Confinés et seuls : ils nous racontent le poids de la solitude au temps du Covid-19
“Le second confinement ? Je le vis moins bien que le premier”, déclare d’emblée Elie, 30 ans. À l’image des 27% de Français recensés par l’IFOP* en mars dernier, ce consultant en communication fait partie de ces personnes qui vivent seules ce reconfinement, le plus souvent après avoir expérimenté une première édition au printemps dernier.
Une double peine en somme, que bon nombre ont du mal à supporter, ce nouvel isolement prenant des airs d’interminable marathon. “Au moins la première fois, on en voyait la fin : il y avait une date de déconfinement, on se projetait plus facilement dans la sortie de crise. Là, on la voit beaucoup moins…”, précise Elie, qui rejoint les 41% de concitoyens ressentant une forte solitude face à ces nouvelles mesures du gouvernement.
Un sentiment que partage également Charles, 31 ans, pour qui ces restrictions sanitaires sont un nouveau coup dur, entre mal-être exacerbé et emploi du temps professionnel surchargé. “J’ai l’impression de passer mon temps au même endroit, sur cette même chaise pour bosser, manger ou me détendre en regardant un film. Je n’ai pas le temps de sortir à cause de la charge de travail et des appels toute la journée. La pause déjeuner n’existe plus, tout comme la coupure du soir pour rentrer chez soi”, raconte avec tristesse ce directeur artistique qui avoue avoir également d’importantes difficultés à dormir, comblant la solitude par une procrastination noctambule 3.0.
Et si le téléphone, les réseaux sociaux et autres moyens de communication permettent de maintenir une certaine forme de lien avec son entourage, ils donnent désormais lieu à des échanges sans saveur et, paradoxalement, à une certaine forme de lassitude relationnelle. “Dans la mesure où l’on vit tous plus ou moins reclus, on n’a vraiment plus grand chose à se raconter, à part sur le travail ou la promo repérée au supermarché. Les conversations vont tourner autour du passé, du présent mais rarement du futur…On va parler des séries qu’on regarde, des livres qu’on a lus… mais on va vite avoir fait le tour”, commente Elie qui tente en parallèle de se couper de l’actualité qu’il juge stressante et anxiogène.
Jeûne social et santé mentale
“Dans un contexte où l’inquiétude liée au terrorisme se mêle au sentiment d’une crise sanitaire sans fin, tous ces indicateurs mettent en exergue une usure psychologique générale qui affecte en particulier les personnes déjà fragilisées avant le confinement. La proportion de personnes admettant une dépression ou un mauvais état psychologique atteint ainsi des sommets”, commente François Kraus, directeur à l’Ifop, dans un communiqué du centre d’études, rappelant le lien étroit entre solitude et bien-être.
Et pour cause, véritable source d’alimentation cérébrale, les relations sociales sont en effet essentielles au maintien d’une bonne santé mentale, voire tout simplement de notre survie, comme l’explique le neuroscientifique Sébastien Bohler dans une courte vidéo de Brut. “Durant cette période de confinement, une partie du cerveau est fortement stimulée : l’aire tegmentale ventrale ».
Ni hasard, ni coïncidence, il s’agit de la même zone activée lorsque nous sommes totalement privés de nourriture. “Autrement dit, la privation de contact social est une forme de jeûne par notre cerveau”, poursuit-il, rappelant que depuis le paléolithique, l’être humain a été conditionné à chasser en groupe et à coopérer avec ses semblables pour pouvoir survivre et se nourrir. Et ce n’est pas tout. « On sait que la souffrance liée à la solitude est très bien compensée par un contact physique, comme quelqu’un qui vous sert l’avant-bras, la main, qui passe une main sur votre épaule ou qui vous sert dans ses bras », continue Sébastien Bohler, qui rappelle le rôle crucial du toucher dans la diminution du stress et de l’angoisse.
Pas étonnant donc, que face à ces deux jeûnes sociaux successifs, les appels à l’aide explosent, comme en témoignent les quelque 20 000 appels quotidiens reçus par le centre d’appel du Ministère de la Santé, géré par la Croix-Rouge Sida Info Service, SOS Amitié et SOS Crises. « L’impact psychologique de l’épidémie et du confinement est réel. (…) La santé mentale des Français s’est significativement dégradée”, rappelait Olivier Véran lors du point presse du 19 novembre dernier, invitant les Français à “mettre des mots sur leurs maux”, tout en leur assurant que 160 psychologues supplémentaires sont en cours de recrutement dans les centres médicaux. Une expression d’un mal-être profond qui, parmi nos témoins isolés, passe notamment des sentiments de colère, de frustration et d’injustice.
