Autisme : sur les écrans, des représentations toujours plus nuisibles pour les concernés

C’est en 1988, à la sortie du film Rain Man, que le public découvre pour la première fois un personnage autiste au cinéma. Incarné par l’acteur Dustin Hoffman, le personnage de Raymond Babbitt intrigue par sa démarche, sa posture physique, ses réponses laconiques, mais aussi par ses capacités de mémorisation impressionnantes. 

À l’époque, les éloges pleuvent sur la production de Barry Levinson, et le long métrage remporte quatre Oscars. Un tel succès, n’était-ce pas là une formidable occasion de rendre visible ce trouble, encore très mal connu à l’époque ? Oui, mais non. Car, à en croire certaines critiques, Rain Man ne montrerait qu’une vision caricaturale, voire inexacte, du trouble du spectre autistique (TSA). 

En « glamourisant » le syndrome d’Asperger – ou l’autisme dit « savant » – le film aurait même fait bien pire que cela. Plus de trente ans plus tard – sur le petit ou le grand écran – c’est comme si tous les personnages se ressemblaient. « Dans les médias, on ne privilégie qu’une sorte d’autisme. D’un bout, il y a celui qui s’automutile, qui se balance. Et à l’autre bout, c’est le génie », dénonce Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France.

Montrer l’autisme : de l’importance de la représentation

Que ce soit sur le service public, les plateformes de streaming ou les étals des librairies : l’autisme n’aura jamais fait l’objet d’autant de fictions que depuis la fin des années 2010. « Il y a 20 ans, on parlait peu d’autisme par ces biais, parce que le trouble était très mal connu », explique Danièle Langloys. 

Alors pour les personnes concernées, voir davantage de représentations de l’autisme dans les médias en général est incontestablement un pas en avant. Lorsque les médecins commencent à suspecter chez Lev un TSA en 2018, la créatrice de contenu de 29 ans ne trouve que peu de ressources scientifiques françaises auxquelles se référer. Ce qui la pousse à se tourner vers l’art. « En cherchant, je suis tombée sur La Différence Invisible (éd. Delcourt) de Julie Dachez, que j’ai trouvé remarquable », confie-t-elle.

Pour celle qui n’avait pas encore les moyens de financer son diagnostic, l’impact d’une telle lecture est de taille. De voir un personnage qui lui ressemble autant l’aide « beaucoup ». Charlie, 26 ans, a aussi vu son diagnostic s’éclaircir après le visionnage du Control, qui raconte l’histoire du musicien britannique Ian Curtis, dont l’autisme n’est que suspecté.

« On le voit vivre les émotions fortement, être à fond dans la musique et en constant décalage avec son enfant. Je vivais personnellement une errance médicale depuis des années, alors ça m’a bouleversé », témoigne l’hôte d’accueil, diagnostiqué avec un TSA depuis un an et demi.

Le problème de l’autisme « savant »

Mais si l’on questionne le tout-venant sur ce qui a pu influencer sa vision de l’autisme, ce sont d’autres œuvres – bien plus populaires – qui risquent d’être citées. Atypical, Extraordinary Attorney Woo Love, Love on the Spectrum…  Rien que sur Netflix, le catalogue est vaste. Et même en France, les scénaristes tentent de s’emparer du sujet. 

En 2019, sort Astrid et Raphaëlle, une série policière mettant en scène un duo d’enquêtrices, dont l’une est autiste. D’une façon assez similaire à Raymond dans Rain Man, le syndrome d’Asperger – terme d’ailleurs obsolète pour les médecins – d’Astrid est identifiable par sa diction presque robotique, son absence de second degré, mais aussi et surtout, par son intelligence hors normes. 

Je pense qu’on a voulu cacher l’image de l’autiste violent.

Niveau accueil, le programme divise. Là où certain.es internautes félicitent « un bel hommage à l’autisme », mis en scène de façon « pédagogique », d’autres déplorent l’interprétation « caricaturale » et « stéréotypée » de Sara Mortensen. Au sujet de la série, la présidente d’Autisme France, elle-même mère d’un fils autiste, ne fait pas dans la dentelle. « Astrid et Raphaëlle est un bon exemple de l’imbécilité. Des personnes autistes avec ce type de compétence, c’est rarissime. C’est une collection de clichés, des fantasmes pour grand public », s’indigne-t-elle. 

