Cancer du sein : ces cosmétiques qui réconfortent
- "Lorsqu’elle se voit dans le miroir, c’est un choc. Elle ne se reconnaît pas"
- Des épidermes malmenés par les traitements anti-cancéreux
- Un institut itinérant de soins réconfortants
- Des marques plus engagées, une parole plus libérée
Il peut paraître incongru de parler d’esthétique et de cosmétique quand la vie est en jeu. C’est inscrit dans notre inconscient : la beauté est incompatible avec la maladie. Pourtant, si l’angoisse est encore là, les progrès considérables réalisés par la médecine ces trente dernières années ont changé la donne. On survit aujourd’hui beaucoup mieux et plus longtemps à un cancer, ce qui permet de se préoccuper d’autre chose que de sa survie, et c’est loin d’être superficiel.
« Lorsqu’elle se voit dans le miroir, c’est un choc. Elle ne se reconnaît pas »
« Cette femme malade qui perd ses sourcils, ses cheveux, ses ongles, bien souvent aussi son ou ses seins, lorsqu’elle se voit dans le miroir, c’est un choc. Elle ne se reconnaît pas. La perte de féminité est tellement violente qu’elle en perd l’estime d’elle-même. Prendre soin de soi et retrouver la possibilité de s’aimer dans le miroir est essentiel », insiste Isabelle Guyomarch qui après un cancer du sein, a créé la marque de cosmétiques Ozalys.
« Lorsque la cosmétique s’occupe de la maladie, c’est de façon encore très austère », déplore l’entrepreneuse. Ces gammes qui ne sont pas là pour le glam, ce sont les gammes dermocosmétiques d’Avène et de La Roche-Posay, dont les formules validées sur peaux asséchées et fragilisées, et testées cliniquement en services d’oncologie ont montré leur intérêt pour apporter un réconfort certain aux épidermes malmenés par les traitements anti-cancéreux. Certains ont des actions plus spécifiques, comme Cutalgan d’A-Derma, premier cosmétique qui calme la douleur cutanée, une indication intéressante après les séances de radiothérapie. Même si ces produits font partie de l’arsenal de la prise en charge des effets secondaires des traitements, aucun ou presque ne s’adresse ouvertement aux malades du cancer.
« Aucune grosse marque n’a envie d’aller dans une niche. Le cancer, ce ne sont finalement qu’un peu plus de 18 millions de nouveaux cas par an sur 7 milliards d’individus. De plus, toutes les études montrent que les femmes dépensent plus lorsqu’elles vont bien. Les cosmétiques s’adressent aux femmes heureuses », analyse Isabelle Guyomarch.
Si Bioderma a initié, avec la démarche Medi-Secure, le lancement de produits adaptés spécifiquement aux traitements anticancéreux, les gammes ciblées « cancer » restent rares et viennent de petits labels, comme Ozalys et Même Cosmetics, marque fondée après deux ans de travail avec des oncologues par deux jeunes femmes dont les mères ont été confrontées à la maladie. Ces solutions expertes et efficaces se font aussi désirables et sensorielles parce que les femmes malades sont avant tout des femmes qui ont besoin de retrouver du plaisir et de regonfler leur estime. À la douleur morale de ne plus se reconnaître s’ajoute la douleur physique des traitements et de leurs effets secondaires.
Des épidermes malmenés par les traitements anti-cancéreux
« La perte en eau augmente, l’hydratation diminue. Résultat, la peau s’assèche, tiraille, devient inconfortable, rêche et terne. Très vite les démangeaisons s’installent avec un risque accru d’irritations. Parallèlement, les capacités de cicatrisation baissent. Ces manifestations peuvent toucher tout le corps ou seulement certaines zones », résume la médecin allergologue Michèle Sayag, directrice de la stratégie médicale Bioderma.
La sécheresse n’est pas seulement inconfortable, elle peut être extrêmement douloureuse, comme dans le syndrome main-pied, réaction inflammatoire à certains traitements de chimiothérapie qui fragilise les micro-vaisseaux des mains et des pieds. Parmi les effets secondaires, beaucoup demeurent peu connus de celles et ceux qui ne traversent pas cette épreuve.
« Quand on est malade, rester propre, prendre soin de soi devient très difficile. Comment s’hydrater le corps avec une crème épaisse quand on perd la mobilité de son bras après l’opération du sein ? Comment se brosser les dents quand la bouche est irritée et que la chimio donne la nausée ? Les produits doivent apporter du résultat mais aussi pouvoir répondre à ces problématiques d’usage », estime Isabelle Guyomarch, qui a, par exemple, imaginé une formule très hydratante en format brume à utiliser d’une main et sans massage.
