Covid-19 : le couvre-feu généralisé à 18h aura-t-il une réelle efficacité ?

L’avancée du couvre-feu de 20h à 18h sur l’ensemble du territoire national sera-t-elle efficace pour contrer une troisième vague ? C’est en tout cas ce qu’espère l’exécutif.

Déjà en vigueur dans 25 départements, cette mesure s’appliquera désormais à l’ensemble de la France, dès ce samedi 16 janvier, a annoncé le Premier ministre Jean Castex, lors de son point hebdomadaire sur l’évolution de la situation épidémique jeudi 14 janvier.

En obligeant les Français à rentrer chez eux deux heures plus tôt (sauf dérogation), le gouvernement espère limiter la propagation de la Covid-19 et éviter un reconfinement. Mais qu’en est-il vraiment ? Pas encore appliquée, cette décision est déjà controversée et fait l’objet d’avis partagés. Explications.

Une mesure « qui a fait ses preuves » pour certains

En octobre dernier, un couvre-feu avait déjà été instauré dans une dizaine de métropoles françaises. Une mesure qui n’avait pas empêché un deuxième confinement mais qui a prouvé son efficacité, selon une étude eurosurveillance publiée le 17 décembre.

« Il n’y a pas photo, on observe clairement un ralentissement plus précoce de l’augmentation du taux d’incidence dans les métropoles où le couvre-feu a débuté le 17 octobre », expliquait Partick Rolland, épidémiologiste et co-auteur de l’étude, au journal Le Parisien le 18 décembre.

Santé Publique France relevait également dans son bulletin épidémiologique du 19 novembre, une « diminution franche de tous les indicateurs, plus marquée dans les premières métropoles mises sous couvre-feu ». 

Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), confirmait ces données auprès de BFM TV le 30 décembre. Une diminution de la charge du virus au sein des circuits d’eaux usées en Île-de-France a par exemple été observée au tout début du reconfinement et serait, selon lui, un effet du couvre-feu instauré les semaines précédentes. Les grandes métropoles qui ont bénéficié de cette mesure à l’automne « ont été un peu plus épargnées durant la deuxième vague », a-t-il observé.

« Selon les données disponibles à ce jour, cette mesure à une efficacité sanitaire », a noté le Premier ministre lors de son point hebdomadaire ce jeudi 14 janvier. Puisque « dans les quinze premiers départements où le couvre-feu a été mis en œuvre à 18 heures dès le 2 janvier, la hausse du nombre de nouveaux cas y est deux, voire trois fois plus faible que dans les autres départements métropolitains ».

Un argumentaire avancé plus tôt dans la journée par le ministre de la Santé, Olivier Véran, qui expliquait que « dans tous les départements qui ont adapté cette mesure, on a une augmentation du taux d’incidence de 16 %, quand les autres ont une augmentation de 43 % ».

Le professeur Matthieu Revest, infectiologue au CHU de Rennes, considère quant à lui que la mise en place du couvre-feu à 18h est « nécessaire et efficace », rapporte CNews le 14 janvier. D’après lui, « toutes les mesures qui limitent au maximum les interactions sociales sont bonnes à prendre car la maladie se nourrit de celles-ci. »

Un effet « quasi nul » pour d’autres

Si le couvre-feu semble bel et bien avoir fait ses preuves à plusieurs reprises pour certains, d’autres spécialistes émettent des doutes quant à l’efficacité de son avancée.

A l’image du professeur Eric Caumes, chef des maladies infectieuses à La Pitié-Salpêtrière, et de l’épidémiologiste Catherine Hill. Si les deux experts n’ont pas souhaité développer sur le sujet, ils ont quand même fait part à CNews de leur scepticisme le 14 janvier. Alors qu’Eric Caumes »n’y croit pas beaucoup », Catherine Hill, estime quant à elle que « ce n’est pas efficace ».

« Un couvre-feu avancé à 18 heures ne changera grand-chose. Cela va embêter les gens et ne va pas beaucoup réduire le nombre de personnes qui se croisent, et qui se contaminent », déclarait-elle déjà au journal Le Parisien fin décembre.

