Avoir un enfant surdoué, un défi au quotidien
Les idées reçues sur les surdoués véhiculent l’image d’un enfant premier de la classe, génie des maths qui aurait réponse à tout. Mais ce n’est pas toujours la réalité. Vanessa et Flora nous racontent leur quotidien de mères d’enfants précoces, dans un système qui peine à accompagner ces derniers.
“On se sent très seuls”, avoue d’emblée Vanessa, maman d’un enfant surdoué ou HQI (à haut quotient intellectuel) de 7 ans. Entre les premières interrogations, la confirmation du haut potentiel et la demande d’ajustements à l’école, la route est souvent longue et semée d’embûches. Car, si certains de ces petits surdoués vont très bien, d’autres sont en grande détresse. Pour cause, la plupart évoluent dans un environnement, scolaire notamment, qui n’est pas adapté à leur fonctionnement atypique.
Vanessa est maman d’Arthur*, 7 ans, surdoué. Flora est mère de Mathilde*, 13 ans et Théo*, 9 ans, tous deux surdoués également. Elles nous racontent, bien loin des idées reçues, leur vie de parents de petits zèbres.
Premiers questionnements, premières épreuves
“À l’âge de 3 ans, ma fille m’a dit ‘je veux être libre’”, se souvient avec amusement Flora, maman de Mathilde et Théo, aujourd’hui respectivement âgés de 13 et 9 ans. Ces questionnements “pas de son âge”, n’ont pourtant pas tout de suite mis la puce à l’oreille de Flora. Jusqu’à ce que son comportement sonne l’alarme, vers trois ans et demi. “Elle faisait de grosses crises d’angoisse les matins avant d’aller à l’école. Elle ne voulait plus y aller et n’arrivait pas à dire pourquoi. Je voyais que c’était une souffrance réelle”. Même chose chez Vanessa, maman d’Arthur, 7 ans : “Il pouvait être agressif, colérique, dire des gros mots… Et il était déprimé.”
Un psy m’a dit que tout allait bien, un autre m’a prise pour une folle.
Dès les premiers signes, Vanessa et Flora se sont mises en quête du Graal : un ou une psychologue qui pourrait les aider à mieux comprendre leur enfant. “Un premier psy m’a dit que tout allait bien, un autre m’a prise pour une folle”, se souvient Vanessa, qui a consulté plusieurs praticiens, dans différents départements. “Mon fils est extrême, explique-t-elle. Avec lui, ça passe ou ça casse. Un jour, il a retourné le bureau d’une psy. Il ne supportait pas de ne pas être compris.”
Si la recherche du bon psychologue est harassante, elle vaut le coup. Vanessa a trouvé une psychologue comportementaliste qui convient enfin à son fils. “Elle discute avec lui pendant qu’il dessine ou qu’il joue. Dès qu’il la voit, c’est un grand apaisement pour lui.”
Entre haut potentiel intellectuel et immaturité émotionnelle
“Elle n’avait rien d’extraordinaire”, pensait Flora à propos de sa fille. Comme la plupart des parents, elle ne se serait jamais douté de la précocité de Mathilde. Sa mère avoue s’être plutôt demandée, si à l’inverse, sa fille aînée n’avait pas un “retard” quelque part. Deux tests de QI plus tard, le résultat est là : Mathilde est surdouée, à “très haut potentiel”.
Pour certaines choses, c’est comme si elle avait 16 ans. Pour d’autres, c’est comme si elle en avait 4
“Arthur se situe entre 130 et 150 de QI. On n’a pas pu établir de chiffres précis, car il faisait exprès de fausser les résultats”, raconte Vanessa. Une fois le mot “surdoué” prononcé, tout s’explique alors : les angoisses, la frustration, la colère. “On m’a expliqué que ma fille avait un grand décalage affectif, ajoute Flora. Pour certaines choses, c’est comme si elle avait 16 ans, pour d’autres, comme si elle en avait 4.” Cette dissonance, Arthur l’a aussi. “Il est très mature intellectuellement, et pas du tout émotionnellement”, explique sa mère.
Flora estime avoir eu de la chance, car “souvent, les filles surdouées ne sont que très peu détectées, elles s’adaptent bien plus facilement à ce qu’on attend d’elles.” Idem pour la dyslexie : Mathilde a réussi à cacher la sienne très longtemps, comme beaucoup de petites filles.
Avoir enfin des réponses est certes synonyme de soulagement, mais aussi de remise en question et d’ajustements, notamment à l’école. Et c’est une autre histoire.
En peine avec le système scolaire
“Un jour, on m’a dit ‘votre fils n’écoute rien’. J’ai répondu ‘si, mais il s’en fiche’”, rapporte Vanessa. Si le dialogue peut faire sourire, il révèle surtout un grand manque d’informations sur ce sujet dans le corps enseignant. “On passe pour les parents qui veulent absolument que leur enfant saute une classe”, déplore Flora. En réclamant des ajustements pour leurs enfants, les deux mères témoignent avoir eu l’impression de se heurter à un mur. Un mur de béton.
Pour les enseignants, s’ils n’étaient pas premiers de la classe, c’est qu’ils n’étaient pas surdoués.
