Christelle Dabos : "Il est temps que je me détache de La Passe-Miroir"
"La Passe-Miroir", cette saga de livres fantastiques jeunesse made in France, écoulée à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, se conclut par un quatrième tome, "La Tempête des échos" (Gallimard Jeunesse). Son auteure Christelle Dabos écrit cette histoire depuis 12 ans. Interview.
Ils seront nombreux à se retrouver au pied du sapin pour ce Noël 2019. Le 28 novembre est paru La Tempête des échos (Gallimard Jeunesse), quatrième et ultime volet de la saga fantastique jeunesse La Passe-Miroir, démarrée en 2013, avec Les Fiancés de l’Hiver.
L’auteure, Christelle Dabos, clôt ainsi cette histoire prenante imaginée dans univers fantastique fait « d’arches », des territoires flottants dans les cieux, dirigés par des « esprits de famille ». Son héroïne, Ophélie, dont les ressemblances et la maladresse avec Christelle Dabos sont quelques peu suggestives, fait face à de nombreuses aventures aux côtés de son taciturne et grincheux époux Thorn.
Écrire comme échappatoire à la maladie
Née en 1980, Christelle Dabos grandit sur la Côte d’Azur dans une famille de musiciens. Elle entame à Nice diverses études qu’elle ne termine jamais, avant qu’une amie la pousse à écrire. Durant plusieurs années, sa passion pour l’écriture fantasy grandit, en même que son envie de devenir libraire. Les Fiancés de l’hiver prennent forme.
Au même moment, des médecins lui diagnostiquent un cancer à la mâchoire. Christelle Dabos subit alors une opération et un suivi médical longs et douloureux, avec pour seule échappatoire l’écriture. Elle rejoint les Plumes d’Argent, une plateforme en ligne où des écrivains en herbe partagent et commentent leurs publications. Ce même groupe la pousse à présenter son manuscrit au concours du livre jeunesse organisé par Gallimard Jeunesse, qu’elle remporte. Depuis, ses livres comptent plus de 500.000 lecteurs, et le premier a été traduit dans dix langues. Rencontre.
Marie Claire : Vous avez envoyé votre manuscrit de la Passe-Miroir la veille de la date limite pour participer au concours du premier roman jeunesse organisé par Gallimard Jeunesse. N’étiez-vous pas pressée ?
Christelle Dabos : Je ne voulais pas être publiée. L’écriture était comme mon jardin secret. Ce n’est pas pour rien que je l’ai publié sur Plume d’Argent, composé de peu de membres. Être publiée signifie être confrontée à un regard que je ne maîtrise pas. J’avais peur de ça. Tous les membres de Plume d’Argent ont participé au concours et m’ont poussé à le faire. De plus, mon premier tome était complètement terminé.
Lorsque je me suis décidé à renoncer, je me suis inconsciemment demandé pourquoi : si c’est parce que je ne veux pas être publiée par une maison d’éditions, c’est mon choix ; si c’est parce que j’ai peur, c’est différent. Je me suis convaincue que Gallimard n’allait de toute façon pas lire les derniers manuscrits envoyés. J’avais tout faux car j’ai remporté le concours.
À quoi s’attendre dans ce quatrième tome ?
Un seul conseil : ne jamais se fier aux apparences. Je pars toujours du principe que l’histoire se raconte d’elle-même. Pour moi, ce dernier tome est l’émancipation d’Ophélie vis-à-vis de sa famille, de moi, mais aussi des lecteurs. C’est comme ça que je l’ai vécu au moment de l’écriture de ce dernier livre.
Ce dernier tome est l’émancipation d’Ophélie vis-à-vis de sa famille, de moi, mais aussi des lecteurs
Où puisez-vous l’inspiration ?
Harry Potter a joué un grand rôle à un moment donné dans mes aspirations. J’appréciais la tonalité de l’écriture de JK Rowling et surtout les intrigues policières. Il n’y a pas un Harry Potter dont j’ai deviné la fin. Ma plus grosse source d’inspiration est aussi À la Croisée des Mondes de Philip Pullman. Ses livres m’ont profondément marquée.
