Comment apprendre à s'aimer vraiment ?
Sorti en début d’année, Flowers est un carton planétaire et il y a fort à parier que la voix suave de Miley Cyrus nous fera encore danser tout l’été. Entêtante et enivrante, la chanson nous embarque.
Mais ses paroles ont sans doute aussi quelque chose à voir avec son succès. L’artiste s’est visiblement inspirée de sa vie privée pour l’écrire. Elle a transformé la douleur de sa rupture d’avec son compagnon en prise de conscience de ses ressources intérieures : « Started to cry but then remem- bered I / I can buy myself flowers / Write my name in the sand (…) / I can take myself dancing / And I can hold my own hand / Yeah, I can love me/ Better than you can« *.
Un hymne à l’amour de soi, au « self-love« , ce concept en vogue dans les pays anglo-saxons et qui essaime en France.
Le « self-love », kézako ?
Ne plus s’oublier, ne pas se sacrifier en faisant toujours passer les intérêts de son compagnon, ses enfants, ses collègues, son chef, sa vieille tante (la liste est longue) avant les siens, bref, penser à s’aimer d’abord en se préoccupant de soi, le « self-love », c’est un peu tout ça : résister aux injonctions personnelles et sociétales qui ont vite fait de gouverner notre existence. Vaste défi !
En tout cas, le hashtag #selflove apparaît dans 99 millions de publications sur Instagram, signe que cette revendication correspond à une tendance significative de notre époque. Mais attention, « self-love » ne signifie pas ne s’intéresser qu’à son nombril. Car dans ce cas, cela revient à colmater un ego blessé et une estime de soi déficiente, bref à afficher un « faux self », travers contemporain.
Non, il s’agit plutôt d’adopter un regard sur soi qui a à voir avec une certaine douceur, une indulgence et une écoute de ses émotions et de ses besoins. Et pour y parvenir, il faut commencer par oser dire non.
Faire de soi-même sa première priorité
Le refus de se conformer aux normes attendues procure souvent inconfort et culpabilité; il faut parfois des années avant d’assumer son « non ».
« Depuis trois ans, je m’autorise une semaine de yoga à Marrakech chaque été avec une copine », raconte Claire, 47 ans. « Mais j’ai dû en passer par une méga-engueulade avec mon mec. Il n’était pas content que je le fasse sans lui alors qu’il ne voulait même pas venir ! Je n’ai pas beaucoup de vacances et ce temps pour moi est génial, je ne le raterai désormais pour rien au monde. Je me fais clairement passer d’abord et ça me stimule« .
Judith a ressenti le même soulagement lorsqu’elle a enfin renoncé aux week-ends qu’elle s’infligeait depuis presque vingt ans chez sa belle-mère. « Les discussions m’ennuyaient à mourir, j’y mangeais mal, je dormais dans un lit pourri qui me cassait le dos alors que j’avais même proposé d’en acheter un. J’y allais pour me conformer à l’image de ce qu’un couple doit être. En fait, je me punissais ».
Cette décision radicale est « gagnante-gagnante ». Sa belle-mère est ravie de profiter de ses petits-enfants et de son fils dans une ambiance plus détendue. Pendant ce temps-là, Judith s’octroie grasses matinées, écoutes de podcasts, apéros avec ses ami·es, manucures… Et le dimanche soir, quand la famille rentre, « je me sens alignée, ré-énergisée et donc bien disposée avec tout mon petit monde ».
Un état d’esprit qui soigne nos relations aux autres
Des comportements égoïstes ? « Non », répond sans hésiter Géraldyne Prévot-Gigant, psychopraticienne : « En s’aimant, on est en relation avec soi-même, mieux connecté, et ces points d’appui intérieurs qui stabilisent permettent de facto une relation plus harmonieuse avec les autres ».
L’autrice de La Force de la rencontre (Ed. Odile Jacob) recommande d’identifier les tensions en repérant son monologue intérieur. Bien souvent, celui-ci tourne autour d’un même reproche, jugement, dépréciation.
« Notez-le, cela aide à le mettre à distance. Il est toujours très instructif de repérer en soi les “il faut”, “je dois”, toutes ces phrases qui nous amènent constamment à ne pas nous écouter… ». Et dire « non » à quelqu’un ne signifie pas ne pas le prendre en compte. Il s’agit de le formuler avec respect, politesse et même avec élégance dans la mesure du possible.
S’aimer face aux diktats des réseaux sociaux
Concernant l’apparence physique, les diktats des réseaux sociaux complexifient le programme. Comment ne pas tomber dans les pièges de la compétition et de la comparaison si on regarde sans cesse ces corps formatés et exhibés ? Il faut une estime de soi solide pour être capable de ne pas l’indexer sur les normes de la féminité que l’on nous vend.
À voir la hausse spectaculaire des interventions esthétiques (chirurgicales et non chirurgicales), la tâche est ardue : elles ont augmenté de 43,5 % dans le monde entre 2017 et 2021 ! Louise Aubery**, 25 ans, a pris le contrepied de ces injonctions. Sur MyBetterSelf, son compte Instagram, cette influenceuse et entrepreneuse promeut un regard sur soi libéré des standards véhiculés par les réseaux sociaux. Objectif : se décomplexer.
