Dans « Cinq dans tes yeux », Hadrien Bels étrille le Marseille bobo
- L’Iconoclaste publie le premier roman d’Hadrien Bels, Cinq dans tes yeux, qui s’inspire de son enfance dans le Panier des années 1990 à Marseille.
- L’auteur dresse un portrait tout en nostalgie et vérité sur le quartier de son enfance, et dénonce au passage la gentrification de sa ville tant aimée.
C’est un premier roman qui fait parler de lui. Il faut dire qu’il attaque fort, à l’image de cette première phrase : « Sur ces hauteurs de
Marseille, les bars branchés et les boulangeries bio sont apparus aussi subitement qu’une poussée d’herpès. » Vidéaste et réalisateur, Hadrien Bels a passé son enfance dans le quartier du Panier, derrière le Vieux-Port, dont on comprend vite qu’il ne goûte guère ce qu’il est devenu avec l’arrivée en masse des bobos et des touristes.
Entouré de sa bande pas si fictive « Nordine, Djamel, Ange, Kassim et Ichem », l’auteur de Cinq dans tes yeuxbrocarde joyeusement la gentrification. Et offre une plongée savoureuse, à la fois ultra-réaliste et sensible, dans un Marseille d’hier et d’aujourd’hui.
D’où part ce premier roman, pourquoi cette envie d’écrire sur Marseille ?
L’idée était d’écrire sur mon quartier d’enfance. Cela part vraiment de là, de ce groupe d’amis et de ce quartier qui a un peu disparu. Je voulais redonner vie au Panier des années 1990. J’étais en résidence d’écriture à Tanger, j’avais écrit des scènes du passé, comme celle du coup de couteau, des choses assez fortes, comme des nouvelles. Le fil narratif de ce personnage, surnommé Stress, qui essaie de faire un film sur son quartier d’enfance est venu ensuite. Je n’avais pas envie de me cantonner seulement au passé, je voulais aussi parler du Marseille d’aujourd’hui, d’où ces allers-retours dans le temps.
Vous avez grandi dans le Panier, « au milieu des Comoriens, des Arabes et des Portugais, avec ma figure rose » comme vous écrivez…
J’ai grandi là-bas, mes parents sont arrivés d’Algérie en 1978. A l’époque, c’était une famille d’intellos venant s’installer dans ce quartier populaire. Mon frère et moi, on a grandi là. Ma mère, qui avait passé cinq ans à enseigner aux Beaux-Arts d’Alger, nous a mis à l’école publique. Maintenant, je sais que c’est quelque chose qui peut être compliqué, à l’époque cela s’est fait comme ça. Sur la photo, ce n’est pas très difficile de me retrouver.
Votre mère est une figure culturelle du quartier, vous en faites aussi un beau portrait dans le livre. N’a-t-elle pas finalement été une bobo avant l’heure ?
J’ai pu lui reprocher de faire partie de ces gens qui ont planté le drapeau bobo dans le quartier, comme Armstrong sur la Lune. Mais comme elle m’a répondu, il fallait y aller à cette époque-là, personne ne voulait y mettre un pied. Les bobos viennent quand la place est réchauffée, le hors-piste, ce n’est pas trop leur truc.
Tout au long du roman, vous préférez le mot que vous inventez de « venant » à celui de « bobo », pourquoi ?
Il y a un côté passe-partout avec le mot bobo, on ne sait plus trop qui c’est vraiment, on le sort à toutes les sauces. Avec « venant », qui désigne celui qui vient d’ailleurs, j’aime cette ambiguïté entre les gens qui arrivaient de l’immigration dans les années 1990 et le personnage de Stress, qui quelque part aussi est un venant. Il y a aussi dans ce mot un côté extraterrestre, envahisseur que j’aime bien. Le bobo est très marqué symboliquement, le venant l’est moins, cela permettait de dire plus de choses.
Vous n’êtes pas tendre avec ces bobos/venants, qu’ils soient du Panier, de la Plaine, du cours Ju ou de la Friche Belle de Mai… A propos de cette dernière, vous écrivez par exemple : « Une ruche de Venants qui se passent la main dans les cheveux. Peu de Marseillais y travaillent, sauf pour faire la sécurité ou la cuisine. » « Les quartiers Nord sont vendeurs et toutes sortes d’artistes tournent autour », écrivez-vous aussi.
Le livre a beaucoup été ramené à cette charge contre la gentrification. Les choses ne sont pas aussi manichéennes que cela, c’est un peu simpliste. Je dénonce les gens qui ne sont pas clairs là-dessus, qui font partie de l’équation et lutte contre ça. Quand je vois dans la rue d’Aubagne les sacs « Solidarité Noailles » à l’Epicerie idéale, il y a un truc qui ne va pas. Dans le livre, personne n’est épargné, les anarcho-bobos, les petits-bourgeois qui vont dans les bars à bières, la culture subventionnée ou le repli identitaire. C’est aussi un livre sur le déterminisme social.
Ce Marseille cosmopolite de votre enfance au Panier n’existe donc plus ?
Il suffit de se balader un samedi soir sur le Vieux-Port ou un dimanche sur la Canebière pour voir que ce Marseille populaire existe. Ce que je reproche le plus, c’est le manque de vie, la perte d’une âme, aujourd’hui les rues sont vides le soir au Panier. Le quartier était voué à devenir une vitrine politique, euh, lapsus, touristique. Tout le monde le savait avec l’Intercontinental en travaux, les rues pavées, on s’est dit cela va être beau, sauf que cela s’est fait sans les gens. C’est devenu un quartier où on vend des céramiques, du street-art, une espèce de tour-opérateur touristique.
Vous craignez que Marseille devienne comme Bordeaux ou Lyon ?
On est attiré par cette ville parce qu’elle est bordélique. Puis on veut des pistes cyclables, que les gens se garent normalement, on est dans ce paradoxe. Cela me fait peur, est-ce que l’on veut vraiment cela pour Marseille ? J’aime bien le bordel, j’aime qu’une ville ne soit pas trop rangée. On veut que Marseille s’embourgeoise, après il y a de la marge.
Dans quelle Marseille vivez-vous à présent ?
C’est le Marseille des venants où je vis aujourd’hui, je ne vais pas boire des coups dans un PMU. Mon livre n’est absolument pas contre eux, mais ceux qui vont trop vite, qui vont une fois au Vélodrome dans la saison quand ça commence à gagner et donnent l’impression de tout connaître. J’aimerais plus de lenteur. J’ai pris 40 ans avant de déclarer mon amour à Marseille.
Comme le personnage de votre roman, aimeriez-vous réaliser un film sur votre quartier d’enfance ?
Des propositions commencent à arriver. C’est très casse-gueule, cela demande une très grande précision, au même titre qu’un film sur Naples. On n’a pas le droit de se rater sur ce que les gens mangent, la manière de se déplacer, de parler… Dans le livre, il y a peu d’erreurs je pense sur le langage, la physionomie de la ville, les codes. C’est du vécu de l’intérieur, pas un travail de journaliste.
Et côté écriture, un projet est en route, sur Marseille toujours ?
J’essaie de rembrayer, j’ai bientôt une résidence d’écriture en Belgique. C’est le grand dilemme est-ce que je reviens à Marseille, est-ce que j’en pars ?
Cinq dans tes yeux, d’Hadrien Bels, paru chez L’Iconoclaste, 18 euros.
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