L’épidémiologiste et médecin de santé publique, Martin Blachier, affirme de son côté au journal que « l’effet du couvre-feu à 18h est quasi nul ». Pourquoi ? Selon lui, « toutes les mesures sur le couvre-feu ont été faites quand les bars, les salles de sport, et les restaurants, étaient ouverts. Etant donné que l’on évitait les rencontres dans ces lieux de contamination, c’était efficace. Mais désormais, tous ces endroits sont fermés. Ce dispositif montre surtout son efficacité sur les dîners, les soirées ».

Le couvre-feu à 20 heures « empêchait déjà ces rassemblements. Les gens sortent du travail, ils vont faire des courses, puis ils rentrent chez eux. Avancer de deux heures le début du couvre-feu, n’a aucune efficacité », insiste-t-il. Le spécialiste souligne, en outre, que pour limiter la propagation du virus, « il faut aller voir ailleurs », en continuant par exemple « à privilégier le télétravail » ou encore en « travaillant sur l’organisation dans les cantines scolaires ».

Un avis partagé par la médecin généraliste Tura Milo, invitée de BFM TV le 30 décembre, qui jugeait « absurde » cette extension, car elle va « compliquer la vie des gens ». Pour une réelle efficacité face à ce « haut plateau » actuel de l’épidémie en France, il faudrait, selon elle, commencer à vacciner les personnes dans les départements plus durement touchés.

Pour Guillaume Rozier, auteur du site CovidTracker, le couvre-feu ne serait pas le seul responsable de la baisse du pourcentage du nombre de contaminations dans les départements où il a été avancé depuis le 2 janvier. Car cette baisse s’observe en réalité depuis le 25 décembre.

Si l’on compare les départements où le couvre-feu a été instauré à 18h, la hausse du nombre de contaminations observée était de 30 % le 25 décembre, contre 55 % dans les départements où le couvre-feu était établi à 20h depuis le déconfinement.

La « moins mauvaise mesure entre devoir reconfiner et ne rien faire »

Pour le Pr Yvez Buisson, avancer de deux heures le couvre-feu va « limiter les rassemblements, les rencontres et les activités qui génèrent une plus grande transmission du virus », affirmait-il au micro de RMC le 30 décembre.

Car 18h est souvent le moment de la journée où les gens sortent du travail et s’adonnent à des activités de loisir. « Les personnes qui finissent à 17h vont être dans une situation de couvre-feu et seront priées de rentrer chez elles après leur travail. Cela va les dissuader d’aller chez des amis ou de faire des courses », remarquait en effet Benjamin Davido chez BFM TV le 30 décembre.

Le couvre-feu avancé de deux heures va « complexifier la tâche de certains qui ne jouaient pas le jeu et agir comme une piqûre de rappel pour d’autres et leur rappeler qu’on est dans une situation inédite », ajoute-t-il. Il s’agit, pour l’infectiologue, de la « moins mauvaise mesure entre devoir reconfiner et ne rien faire ». Elle apparaît comme plus « acceptable » qu’un reconfinement, surtout en période hivernale.

Pour Pascal Crepey, enseignant-chercheur à l’EHESP, avancer le couvre-feu de deux heures « permet a priori d’éviter encore un peu plus ces contacts sociaux que l’on peut avoir avec nos amis. Il a évité que l’on puisse aller prendre un verre chez les uns ou chez les autres, juste après le travail », indiquait-il à LCI le 10 janvier. En clair, avec le couvre-feu de 20h, les dîners étaient impossibles. Avec celui de 18h, les apéritifs le sont aussi.

L’idée de conserver le système du couvre-feu et de l’étendre à l’ensemble du territoire fait peut-être suite à la publication de l’étude ComCor mi-décembre, comme le notait le Huffington Post le 3 janvier. Celle-ci révélait qu’une large part des contaminations, hors du foyer, avaient lieu dans le cercle familial et amical (pour 33 et 21 % d’entre elles). Inciter à ne pas sortir après 18h, c’est donc aussi limiter pendant deux heures cruciales la rencontre entre les personnes, notamment à la sortie du travail.

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