison », explique la chercheuse. Son mari, salarié d’une PME dont la direction refusait jusqu’alors catégoriquement le télétravail, exerce à la maison depuis l’annonce du confinement. Tout se passe bien. Pourtant, selon les données de la direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques, en temps normal, seul 7% des salariés français pratiquent le télétravail.

Moins de déplacements, moins de risques de transmission du virus, moins de stress… Si approché d’une manière différente – sans enfants à la maison, avec une pièce adéquate et sans bulletins d’information redondants et anxiogènes en fond sonore – le travail à la maison pourrait avoir du bon pour l’environnement et pour nos vies professionnelles.

Selon une étude Ifop pour Malakoff Médéric publiée en 2018, pour 90 % des télétravailleurs, cette pratique offre même une meilleure autonomie et une plus grande efficacité de travail.

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La solidarité, remède à la solitude des confinés

Thomas, trentenaire rouannais, n’est pas en télétravail. Serveur dans un restaurant, il s’est retrouvé chez lui après les annonces de fermeture des bars, cafés et restaurants. Alors, pour mieux vivre confiné, il a choisi la solidarité. Toute la journée, il cuisine, il fait des courses, il prépare du courrier à poster. Mais pas pour lui. Pour les autres.

Le jeune serveur propose son aide aux personnes âgées de son quartier. En tout, il visite plus de 10 personnes par semaine. « J’ai compris avec cette pandémie que notre existence ne tenait pas à grand-chose, alors je veux être utile, c’est un peu le seul remède à ma déprime de crise existentielle », sourit-il.

Pour beaucoup d’entre nous, se sentir utile c’est important : ça fait du bien aux autres et à nous, parce que ça nous empêche de penser à la peur 

Pour la psychologue Laurie Hawkes, c’est un phénomène très humain : « Pour beaucoup d’entre nous, se sentir utile c’est important : ça fait du bien aux autres et à nous, parce que ça nous empêche de penser à la peur. C’est du gagnant-gagnant absolument formidable. »

Un esprit d’entraide et de reconnaissance viable post-confinement ?

Maraudes, distribution de colis alimentaires, soutien aux professions en première ligne ou fabrication de masques artisanaux… Dans ces moments sombres, la lueur de l’entraide brille plus fort, et voilà que des milliers de petites mains portent le pays.

Sylvie est l’une d’entre elles. Pourtant, elle redoute que ces belles habitudes ne restent intactes une fois le confinement levé. Pas d’enfants, ni vivant avec des personnes à risque, elle est à sa caisse d’une grande enseigne alimentaire depuis presque 8 ans et en première ligne depuis presque 2 mois.

Alors que nous réfléchissions à nos modes de vie ou à appeler nos proches plus souvent, Sylvie, elle, pensait au virus qu’elle pouvait ramener chez elle chaque soir. Même si elle n’a pas de prise de conscience particulière à partager, elle est sûre d’une chose : « Après le confinement, je ne veux juste pas qu’on m’oublie. » 

« Malheureusement, commente Laurie Hawkes, ça dépendra de nous. Est-ce que les autres gens, ceux qui ont juste hâte de reprendre la routine, continuerons de penser aux professions si essentielles pendant ce confinement, ça je ne sais pas. »

L’impossibilité d’imaginer un avenir plus radieux  

Lina, rédactrice freelance, pense que plus que notre façon de traiter les gens, c’est la situation que va rester inchangée.

« Les problèmes mis en avant durant le confinement et depuis l’arrivée de la pandémie ont toujours existé : le besoin de protéger la biodiversité, injecter de l’argent dans les hôpitaux, les inégalités accrues, les violences domestiques, je ne vois pas pourquoi ça changerait », ajoute celle qui se qualifie de pessimiste.

A l’inverse des initiatives solidaires qui se sont multipliées ces dernières semaines, Rachel, elle, retiendra du confinement « un manque de cohésion social flagrant. » Elle regrette surtout « les personnes qui continuent de sortir, le manque de compassion pour les personnes âgées enfermées et les victimes à l’hôpital, sans parler de ceux qui font du profit sur toute cette situation en vendant des attestations imprimées, des masques ou autre. »

Même si elle refuse maintenant d’accepter « le manque de communication et de transparence de la part du gouvernement sur l’état actuel des choses », ce n’est pas un avenir plus radieux qu’elle perçoit.

Vision pessimiste ou juste réaliste ? « En ce moment, beaucoup sont plus dans l’appréciation et la gratitude plutôt que d’être dans les râles et les plaintes. Mais est-ce que ça va rester ? », répond Laurie Hawkes.

« Le confinement ne laissera pas de trace sur ma vie »

En tout cas, pour Mario, jeune journaliste, pas de bonnes résolutions à tenir ou de changements à honorer : « Je n’ai pas le sentiment que le confinement laissera de véritables traces sur ma vie », confie-t-il.

Une affirmation qui peut surprendre, mais qui finalement, n’est pas si rare selon l’experte. « Il y a un certain nombre de gens qui vont en sortir inchangé. Si l’on n’a pas été touché directement par le virus, on a juste attendu que ça se passe. Avec tous les moyens de distractions, c’était simple pour certaines personnes de ne pas y réfléchir. »

Même si finalement, le retour à la civilisation ne sera peut-être pas si simple pour ceux qui ont juste hâte de retrouver ‘la vie d’avant’. Laurie Hawkes explique même que certains seront « déçu » de voir que la vie ne sera pas si normale à leur sortie.

Le petit choc que certains ont pu vivre au début du confinement pourrait alors se faire sentir chez ces personnes.

*étude TLC Marketing, Occupations et loisirs des Français pendant et après le confinement

* Certains prénoms ont été changés

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