Ces mères qui refusent la garde de leurs enfants
Ce choix scandalise souvent : pour leur équilibre et celui de leurs enfants ou pour des contingences financières, certaines femmes préfèrent refuser la garde de leurs enfants. Elles s’expliquent.
Pour un moment ou pour toujours, elles ont fait ce qu’on croyait être l’apanage des pères : ne pas revendiquer la garde de leurs enfants. Ces mamans du week-end constituent en France une anomalie statistique. En effet, seuls 8 % des enfants de parents séparés vivent avec leur seul père (la plupart habitent chez leur mère), et même parmi ces enfants-là, rares sont ceux dont la mère a clairement fait le choix de ne pas les avoir sous son toit. Comme le souligne Claire Alvarez, avocate au barreau du Val-d’Oise : « Il est exceptionnel qu’une femme préfère voir ses enfants grandir loin d’elle. Lorsqu’un père a la garde exclusive, c’est généralement à la suite d’une décision judiciaire, parce que la mère a elle-même des problèmes psychologiques, médicaux ou financiers. »
Oui, mais pourtant elles existent, ces mères qui ont souhaité, de leur plein gré, ne vivre leur maternité qu’en pointillé. Elles s’en vantent rarement, au risque, sinon, de se faire taxer de mauvaises mères. « Dans toutes les sociétés, la fonction de maternage est associée à la femme. Et aujourd’hui encore, alors que nous prétendons tendre vers un idéal de parité, le fait qu’une mère puisse laisser ses enfants de bon cœur choque la plupart des gens », souligne Sylvie Cadolle1, sociologue de la famille.
Si l’attitude de ces mères provoque un trouble, c’est aussi parce que leur choix remet en question l’ensemble des théories, psychanalytiques ou hygiénistes, tendant à démontrer que les enfants ont absolument besoin de leur mère pour grandir. De là à menacer l’ordre social, il n’y a qu’un pas : « Car si maman quitte le navire alors que même les pères modernes n’ont pas encore appris à donner la priorité à leur progéniture sur le reste de leur existence, tout le monde se demande : ‘Qui va garder les enfants ?' »
C’est afin de dédiaboliser ces mères que nous avons donné la parole à trois d’entre elles. Elles nous racontent la genèse de leur choix, les difficultés de ce statut si particulier. Et, pour certaines d’entre elles, le retour, après un temps, des enfants sous leur toit.
Elisabeth, mère de deux enfants : « J’éprouvais le besoin de fuir le passé »
« J’ai cessé de vivre avec mes enfants lorsque ma fille avait 12 ans, et son frère, 10. C’est difficile à imaginer, mais ça s’est fait tout seul : il n’y a pas eu de divorce, d’attribution de droit de garde. Juste une séparation, que j’imaginais temporaire mais qui s’est prolongée.
A l’époque, j’habitais à Nantes, avec mon ex-mari, ma fille, sa fille à lui et notre fils à tous les deux. Richard était très protecteur, du genre papa poule. Le jour où j’ai découvert qu’il me trompait, j’ai fait semblant de passer l’éponge, mais la confiance était rompue. Quelques mois plus tard, on m’a proposé de travailler sur un grand projet à Paris. Richard, qui se sentait coupable, ne s’est pas opposé à cet éloignement ‘temporaire ’. Pendant six mois, il a donc géré la famille pendant la semaine, et nous nous retrouvions tous les week-ends.
Mon fils m’en veut toujours, et je le comprends
Mais alors que ma mission était censée s’achever, je suis tombée follement amoureuse. Les enfants s’étaient habitués à ce que je ne sois pas là tous les jours. Je me suis donc installée dans une double vie, entre Nantes et Paris. Nous n’avons pas parlé de divorce : je crois que Richard espérait me récupérer un jour, et puis il était hors de question que nos trois enfants cessent de vivre ensemble. Richard a donc continué à jouer les super-papas, tandis que je devenais la mauvaise mère, qui sacrifie sa famille à sa ‘carrière ’ et envoie des chèques tous les mois au lieu de lire des histoires le soir. Je me sentais si coupable que passer le week-end à Nantes est vite devenu un calvaire : j’avais l’impression de ne servir à rien et d’empiéter sur cette vie de famille dans laquelle je n’avais plus ma place, j’ai commencé à espacer mes visites… Je sais que j’ai été lâche, que mes enfants n’avaient rien à voir dans tout ça, mais j’éprouvais le besoin de fuir le passé, de faire comme si cette vie d’avant n’avait pas existé.
J’ai mis des années à retrouver un lien avec mon fils et ma fille, mais j’y suis parvenue. Pour son bac, j’ai offert à Caroline un grand voyage, et elle a accepté de partir avec moi. Elle m’a dit combien elle m’en voulait, et surtout qu’elle avait besoin de moi. J’ai honte de le dire, mais c’est comme si ma fille m’avait autorisée à redevenir sa mère. A notre retour de vacances, j’ai pris mon courage à deux mains, et enfin officialisé une situation que nous avions laissée pourrir pendant six ans. Richard et moi avons entamé une procédure de divorce.
Les enfants sont restés avec lui, mais j’ai commencé à les prendre le week-end : nous nous sommes ré-apprivoisés et ils ont peu à peu appris à me refaire confiance. Mon fils m’en veut toujours, et je le comprends. Je compense en étant une vraie grand-mère : j’ai cinq petits-enfants, que je vois presque tous les jours ».
