Comment les femmes au foyer, aussi appelées "tradwives", envahissent TikTok

Boucles blondes en cascade, faux cils, robe rose bonbon et ongles impeccables  : sur son compte TikTok, l’Américaine Estée C. Williams a l’air d’un sosie de Betty Draper dans la série Mad Men. Et pour cause : les années 60 sont sa référence. Estée C. Williams regrette l’époque bénie où la femme avait pour mission de se consacrer à son foyer et où le féminisme n’avait pas encore fait des « ravages ».

À 25 ans, elle est devenue une des figures de proue des tradwives, ce courant réactionnaire qui prône le retour à une répartition des rôles ultra-genrée. En résumé  : le mari travaille, subvient aux besoins du foyer et, en contrepartie, la femme lui assure un intérieur agréable.

Un phénomène popularisé avec le confinement

Une tendance qui a le vent en poupe  : Estée C. Williams cumule plus de 93  000 abonné·es sur TikTok, tandis que le hashtag #tradwife totalise plus de 130 millions de vues. « Travailler peut être épanouissant pour beaucoup de femmes, affirme-t-elle. Mais peut aussi vous épuiser et vous rendre malheureuse, surtout quand vous avez des enfants. Je ne reviens pas sur les droits des femmes, mais je revendique mon choix d’un autre mode de vie. »

Si la tendance n’est pas nouvelle, les tradwives ont connu un curieux retour en force avec la pandémie. Outre-Manche, la Britannique Alena Kate Pettitt a ainsi lancé en 2020 sa chaîne YouTube, The Darling Academy.

La jeune femme explique à à ses 8 000 abonné·es comment tenir un intérieur, préparer un vrai thé anglais et trouver des sujets de conversation distrayants pour Monsieur quand il rentre le soir. Le succès a été immédiat, à un moment où beaucoup de femmes sont restées à la maison avec le confinement.

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Une charge mentale plus importante

Aux États-Unis, 860 000 femmes ont ainsi quitté leur emploi en 2020  (2,3 millions sur la durée complète de la pandémie, selon l’association National Women’s Law Center, un phénomène nommé « shecession »), contre seulement 200  000 hommes. Parmi elles, beaucoup affirment l’avoir fait pour pouvoir s’occuper de leurs enfants pendant la fermeture des écoles.

Aujourd’hui, je veux être disponible à 100 % pour mes enfants.

De fait, la pandémie a mis en lumière l’inégalité persistante dans la répartition des tâches domestiques, la fameuse charge mentale qui pèse sur les femmes. Alena Kate Pettitt justifie ainsi son choix de rester au foyer  : « J’ai été élevée par une mère célibataire qui travaillait, explique-t-elle dans une vidéo. J’aurais rêvé qu’elle vienne me chercher à l’école tous les jours et qu’elle assiste à mes spectacles de fin d’année et, malheureusement, ça n’a pas été le cas. Aujourd’hui, je veux être disponible à 100 % pour mes enfants. »

De fait, les femmes sont plus sujettes au burn-out professionnel que les hommes, en raison du plus grand nombre de tâches domestiques qu’elles assument  : c’est ce qu’on appelle la fameuse « double journée ». Mais retourner à la maison est-il vraiment la solution ? Pas sûr car les femmes au foyer d’aujourd’hui ne vivent plus du tout dans les mêmes conditions qu’il y a quarante ans. François de Singly  (Auteur de Sociologie des familles contemporaines, éd. Armand Colin), sociologue, décrypte  : « Jusque dans les années 70, divorcer était extrêmement difficile, ce qui offrait aux femmes au foyer une certaine sécurité. Aujourd’hui, celles qui font ce choix se retrouvent dans une situation de dépendance financière alors que le risque de séparation est beaucoup plus important. »

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Un statut fragilisé, donc, bien loin du fantasme nostalgique qu’entretiennent les « tradwives ». Pour Michèle Dominici, qui a réalisé le documentaire L’Histoire oubliée des femmes au foyer pour Arte, « Les ‘tradwives’ sont jeunes, pour la plupart, et idéalisent le fait d’être à la maison. Les femmes au foyer dont je parle racontent toutes le même parcours : un grand bonheur au début, puis des doutes, et enfin un grand vide vers la cinquantaine, au moment où les enfants partent et où tout s’écroule ».

L’audience des « tradwives » s’expliquerait ainsi par le fait qu’elles ne relèvent pas simplement du folklore : elles posent de vraies questions sur la place des femmes et la difficulté de concilier vie au travail et vie personnelle. « Je comprends leur constat, mais pour moi la solution n’est pas de revenir en arrière, mais de mieux répartir les tâches dans le couple », précise Michèle Dominici.

Reste aussi à savoir dans quelle mesure elles ont une réelle liberté de choix. Pour Anne Rothenbühler, historienne et autrice de Le Baluchon et le Jupon (Le Baluchon et le Jupon. Les Suissesses à Paris, itinéraires migratoires et professionnels (1880-1914), éd. Alphil), ce n’est pas si simple. « Certaines femmes décident effectivement d’arrêter de travailler. Mais d’autres sont originaires de milieux traditionalistes et subissent des pressions pour rester à la maison. » Sans surprise, Estée C. Williams cite souvent la Bible, et nombre de ses abonnée·es sont des chrétiennes fondamentalistes. Vade retro, féministes  ? La polarisation des deux camps a trouvé, en tout cas sur TikTok, le terrain parfait.

Ce décryptage a été initialement publié dans le magazine Marie Claire numéro 849, daté juin 2023.

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