« Je viens dire aux femmes que ce à quoi elles travaillent et se donnent du mal tous les jours n’est pas nécessaire, explique-t-elle. Leur valeur n’est pas là. Nous passons 90 % de notre temps à juger notre corps alors qu’il ne s’agit que d’un corps. Jugeons-nous notre esprit ?« . Et ça marche : son compte affiche près de 585 000 abonné·es, signe que de nouvelles aspirations sont là.
Longtemps, la jeune femme, a pourtant été « très dépendante des injonctions. Inconsciemment, j’avais complètement intériorisé que ma valeur dépendait de mon apparence. Je me voyais presque comme un tableau raté. Je réfléchissais devant mon miroir à ce que je pouvais modifier pour m’arranger. Je suis passée à deux doigts de me faire refaire le nez ! ».
Aujourd’hui, elle ne se maquille plus que deux fois par semaine en moyenne, ne s’épile quasiment plus et, surtout, fait des posts non retouchés. Selon les jours, son visage peut donc être lumineux, un peu brillant ou avec des rougeurs… « Je me souviens de ce pour quoi je prêche, je n’utilise donc jamais de filtre. Même si c’est parfois tentant ! ».
Dans la foulée, Louise Aubery est passée à la pratique. Elle a créé « Je ne sais quoi », une ligne de lingerie avec des tailles de soutien-gorge allant du 75A au 115E. Ses mannequins peuvent avoir du ventre ou de la cellulite.
Des injonctions qui ont la dent dure
Si une partie des 20-30 ans est en train de prendre le tournant qui consiste à faire avec ce qu’on a et à aimer ce qu’on a, les générations qui les précèdent peuvent avoir plus de mal à le négocier. Surtout lorsque les marques du vieillissement commencent à modeler le corps. Les femmes plus âgées ont grandi et façonné leur féminité avec d’autres référents.
Ainsi, Lucie, qui se rapproche des 50 ans, s’est mise aux balayages alors qu’elle n’a pas encore un seul cheveu blanc. « Moi qui suis très “self-love” pour tout et écoute facilement mes besoins, ça se corse en ce qui concerne l’apparence physique », reconnaît cette belle femme qui, plus jeune, mangeait « n’importe quoi » et ne se démaquillait même pas. « Quoi qu’on en dise, dans le boulot, il faut continuer à envoyer du bois, et ça passe aussi par l’image renvoyée« .
Mais de plus en plus de célébrités commencent à dire leur ras-le-bol de lutter contre le temps qui passe. Dernière en date, Andie MacDowell, 65 ans, qui proclame : « Je suis fatiguée d’être jeune ». Sa chevelure poivre et sel assumée la fait se sentir « plus puissante, plus authentique et plus moi-même ».
Se détacher des idéaux du développement personnel pour enfin s’aimer
Bien sûr, s’imposer de ne plus suivre les injonctions fait courir le risque de créer une nouvelle injonction… et donc de retomber dans les mêmes travers et échecs.
L’humoriste Anne-Sophie Girard, qui a traversé une période difficile, en a fait les frais : « Quand j’ai commencé à aller mal, je me suis dit : “Allez, on ne se laisse pas abattre”. Très volontaire, je me suis mise à lire tous les livres de développement personnel. Sur le coup, j’ai trouvé ça bien mais plus j’en lisais, moins ça allait car j’étais de plus en plus focalisée sur ce qui n’allait pas. Ces livres assurent tous que “quand on veut, on peut”, que nous avons tous un potentiel infini. Mais c’est faux ! ».
Anne-Sophie Girard a fini par faire un burn-out. Une fois remise, la quarantenaire, tenace, s’est ensuite plongée dans les études scientifiques en tout genre sur les potentialités de l’individu : « La conclusion est qu’une fois les déterminismes pris en compte, notre marge de manœuvre est limitée ».
Beyoncé et Steve Jobs sont l’exception : même avec tous les efforts et la meilleure volonté du monde, la probabilité pour chacune et chacun d’entre nous de parvenir à s’en affranchir est infime ! C’est ce qu’elle raconte dans Un esprit bof dans un corps pas ouf (Ed. Flammarion), ouvrage drôle et très bien documenté, « pour aider à déculpabiliser d’aller mal ».
Bonne joueuse, Anne-Sophie Girard reconnaît volontiers avoir écrit un livre de développement personnel anti-développement personnel. Et sa conclusion chaleureuse est la meilleure déclaration au « self-love » : « Et vous savez quoi, vous n’êtes même pas obligé de vous aimer, vous pouvez tout simplement commencer par vous tolérer, vous ménager, vous porter, vous soutenir et, surtout, vous pardonner… (…) Vous êtes formidable parce que vous êtes lucides sur ce que vous êtes et que malgré tout, vous continuez. Vous êtes déjà une putain de meilleure de version de vous-même ».
- Et si le coaching en développement personnel ne nous faisait pas vraiment du bien ?
- Faut-il forcément s’aimer soi-même pour que l’autre nous aime en retour ?
*Sur l’album Endless Summer Vacation (Columbia Records). « J’ai commencé à pleurer / Puis je me suis souvenue / Que je peux m’acheter des fleurs moi-même / Écrire mon nom dans le sable (…) / Je peux me faire danser moi-même / Et je peux me tenir la main moi-même / Ouais, je peux m’aimer, mieux que tu n’en es capable ».
**Autrice de Miroir, Miroir, dis-moi ce que je vaux vraiment, (Ed. Leduc).
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