Laura, mère de deux enfants : « Je n’ai jamais perdu le lien avec mes enfants «
« Depuis neuf ans maintenant, je suis une maman du dimanche. Je vois mes enfants le mercredi et un week-end sur deux. Ma fille (de 13 ans) et mon fils (de 16 ans) habitent chez leur père, dans un immense appartement. Moi je vis seule, je paye des impôts en tant que célibataire, comme si je n’avais pas d’enfants. J’ai cédé la garde à mon ex-mari au moment du divorce. La procédure s’annonçait longue et violente : il était prêt à tout pour les avoir. Je croyais que moi aussi… Mais en fait, non : quand mon avocate m’a dit qu’il fallait que je me batte ‘sur la tête de mes enfants’, quand on a exigé que je produise des témoignages (de notre entourage) assurant que j’étais une bonne mère, quand mon ex s’est mis à fanfaronner parce qu’il en avait obtenu cinquante (et moi moins d’une dizaine), j’ai craqué.
Trois jours avant l’audience j’ai décidé de jeter l’éponge. Je n’allais pas me battre et imposer à mes enfants une procédure interminable. Je préférais les laisser à leur père que les détruire sur l’autel du divorce. Une fois cette décision prise, impossible de reculer, à moins que les enfants le demandent et ils ne peuvent le faire qu’à partir de leurs 13 ans. A l’époque, la plus jeune avait 4 ans. Du jour au lendemain, j’ai donc été exclue de leur quotidien : je n’allais plus à l’école ni dans l’appartement où ils vivaient avec leur père. J’ai des souvenirs atroces de dimanches où ma fille commençait à pleurer dès le matin parce que je devais la rendre le soir… mais j’avais pris une décision et il fallait que je m’y tienne. Quand je les ramenais à leur père, je m’arrangeais toujours pour sortir juste après, faire la fête, m’étourdir sinon c’était trop dur.
Malgré tout ça, je n’ai jamais perdu le lien avec mes enfants : être une mère c’est indestructible.
Autour de moi, j’ai tout entendu : ‘Combien on t’a payée pour abandonner tes enfants ? Si tu n’as pas la garde, c’est forcément que tu es une mauvaise mère ’… Auprès des maîtresses ou des anciens amis communs, mon ex jouait les veufs, les pères modèles. Et moi j’étais le monstre. Malgré tout ça, je n’ai jamais perdu le lien avec mes enfants : être une mère c’est indestructible. Il y a trois mois, je me suis aperçu que ma fille était souvent malade quand elle était chez moi. Je lui ai demandé si elle avait envie de passer davantage de temps avec moi. Elle s’est effondrée, m’a dit que je lui manquais et qu’elle voulait vivre avec moi en résidence alternée.
Depuis deux mois, avec l’accord de son père, elle habite une semaine sur deux à la maison. Il y a quelques jours, mon fils m’a appelée de son mobile pour me faire écouter ce qu’il jouait au piano, et j’ai fondu en larmes. Il a maintenant 16 ans, et je ne l’ai jamais vu jouer. Je n’ai jamais cessé d’être leur mère, mais j’ai perdu neuf années de leur quotidien« .
Isabelle, mère de quatre enfants : « Je rêvais de vivre des choses fortes »
Pendant un an, j’ai confié la garde de mes deux garçons de 6 ans et 9 ans à leur père. J’habitais aux Antilles, et eux, à Paris. J’avais quitté leur père deux ans auparavant : après dix ans de vie commune, je rêvais de vivre des choses fortes, et j’ai été servie ! Juste après la séparation, je suis tombée follement amoureuse d’un homme qui, quelques mois plus tard, est parti s’installer aux Antilles. J’ai décidé de le suivre là-bas, avec mes deux garçons sous le bras. Leur père était furieux, mais il m’a laissée partir.
Dans la vie, il y a des moments où on n’a pas forcément le choix
Quand les mères refusent la garde des enfants, l’avis de l’expert
Marie Claire : à quelles difficultés les mères qui choisissent de céder la garde de leurs enfants sont-elles confrontées ?
Sylviane Giampino2 : La première est évidemment d’ordre affectif : on ne renonce pas à l’exercice (même partiel) de la maternité sans un surcroît de souffrance. Il y a également la question du regard des autres : le mythe de l’instinct maternel est tenace, et ces femmes le brisent. Or la maternité – comme la paternité – n’est pas un instinct programmé mais une fonction symbolique, susceptible d’être déléguée à certains moments de la vie.
Certaines sont-elles plus enclines que d’autres à faire ce choix ?
Il y a une différence fondamentale entre les mamans du week-end (qui ne se différencient pas foncièrement des papas du week-end) et celles qui font le choix, à un moment de leur vie, de déléguer complètement leur fonction maternelle. Ces femmes-là, en général en situation de crise, évoquent souvent une question de vie ou de mort : elles ont le sentiment, à tort ou à raison, d’être prises dans un piège, et que ce n’est qu’en renonçant à leur rôle de mère qu’elles pourront sauver leur peau ou celle de leurs enfants.
Quelles sont les conséquences sur l’équilibre des enfants ?
Il n’est pas plus (ni moins) pathogène pour un enfant de ne voir sa mère qu’un week-end sur deux que de voir son père à la même fréquence. Je crois vraiment que la garde partagée est la plus équilibrante des solutions pour les enfants. Pour une mère qui part plus longtemps, tout dépend du discours : elle peut être absente mais continuer à exister, dans les mots du père par exemple. C’est quand elle est bannie de la vie de l’enfant ou dans les situations de non-dits – on ne sait pas pourquoi elle est partie, si et quand elle reviendra… – que les enfants souffrent le plus.
- Elles ne veulent pas faire d’enfants par souci écologique
- J’ai divorcé avant mes 30 ans
1Autrice de « Familles recomposées : un défi à gagner » (éd. Marabout)
2Psychanalyste et psychologue, coautrice de « Notre société n’aime-t-elle plus ses enfants ? » (éd. Albin Michel)
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