« Ce n'est pas possible d'être complètement objectif sur l'histoire »
Dans la jungle des podcasts consacrés à l’histoire (disons plutôt qu’il s’agit d’une forêt, voire un bois, et non une jungle), ceux de
Fanny Cohen Moreau sont issus des plus belles futaies. Dans Passion Médiévistes, Passion Modernistes ou encore Passion Antiquités, elle reçoit des chercheuses et chercheurs pour aborder leurs sujets d’étude avec passion (d’où le titre) et pédagogie. Mais c’est sans doute dans le podcast
Super Joute Royale que son ton et sa spécificité se font le mieux entendre. Elle y fait s’affronter, assistée de deux intervenants, les rois d’un siècle pour en choisir le meilleur. « C’est le format qu’on me réclame le plus, et celui sur lequel j’ai le plus de retours » reconnaît-elle sans peine.
Alors qu’elle anime le samedi 9 octobre la table ronde Le médiéviste au travail : faire une thèse d’histoire médiévale au XXIe siècle au Rendez-vous de l’histoire de Blois, la journaliste et productrice de podcasts a répondu à nos questions.
Qui s’amuse le plus dans Super Joute Royale ? Vous et vos invités ou les auditeurs ?
Ha, je ne sais pas. Nous, en tout cas, on s’amuse beaucoup à le faire.
Et qui apprend le plus de choses ?
Alors là, la réponse n’est pas évidente parce que les participants aussi apprennent vraiment des choses. Chacun prépare son argumentaire dans son coin donc on a la surprise au moment de la joute ! Mais bien sûr j’espère sincèrement que les auditeurs apprennent des choses. Parce que, oui, le ton est léger et humoristique, mais on fait quand même passer pas mal d’infos. C’est une forme de vulgarisation différente de celle de mes autres podcasts mais on essaye quand même de déconstruire quelques clichés historiographiques.
Comment cela ?
Parler des rois c’est un prétexte pour parler d’histoire en général. Par exemple, quand on dit que Philippe le Bel a fait arrêter les Templiers parce qu’il était raide et qu’il avait besoin de thunes après que sa réforme monétaire a échoué… En parlant de la succession, de la façon dont les règnes se sont enchaînés, on démontre aussi quelque chose sur la loi salique. C’est beaucoup moins évident que ce que beaucoup de gens pensent. Par exemple, quand on explique comment François 1er est devenu roi de France, on mesure la part de chance et de hasard. La succession, ce n’est pas quelque chose de naturel. Bien souvent les enjeux de pouvoir se résument à savoir qui a le plus de potes et d’argent…
Pourtant, on sent bien que vos intervenants ont leurs chouchous, leurs rois fétiches.
Tout historien a ses marottes. La période qu’un historien a choisi d’étudier en dit beaucoup sur lui, sur son caractère. Alors oui, on est un peu des supporteurs, on a une mauvaise foi assumée. De toute façon, quand on parle d’histoire des rois de France, ce n’est pas possible d’être complètement objectif. Pour ce podcast, on accentue ça. On soutient notre roi comme un supporteur soutient son équipe. Même si elle est nulle…
L’objectif est tout de même de dresser un bilan du règne de chacun, non ?
Oui, mais avec les codes de la pop culture. On fait le match entre Pépin le Bref et Charlemagne contre si on arbitrait un combat entre Sangoku et Vegeta.
Comment avez-vous eu l’idée de ce ton si particulier ?
Souvent, avant ou après l’enregistrement du podcast Passion Médiévistes, on se retrouvait à discuter au bar et à bolosser les rois de France pour se détendre. Tout naturellement j’ai fini par me dire « on devrait enregistrer ça »… Le casting n’est pas compliqué parce que je prends mes amis. Le montage est aussi plus rapide.
Recevez-vous des critiques sur ce format de la part de vos abonnés ?
Oui, pas mal (rires). C’est le podcast qui a le plus de retours positifs mais c’est aussi le format où j’ai le plus de critiques ! Certains me reprochent de parler comme Cyril Hanouna… Mais je pense que c’est intéressant aussi de parler d’histoire avec des mots de tous les jours, des expressions d’aujourd’hui. On ne va pas s’excuser de se moquer des rois de France qui sont morts en se mangeant un linteau de porte… On ne peut pas tous parler comme Stéphane Bern. Même si je n’ai rien contre Stéphane Bern que je rêve d’interviewer.
Et celles et ceux qui apprécient le format, qu’en disent-ils ?
Le but est de provoquer des réactions. La plupart des gens apprécient de ne pas être d’accord avec nos arguments, tant que c’est fait dans la bonne humeur et qu’ils apprennent des choses. Un fan du Real Madrid et du Barça peuvent passer une très bonne soirée à s’engueuler. Parmi les gens qui aiment le format j’ai aussi quelques jeunes profs d’histoire qui ne sont pas forcément médiévistes et qui sont bien contents d’avoir un podcast qui leur permette de saisir le contexte.
Mais les profs sont votre cible ?
J’ai une très grande cible. Il faut que mes podcasts puissent intéresser mon cousin de 15 ans et ma grand-mère de 86 ans qui n’a pas le brevet.
Dans votre classement, provisoire, des rois de France, Saint Louis est dernier… Ça ne plairait pas à ma grand-mère.
Oui, on nous accuse d’avoir ourdi un complot contre lui mais factuellement il a raté plein de choses, désolée.
Source: Lire L’Article Complet