“Quand j’ai demandé aux enseignants, sur les conseils de sa psychologue, que ma fille saute une classe : j’ai vu tout de suite que pour eux, j’avais déclaré la guerre”, se remémore Flora. Car pour les enseignants, s’ils n’étaient pas premiers de la classe c’est qu’ils n’étaient pas surdoués. “Alors qu’en fait, ils n’ont pas de bons résultats car il s’ennuient, et parce qu’ils fonctionnent différemment. Souvent, ils ne comprennent pas les consignes.”
Le fils de Vanessa a trois ans d’avance, mais il est ralenti par sa dyslexie. “Il est aussi hyper ambidextre. Donc il est suivi par une psychologue, une orthophoniste et une psychomotricienne”, énumère-t-elle. Passionné de sciences, rêvant d’être généticien, le petit garçon s’ennuie à l’école. “On lui donne quelques exercices de maths supplémentaires, mais il les termine en cinq minutes : ça ne lui suffit pas. Ça me fait mal au cœur, c’est du gâchis alors qu’il a un potentiel phénoménal.” Vanessa espère pouvoir lui faire sauter le CE2, sans grand espoir. Elle rêve de Montessori, mais “c’est très élitiste : là où j’habite et avec mes moyens, c’est impossible”, déplore-t-elle.
Un jour, mon fils m’a demandé : “Maman, pourquoi tu m’as mis à l’école ?”
Flora, elle, s’est résignée après s’être battue avec beaucoup de moulins à vent. “Un jour, mon fils m’a demandé ‘Maman, pourquoi tu m’as mis à l’école ?’, j’ai eu l’impression qu’il me demandait ‘pourquoi tu m’as fait ça?’” Depuis 2 ans pour Mathilde, et 3 ans pour Théo, c’est l’école à la maison. Une solution qui épanouit ces deux petits zèbres, mais qui n’est pas possible pour tout le monde.
Être parents d’enfants surdoués, une situation fantasmée
“Mon fils a 7 ans et je me sens déjà dépassée”, confie Vanessa. Arthur, dyslexique, a beaucoup de mal à lire. Alors c’est sa mère qui lui lit ses livres d’astronomie. “Parfois, je ne comprends même pas ce que je lis. Je n’arrive déjà plus à suivre”, confie-t-elle, non sans inquiétude. “Heureusement, salue Vanessa, il y a des bibliothèques sonores, réservées aux dyslexiques et gratuites.”
Arthur trouve une faille en vous et appuie là où ça fait mal. Ça peut être extrêmement blessant.
L’éducation des enfants à haut quotient intellectuel est différente à bien des aspects, notamment parce qu’ils peuvent être très “provocateurs”. “Arthur trouve une faille en vous et appuie là où ça fait mal, ça peut être extrêmement blessant, même s’il ne s’en rend pas forcément compte.” Flora confirme : “En fait, ils testent notre solidité, pour être sûrs qu’on soit assez forts pour s’occuper d’eux. Ils ont besoin d’être rassurés.”
Ajoutons à cela le regard des autres, rarement compréhensif, parfois “jaloux” d’une situation qu’ils fantasment. “J’ai perdu des amis, confie Flora. Le pire, c’est que je pense que leurs enfants étaient précoces aussi.” Il existe un immense décalage entre ce qu’on peut imaginer de la vie d’un enfant surdoué, et la réalité. Flora résume : “Ce n’est pas un cadeau, même si tout le monde pense que si. C’est beaucoup de souffrance pour l’enfant et beaucoup d’impuissance pour les parents.”
Ce que confirme Vanessa. Entre son activité de parents d’élève, les différents spécialistes, et le manque de moyens de l’Education nationale, la maman d’Arthur avoue “pleurer tous les week-end depuis des années. De rage.”
S’impliquer avec son enfant mais ne pas s’oublier
“Mon mari travaille beaucoup, explique Vanessa. Il se reconnaît énormément en son fils, il a l’impression de se voir dans un miroir. C’est très difficile pour lui.” La maman d’Arthur pense que son mari est probablement aussi précoce, et a également des doutes pour elle-même. “Cela fait écho en moi et expliquerait beaucoup de choses. C’est pourquoi je veux faire pour lui ce qu’on a pas pu faire pour moi”, conclut-elle.
Globalement, ce sont les mamans les plus impliquées et qui semblent plus impactées au quotidien.
“Je vois des mères qui sont démunies. Et elles s’occupent souvent davantage des enfants que le conjoint”, précise Flora, devenue coach pour les mères d’enfants précoces. “Globalement, ce sont les mamans les plus impliquées au quotidien, remarque-t-elle. Maintenant, le père de mes enfants a compris, mais cela à mis du temps.”
La mère de Mathilde et Théo explique avoir constaté que les pères ont tendance à vouloir que leur enfant “rentre dans le moule”. “Les mamans vont aller plus loin, essayer de comprendre, lire, poster dans les groupes sur les réseaux sociaux… Elles me semblent plus dans l’empathie.”
Père ou mère, Flora a un conseil essentiel à donner aux parents d’enfants à haut potentiel : “Ne pas oublier de s’occuper de soi. Car lorsqu’on va mal, les enfants le sentent, particulièrement s’ils sont à haut potentiel, et plus encore s’ils sont aussi hypersensibles.”
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*À la demande des parents, les prénoms des enfants ont été changés.
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