C’est l’histoire de Molly N., dessinatrice cachée par le FBI depuis 10 ans
Menacée de mort pour avoir organisé un concours de caricatures de Mahomet en soutien aux auteurs de South Park, la dessinatrice Molly Norris vit cachée depuis 10 ans sous une fausse identité. La romancière Sophie Carquain a imaginé cette vie de fantôme coupé de son passé.
Ça fait comment de vivre, du jour au lendemain, avec un nouveau nom, une nouvelle identité, un nouveau visage, un nouveau métier ? Avec obligation immédiate et définitive, de déménager dans un autre pays, de se couper de sa famille, de ses amis et relations, et de vivre 24 h sur 24 sous protection policière. Avec interdiction absolue de se rendre joignable par mail, téléphone, ou via les réseaux sociaux ? Avec la nécessité de s’inventer un passé pour ne pas éveiller la curiosité, de se méfier de toute nouvelle rencontre, des hommes… Cette existence fantomatique, c’est celle, de Molly Norris, depuis 10 ans. En 2010 cette dessinatrice américaine, a fait l’objet d’une fatwa pour une initiative considérée comme offensante pour une partie du monde musulman.
Face aux vagues de haine internationales et aux innombrables menaces de mort qui se sont abattues sur elle, le FBI a décidé de lui faire intégrer le programme Witsec, qui à l’origine offre protection et nouvelle vie à ceux qui acceptent de témoigner devant la justice contre les grands noms du crime organisé. Désormais, ce programme accueille donc aussi les Américains menacés de mort par une fatwa, cette obligation que se donnent les fanatiques d’assassiner ceux qui selon eux, ont insulté Mahomet. Une vie qui rappelle celle d’autres courageux, cachés et menacés de mort. Celle de Salman Rushdie, et côté femmes, de Ayaan Hirsi Ali, de Zhineb El Rhazoui, qui en raison de sa liberté de parole, vit sous protection policière depuis l’attaque islamiste contre Charlie Hebdo en 2015.
La romancière Sophie Carquain vient de publier Le Roman de Molly N., un roman qui s’appuie sur les rares informations biographiques qu’elle a pu glaner sur la dessinatrice, le FBI ayant bien nettoyé internet de toute information qui permettrait de retrouver Molly.
Marie Claire : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’imaginer la vie top secrète de Molly Norris ?
Sophie Carquain : Le jour des attentats de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, les chaînes répétaient en boucle les informations sur les tués, leurs noms. Et tout à coup arrive la photo d’une femme. C’était une capture d’écran de CNN, une femme en fin de trentaine, des petites couettes, des lunettes, une tête de Madame tout le monde. J’apprends qu’elle s’appelle Molly Norris, qu’elle est « cartoonist », illustratrice et chroniqueuse à Seattle, et qu’elle a disparu depuis 5 ans, parce qu’elle fait l’objet d’une fatwa.
J’apprends qu’elle était sur la même liste que Charb, assassiné à Charlie Hebdo. Et je me dis « Mais qu’est ce que c’est que cette histoire ? Il y a donc une autre affaire des caricatures de Mahomet complètement passée sous silence qui a débuté en avril 2010. Cette américaine, c’est l’équivalent féminin d’un Charb ! Son histoire m’a fascinée. J’ai commencé à faire des recherches sur elle. Puis devant la maigreur des informations récoltées, le refus de ceux qui l’ont côtoyée, amis, collègues… » de me parler d’elle, j’ai décidé d’imaginer sa vie et d’en faire un roman.
Cette américaine, c’est l’équivalent féminin d’un Charb !
Pourquoi fait-elle-toujours- l’objet d’une fatwa ?
Tout commence par des épisodes de la série South Park. Les créateurs Matt Stone et Trey Parker avaient transformé Mahomet en gros ours en peluche dans l’épisode 6 de la saison 14. Cela a déclenché les foudres d’un groupuscule extrémiste du nom de Muslim Revolution. Le groupe les a menacés de finir comme le réalisateur néeelandais Théo Van Gogh, en rappelant qu’il était mort de huit balles dans le corps avant d’être égorgé (son « tort », avoir réalisé un documentaire sur le traitement des femmes dans l’islam). La menace était accompagnée d’une photo du cadavre du réalisateur avec la mention des adresses de Parker et Stone.
Bien que réputée pour son impertinence, la chaîne Comedy Central, qui diffusait South Park, n’a pas voulu prendre plus de risques, et a censuré l’épisode suivant en recouvrant d’un voile noir les apparitions de Mahomet et en remplaçant les dialogues par un bip audio. C’est alors que l’illustratrice Molly Norris entre en scène. Outrée par ce qu’elle vit comme une inacceptable atteinte à la liberté d’expression aux États-Unis et de l’autocensure, elle lance ce qui va signer la fin de sa vie paisible. Un faux concours Tout le monde dessine Mahomet en soutien aux auteurs de South Park.
Ça consistait en quoi ?
Elle avait dessiné une sorte de poster avec différents objets qui revendiquent tous être Mahomet : un sac à main à tête de chien, un domino une cerise… Pour nous, c’est gentillet et potache. Pour des intégristes, c’est un blasphème. Elle a posté tout ça sur son blog, a alerté des blogueurs influents. Trois jours après un certain John Wellington crée une page qui s’appelle le Everybody draws Mahomet day, (Tout le monde dessine Mahomet, ndlr), et tout un tas de gens se mettent à envoyer des caricatures de Mahomet. Par exemple, un Mahomet Mondrian, sous forme de petits carrés de couleurs. Une autre qui le représente sous la forme d’un barbu qui traîne une petite fille. On imagine bien qu’il va se « marier » avec elle.
Quelques jours après éclatent des manifestations hystériques anti Molly Norris au Pakistan. On brûle son portrait dans la rue, et le 11 juillet, elle apprend qu’elle apparaît dans la liste des ennemis condamnés à mort du journal d’Al-Qaida , en compagnie entre autres, de Salman Rushdie et Charb, de Charlie. Une page Facebook contre elle entraine des dizaines de milliers d’adhésions en quelques jours. Débordée par les événements, elle essaie de reculer de faire marche arrière, de s’excuser, tente l’humour et la diversion en proposant un Tout le monde dessine Al Gore (l’ancien vice-président des États-Unis). Rien ne calme le jeu.
Elle avait dessiné une sorte de poster avec différents objets qui revendiquent tous être Mahomet
Et c’est là où le FBI lui propose de disparaître en changeant de vie, de pays, et d’identité. Vous avez rencontré des agents du FBI pour vous documenter ?
Non, j’ai lu un livre non traduit en français sur ce fameux programme de protection des témoins menacés de mort. Ce qui m’a permis d’imaginer les échanges sur les conseils donnés pour s’inventer un nouveau visage, un passé crédible, ce qu’on appelle « construire sa légende ». En revanche j’ai pu interviewer une garde du corps, dont je croyais qu’elle ne s’occupait que de la sécurité de femmes et d’hommes politiques, mais qui, par un heureux hasard avait aussi protégé des journalistes de Charlie.
Vous l’avez imaginée, femme fantôme travaillant, cachée à Paris, s’engueulant parfois et se rabibochant avec sa garde du corps, qui la protège 24h sur 24, ayant des relations compliquées avec les nouveaux amis, les hommes… Molly n’a pas le droit de vous répondre…
Si un jour elle lit mon livre, je répète que justement, c’est un roman, même si le début est un roman autobiographique.
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