Transgresser les règles avec modération
“Quand tu vois le succès de documentaires complotistes, y compris auprès de gens éduqués, tu comprends que personne n’est prêt à faire des efforts. Si un Français sur deux refuse de se faire vacciner, on n’est pas sorti de l’auberge”, explique Elie, qui n’est pas tendre non plus avec le gouvernement et sa gestion de la crise sanitaire. “On est aussi en train de tuer toute l’économie alors qu’on aurait pu s’inspirer d’autres pays en confinant plus tôt et moins longtemps, en faisant plus de dépistages ou encore en isolant uniquement les personnes fragiles”, enjoint-il.
Mais c’est surtout par leurs gestes, leurs actions ou leurs habitudes domestiques que cette solitude renouvelée se manifeste dans ce quotidien confiné. En effet, s’ils s’étaient soumis à un respect orthodoxe des gestes barrières lors du premier confinement, nos témoins admettent aujourd’hui s’autoriser quelques entorses au règlement, à l’image des 60% de Français*. C’est le cas notamment de Corentin, 32 ans, qui confesse “transgresser avec modération” le confinement, au détour de quelques sorties récréatives. “Je suis déjà allé chez un copain pour son anniversaire, on était 5, ça reste raisonnable. Un ami est venu chez moi une autre fois. Je transige un peu, mais j’essaye de pas abuser, et de rien faire qui serait scandaleux, comme une fête de 15 personnes dans un appartement”, nuance-t-il.
Même chose pour Laetitia, 27 ans, qui après avoir passé un premier confinement sous Covid-19, aborde ce nouvel enfermement avec plus de flexibilité. “Cette fois-ci, j’avoue, je suis un peu moins attentive. Certes, je ne sors jamais sans masque, ni attestation, mais je vais au bureau deux fois par semaine pour gérer l’administratif et je profite de ces sorties pour aller passer la soirée avec mon copain”, raconte la jeune femme.
Cause de ce relâchement ? Un ras-le-bol généralisé certes, mais surtout une connaissance du virus et des précautions à adopter qui rend la contamination au Covid-19 moins redoutée. “La différence, c’est qu’on connaît plus les risques qu’en avril dernier. On sait que sortir, avec les gestes barrières, c’est safe. Il faut surtout faire attention quand tu es à l’ intérieur, avec le masque et le gel”, abonde Corentin, conscient que voir des amis, même peu, reste tout de même un écart de conduite.
« J’ai perdu la motivation de cuisiner »
Outre ces sorties qui ne répondent pas franchement à un motif impérieux, les confinés solitaires sont également nombreux à avoir abandonner leurs bonnes habitudes du premier confinement. Exit les apéros Zoom planifiés religieusement, les sessions de cuisine façon Cyril Lignac ou les bonnes résolutions impliquant cours de yoga en ligne et méditation : les 1001 activités du printemps dernier ont laissé place à une forme de lassitude et de laisser-aller, sans forcément tomber dans l’excès.
“En mars, je planifiais mes repas, j’essayais de me faire plaisir, mais là, j’ai un peu perdu la motivation de cuisiner… », avoue Elie qui continue de s’astreindre à certaines règles, réservant sa chambre aux loisirs et son salon au télétravail, ou s’obligeant à faire les courses un peu tous les jours pour se forcer à sortir.
Même chose pour Corentin qui tend à troquer ses lectures pour Netflix et les soirées open-bar par d’occasionnels apéro solo. “Clairement j’évite de boire tous les soirs, mais en fin de semaine il ne faut pas se refuser une bière ou deux. C’est un rituel qui est normalement social, mais si ça fait plaisir faut pas se le refuser même en étant solo. Ça aussi ça permet d’évacuer un peu la frustration du confinement”, ajoute-t-il, en ajoutant qu’il passe également ses nerfs dans des séances de running (presque) quotidiennes.
Trouver un bon compris entre l’utile et l’agréable, ce qui est permis et ce qui ne l’est pas : tel semble être le terrain sur lequel tâtonnent nos témoins, qui essayent tant bien que mal de combattre cette solitude souvent paradoxalement choisie. En effet, sur les quatre qui ont accepté de répondre à nos questions, trois sont effectivement en couple mais ont décidé de rester chacun dans leur coin. « J’ai peur de péter les plombs si je me mets à vivre avec d’autres gens : je suis de nature solitaire et je n’ai pas un appart assez grand pour cohabiter avec d’autres personnes en confinement”, précise Elie.