Il y a aussi Alice au Pays des Merveilles, mais c’est complètement involontaire. On me l’a fait savoir en raison de certains personnages similaires : le lapin toujours pressé, le chapelier fou avec Archibald, le passage de miroir d’Ophélie.
Vous dédicacez votre quatrième tome à votre mère. La famille est-elle une source d’inspiration importante pour vous ?
Ma famille, mon compagnon et mes amis font partie de l’histoire. Je transporte en moi ce que mes proches m’ont transmis. Par exemple, le personnage de Thorn possède toutes les qualités de mon compagnon. Lorsque je l’ai rencontré, il avait un sens de l’éthique très développé, chose que je n’avais pas. Il y a énormément de références à ma « mythologie familiale ». Si Thorn est un intendant des finances, c’est un clin d’oeil à Nicolas Fouquet, le personnel intendant des finances de Louis XIV parce que mon père écrit des livres d’Histoire et réalise notamment une enquête sur les Masques de fer.
Il y a énormément de références à ma « mythologie familiale ».
Nous sommes loin des fictions pour adolescents très romantiques comme Twilight. Quel est votre rapport au romantisme ?
Il est vrai que je ne suis pas très romantique. Comme dirait mon compagnon, on est plutôt « Rome contemporaine ». Je ne me reconnais pas dans l’amour romantique. Pour moi, c’est un voyage intime vers l’autre en acceptant ses parts d’ombres et en montrant ses défauts à l’autre. La rencontre de l’autre et le rapport au jeu est d’ailleurs le fil directeur de ce dernier tome.
Vous considérez-vous comme une auteure féministe ?
Je ne me suis jamais posé la question. Je reste prudente avec le terme. Selon la manière et le contexte dont le mot « féministe » est employé, il peut y avoir des sens différents. Dès que le féminisme est dans un esprit un peu revanchard, je ne me reconnais pas. De façon générale, je me sens plus humaniste que féministe, je préfère ce qui rapproche les personnes que ce qui les différencie et les divise.
Vous avez déjà été approchée pour une adaptation au cinéma ou en bande dessinée. La Passe-Miroir pourrait-il devenir une série télévisée ou un film ?
Peut-être. À partir du moment où le livre a été traduit en anglais, on a eu beaucoup plus de propositions pour des adaptions : films d’animations, long-métrage… On attend de voir la vision de ce que cela sera. Il y a un studio qui a été plus loin dans la prise de contact mais rien n’est fait pour l’instant. Je serais davantage concentrée sur la capacité des acteurs à entrer dans le rôle de mes personnages que dans les effets spéciaux et les décors du film.
Être auteure rend-il heureuse ?
Être auteure donne beaucoup de sens. L’écriture me met dans un état et un moment présent. Je me surprends à m’observer moi-même, à me voir vivre. Je suis le personnage d’une histoire et cela me permet d’enrichir et d’aller plus en profondeur dans mes questions de l’humanité, de la réalité et de la vérité.
Si vous deviez avoir un pouvoir comme vos personnages, lequel serait-ce ?
J’avoue que l’animisme avec la réparation des objets me rendrait beaucoup service comme je suis très maladroite [Rires]. Pour ne pas toujours avoir à racheter des affaires et surconsommer.
Comment décrire La Passe-Miroir en un mot ?
Émancipation. À travers Ophélie, qui est maintenue dans un état d’infantilisation, on s’aperçoit que la société de la Passe-Miroir est infantilisée. C’est l’émancipation non seulement d’Ophélie avec ses proches, une émancipation d’Ophélie avec moi car elle m’a parfois échappé. Puis, c’est ma propre émancipation par rapport à cette histoire. J’ai vécu énormément de choses avec La Passe-Miroir durant ces douze dernières années.
Planchez-vous sur une nouvelle saga ?
Je ressens le besoin de me projeter et d’écrire quelque chose de différent de La Passe-Miroir. Pour l’instant, je tape des mots sur mon clavier. C’est avant tout un dialogue qui va se passer avec moi-même. J’aimerais quelque chose de décontextualisé car je n’aime pas trop quand une histoire se passe dans notre société, une période ou une géographie donnée. Mais je ne pense pas que ce sera aussi fantasy que La Passe-Miroir. Il est temps que je m’en détache.
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