Au-delà du fait que leur trouble soit souvent l’unique trait de personnalité des personnages identifiés autistes, les stéréotypes perdurent jusque dans les professions que l’on leur attribue. Comme si leur avenir ne pouvait leur être assuré qu’en travaillant avec la police, en informatique ou dans les sciences, dénonce Lev.

L’opinion de Charlie sur les œuvres de fiction n’est pas plus élogieuse. Pour lui, de telles représentations pourraient même renforcer l’idée que l’on puisse se servir des compétences de ces personnes à moindre coût. “Je pense qu’on a voulu cacher l’image de l’autiste violent, alors on a glorifié celui qui est plein de ressources et qu’on peut utiliser. D’ailleurs, on ne rit jamais avec eux mais toujours d’eux, comme avec le personnage de Sheldon dans The Big Bang Theory« , dénonce-t-il. 

Des représentations clichés

Finalement, en cherchant à abattre les idées reçues, les scénaristes en auraient inséré de nouvelles dans l’esprit du public. Et les conséquences sur les concerné.es ne sont pas neutres. Charlie assure que de telles approximations ont même retardé son diagnostic personnel. « Personnellement, je suis dyscalculique, alors je me suis longtemps dit que j’étais trop nul en mathématiques pour être autiste », confie-t-il.

Lev abonde dans ce sens, ajoutant que la mise en scène de l’autisme exclurait même les femmes. « On a l’impression de ne voir que des personnages masculins, qui ne savent pas regarder les gens dans les yeux et se frappent automatiquement. Ça amène à des situations où les femmes sont traitées d’affabulatrices, parce que leur comportement ne colle pas à l’image populaire« , explique la créatrice de contenus. 

Pour celle qui tente de faire de l’information tant bien que mal sur ses réseaux sociaux, rien de plus douloureux que d’entendre dire qu’elle n’a « pas l’air autiste ».

Mais d’après la présidente d’Autisme France, des représentations aussi incorrectes font du tort à bien d’autres égards. Selon ses dires, ne montrer que l’autisme « savant », et jamais les troubles souvent associés (dépression, trouble anxieux, anorexie, TDAH, épilepsie, notamment) peut donner au public le sentiment que le TSA n’est pas si handicapant. Au contraire, qu’il serait comme « un cadeau ». Et un regard sociétal dévoyé sur l’autisme, c’est une perte de chance pour les associations « d’obtenir des financements » pour la recherche. 

Changer l’image du TSA pour faire avancer la cause

En fin de compte, la représentation du TSA à l’écran ne serait, pour la présidente, qu’une vitrine de la « méconnaissance spectaculaire » de l’autisme en France. D’ailleurs, pendant que « l’étrange passion sérielle pour les autistes » – pour reprendre les termes du journaliste Benoît Franquebalme – s’amplifie, les diagnostics restent toujours très retardés, déplore-t-elle. Suivie depuis ses 24 ans, Lev n’a été déclarée atteinte d’un TSA que l’an dernier, à 29 ans. Quant à Charlie, il a dû attendre 10 ans avant que son diagnostic soit posé.

« C’est devenu une mode qui se ressent sur les réseaux sociaux et jusque dans les services de diagnostic. Ces derniers sont actuellement embolisés par celles et ceux qui s’auto-diagnostiquent », ajoute Danièle Langloys. Selon les chiffres de son association, entre 50 % à 80 % des adultes atteint.es de troubles psychologiques demanderaient un diagnostic de TSA.

Alors pour distinguer le vrai du faux au sujet de l’autisme, elle n’a qu’un conseil : s’attacher aux récits des concerné.es, qui décrivent « la vraie vie ». Le témoignage, c’est d’ailleurs ce qui a aidé Lev à mieux vivre son trouble. « Sur les réseaux sociaux, il y a aujourd’hui beaucoup de comptes de personnes autistes qui s’attachent à citer leurs sources et à partager ce qu’elles font pour rendre leur quotidien plus vivable », confie-t-elle.

Quant aux œuvres de fiction, Charlie pense qu’elles seraient bien meilleures si le scénario ne reposait pas uniquement sur la neuroatypie du protagoniste : « Il y a un personnage dans Sex Education que j’ai particulièrement apprécié, parce que son trouble n’était que suggéré. Pour une fois, elle n’était pas ‘l’autiste de service‘ ».

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