Une solitude choisie ?
Un parti-pris qui contraste avec celui des célibataires qui ont répondu à notre appel à témoins, ces derniers ayant fuit coûte que coûte la solitude du premier confinement pour se réfugier la plupart du temps en Province chez leurs parents.
“Même si j’ai découvert que je pouvais vivre seule et bien m’entendre avec moi-même lors du premier confinement, alors que je sors habituellement presque tous les soirs, je savais aussi que j’avais atteint mon quota de solitude, que je ne pourrais pas être davantage seule et revivre ça une seconde fois, a fortiori avec l’hiver et la nuit qui tombe à 17h”, nous détaille Anne-Charlotte, partie rejoindre sa famille en Vendée en amont de l’annonce officielle de confinement.
On est des êtres sociaux et on a besoin de compter sur le soutien des autres quand ça ne va pas, quand ça va
“Je suis capable d’être seule, mais cette fois-ci je n’en ai plus du tout envie, ni le besoin. Là ça me fait chier clairement ! Ce n’est pas ça la vie ! On a l’impression que ça va être cyclique, qu’on va vivre ça souvent et c’est démotivant. Si on ne va pas bien, on est très vite isolé et ce n’est pas tenable à long terme. On est des êtres sociaux et on a besoin de compter sur le soutien des autres quand ça ne va pas, quand ça va”, confirme Julie.
“Pour les célibataires, cette situation est plus compliquée car c’est une période où ils ne peuvent ni poursuivre leur mode de vie ultra-sociable, ni avoir l’opportunité de rencontrer quelqu’un. Partir se confiner dans leur famille permet alors de recréer une forme de cocon”, commente Aurore Le Moing qui rappelle l’aspect émotionnellement intolérable d’un isolement imposé.
“Le confinement peut renforcer le bonheur de vivre seul chez ceux qui ont déjà cette capacité”, décrypte Sylvain Bordiec, docteur en sociologie qui travaille sur la solitude, dans le Parisien. “Mais des études montrent que la solitude choisie est surtout présente chez les dominants issus des classes supérieures. Pour d’autres, cela peut révéler ou renforcer des incompétences, notamment chez les personnes précarisées, handicapées ou âgées.”
C’est le cas également des étudiants qui vivent souvent seuls, dans des appartements exiguës, sans liens amicaux ou familiaux, et parfois dans une grande précarité. D’ailleurs, selon une étude de l’Observatoire de la vie étudiante, 31% des étudiants ont présenté des signes de détresse psychologique durant le premier confinement.
Se projeter dans un avenir meilleur
« Il faut tenter de maintenir des contacts réguliers avec la famille et les amis, par des moyens numériques », recommande au micro de France Info Jocelyn Raude, le chercheur de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique rappelant que le lien social reste « ce matelas permettant d’absorber les éléments stressants » de ce second confinement.
Pour la psychologue Aurore Le Moing, c’est surtout nos activités et nos loisirs pendant ce confinement qui peuvent nettement faire la différence et nous aider à combattre efficacement la solitude. “Vous avez le droit de sortir une heure par jour, profitez-en pour faire une activité sportive ou tout simplement de la marche. Ça permet de respirer, de s’aérer, de voir du mouvement, de se sentir vivant au sein d’une société”, conseille-t-elle. “On peut se mettre à la cuisine, s’inscrire à un cours de langue en visio, ou s’engager dans une activité bénévole, certaines contribuant à la distribution de repas à des SDF. »
De son côté, le psychiatre Serge Hefez invite les personnes isolées acceptant difficilement la situation de prendre conscience que ces mesures sont nécessaires sur le plan sanitaire, pour “éviter la saturation des hôpitaux, la multiplication des cas graves et des morts” et de “relativiser” la gravité de la période en la mettant en perspective avec “les grandes guerres et épidémies” qui ont marqué “l’histoire de l’humanité”.
“Le fait de se projeter dans un avenir meilleur, de se dire qu’on retrouvera bientôt notre entourage et nos amis peut être également un bon remède”, poursuit Aurore Le Moing, avant de conclure, non sans philosophie : « Le plaisir réside dans l’attente. »
- Méthode Ethos Flow : apprendre à souffler, au sens propre comme au figuré
- To-do list et planning surchargé en confinement : et si on se fichait la paix ?
*Enquête Ifop pour Consolab réalisée en ligne les 4 et 5 novembre 2020 auprès d’un échantillon représentatif de 2 030 Français âgés de 18 ans et plus (dont un sous-échantillon de 1 094 salariés).
Source: Lire L’Article Complet