Le port de la perruque, source d’irritation, de chaleur, peut être insupportable. La photosensibilisation liée à la chimiothérapie se révèle bien plus intense qu’on ne l’imagine. « Je faisais des taches en étant chez moi, à cause des rayons traversant les vitres », se souvient Estelle. « Comment, par exemple, s’hydrater le corps avec une crème épaisse quand on n’a plus la mobilité de son bras après une opération du sein ? » Isabelle Guyomarch, créatice de la marque Ozalys
Un institut itinérant de soins réconfortants
Les marques cosmétiques agissent aussi dans l’ombre des services oncologiques, au niveau de ces soins de support qui aident à mieux vivre pendant la maladie et les traitements.
Depuis 2016, La Roche-Posay a multiplié les initiatives pour accompagner ces femmes dans leur quotidien : des séances de sophrologie, à écouter par exemple avant une chimio, sont disponibles gratuitement sur le site de la marque ; des exercices de Rose Pilates, méthode de gym créée par Jocelyne Rolland, sont à consulter en ligne. Le but : contrer la fatigue et la fonte musculaire provoquées par la chimio mais aussi, insiste la kinésithérapeute, « reprendre possession de son corps si malmené » pour regonfler son moral.
« Depuis 2019, nous sensibilisons aussi sur la prise en charge de la cicatrice (auto-massage et protection). Nous avons retranscrit sur des fiches, distribuées par les soignant·es aux patient·es, les recommandations du Collège de la masso-kiné-sithérapie, la plus haute instance en France sur le massage de la cicatrice », ajoute Blanche Bévillard, responsable projets oncologie-chirurgie-cure thermale chez La Roche-Posay.
Active aussi, la marque Avène a monté un institut itinérant, L’Échappée Rose, qui visite une trentaine d’hôpitaux en France pour dispenser des soins réconfortants de 45 min. Celles qui bénéficient de soins délivrés par des socio-esthéticiennes témoignent toutes du profond bienfait qu’ils leur apportent, avec certains effets inattendus. « La séance réussissait à atténuer les insupportables maux de tête que me provoquait la chimio, raconte Clotilde. Malheureusement, l’accès à ces soins est limité, souvent par manque de moyens. Les hôpitaux devraient aller plus loin dans la reconnaissance de leur utilité. »
Les dons en produits et les initiatives des marques sont bienvenus. Pour l’après, quand le lourd des traitements est passé mais que le bien-être est encore loin, des cures post-cancer sont proposées dans les centres thermaux d’Avène, Uriage, La Roche-Posay, avec prise en charge possible par la sécurité sociale.
Des marques plus engagées, une parole plus libérée
Au début des années 90, alors que mentionner cette « longue maladie » est impensable, Evelyn Lauder, la vice-présidente d’Estée Lauder, elle-même touchée par un cancer du sein, décide de sensibiliser à l’importance du dépistage et d’aider la recherche scientifique en co-créant le Ruban Rose et la Breast Cancer Research Foundation. En France, l’initiative est relayée dès 1994 par le groupe Estée Lauder et le journal Marie Claire qui montent l’association Le cancer du sein, parlons-en ! rebaptisée cette année Ruban Rose.
Une campagne annuelle de sensibilisation et de récolte de fonds est lancée sous le nom d’Octobre Rose. Depuis, les initiatives ne cessent de se développer, les marques sont de plus en plus nombreuses à communiquer autour du sujet et à proposer à l’automne des éditions limitées dont une partie des bénéfices est reversée à la recherche ou à des organismes accompagnant les malades.
Pour la première fois cette année, le grand magasin parisien Le Bon Marché organise un important évènement avec ateliers, produits en éditions limitées et scénographie sur mesure, en partenariat avec Marie Claire et Estée Lauder. Parallèlement, les réseaux sociaux ont permis à la parole des femmes malades de se libérer. Certaines choisissent de mettre en récit leur vécu et leur résilience, comme la styliste Charlotte Husson dans le livre L’Impossible est mon espoir (éd. Marabout)1 et la journaliste Géraldine Dormoy dans Un cancer pas si grave (éd. Leduc.S)2.
La honte qui entoure la maladie se dissiperait-elle enfin ? « Cela progresse, mais lentement. On continue à porter une perruque pour ressembler aux autres et à celle que l’on était avant. Les femmes devraient pouvoir le faire uniquement parce qu’elles en ont envie et non parce que, socialement, cette beauté différente n’est pas acceptée », souligne Isabelle Guyomarch. Pour cela, parler de la maladie, et pas seulement en octobre, est essentiel : retrouver un bien-être grâce aux socio-esthéticiennes et aux produits cosmétiques aussi.
Même si leur rôle est avant tout de sauver la vie, le personnel hospitalier a son rôle à jouer. Étape incontournable de la chimio, l’opération d’implantation sous la peau de la chambre3 et du cathéter se fait encore trop souvent sans considérations esthétiques et laisse pour certaines femmes, en plein milieu du décolleté, une cicatrice qui toute leur vie devant le miroir leur rappellera la maladie.
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3 Petit boîtier placé sous la peau sur la partie haute du thorax et relié à une grosse veine par un fin tuyau. Au lieu de piquer les veines, on injecte les produits directement dans cette « chambre ».
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