Audrey Page : "Les célibataires hétéros qui font une PMA sont invisibles"

Le témoignage d’Audrey Page porte la voix d’une génération de femmes hétéros qui refusent de renoncer à la maternité parce qu’elles n’ont pas de conjoints entre 35 et 43 ans. 

Marie Claire : Vous avez fait une PMA grâce à un double don de sperme et d’ovocyte à Barcelone, et vous êtes maman d’une petite Georgia, née juste avant le confinement. La loi qui autorise la PMA aux femmes seules et aux couples de lesbiennes va repasser devant le Sénat à la fin de l’année ou début 2021. Vous êtes confiante?

Audrey Page : Oui mais je suis convaincue que le projet va être très amendé. L’extension de la PMA, dès le 1er article du projet de loi, a fait l’objet à elle seule d’environ 600 des 2500 amendements déposés ! En revanche, je suis absolument convaincue que les femmes vont continuer d’aller à l’étranger.

D’abord en raison de la pénurie de donneuses d’ovocytes en France. Car non seulement il n’y a pas de communication sur le don d’ovocytes, mais les rares femmes qui donnent ne sont pas rémunérées comme à l’étranger. Je trouve que c’est important d’offrir aux donneuses une compensation financière (si possible encadrée, la même pour toutes comme en Espagne). Parce que c’est une façon de dire merci pour cet énorme effort.

Et puis dans les années à venir on ne verra pas en France des cliniques privées offrant les mêmes services qu’en Espagne. Car selon la future loi, les PMA pour toutes ne pourront se faire que dans des établissements publics, les hôpitaux, ce qui va encore allonger les délais : trois ans d’attente en ce moment !

Vous écrivez que dans le débat sur la PMA pour toutes, les célibataires sont invisibilisées par rapport aux lesbiennes en couple…

Oui, les célibataires hétéros sont invisibles, parce qu’elles ne revendiquent rien collectivement. Elles ne sont pas structurées, organisées, mobilisées comme les lesbiennes, tout simplement parce qu’on est généralement pas célibataire à vie. Aucune personnalité n’a pris la parole pour parler au nom des femmes sans partenaire.

Pourquoi ? D’abord elles éprouvent une certaine honte à être célibataire à l’approche de la quarantaine. Comme si personne n’avait voulu d’elles, alors que c’est un peu plus complexe que ça ! Par exemple, en ce qui me concerne, j’ai été très peu célibataire dans ma vie. Mais je l’ai été pile à l’âge ou il ne faut pas se rater quand on veut un enfant.

Parmi les célibataires candidates à la PMA, beaucoup de diplômées qui ont des carrières exigeantes, donc ont des enfants plus tard. Ce qui leur vaut des réflexions gratinées…

C’est un héritage du patriarcat. On s’entend dire que si on n’a pas d’enfant avant 35 ans, on est seules responsables : on a trop misé sur notre carrière au détriment de nos fonctions reproductives, (comme s’il n’était pas possible de faire carrière et de rencontrer un homme prêt à fonder une famille !) On serait trop ambitieuses : « Tu fais peur aux hommes ! »… Si vous saviez combien de fois je l’ai entendue celle-là… Ceux qui ont peur, de toutes façons, ce ne sont pas les bons !

Sans compter les « comment se fait-il qu’elle, (diplômée, pas trop moche, sympa etc.) elle n’ait pas réussi à se caser ? » J’ai eu aussi des sous-entendus du genre : « Peut être que tu es un mauvais coup… » (rires). Merci. Mais je pense qu’on est tous le mauvais coup de quelqu’un. En réalité, tout simplement, aucun des hommes de mes histoires n’a souhaité s’engager pour fonder une famille avec moi : soit ils n’étaient pas prêts, soit ils en avaient déjà, et n’en voulaient pas d’autres. 

Que répondez-vous aux anti PMA pour toutes qui accusent : « Elle s’achète un enfant » ?

Mais les femmes qui font une PMA à l’étranger n’ont pas forcément de gros moyens ! Elles font des crédits à la consommation avec un taux d’intérêt élevé, ou empruntent à leur famille. Il y a des provinciales qui habitent loin d’un aéroport.

Elle partent via Blablacar en Tchécoslovaquie, ou en Bulgarie parce que c’est moins cher que l’Espagne. Elles dorment chez l’habitant. Avec le Covid-19, pour celles qui sont à mi-parcours de leur PMA, c’est l’enfer. Et elles essaient d’être suivies par un médecin généraliste parce qu’elles n’ont pas une assez bonne mutuelle pour s’adresser à un spécialiste.

Le tabou est palpable. Et au travail, ça se passe comment ? 

Beaucoup de femmes posent des congés en dissimulant ce qu’elles en font, pour effectuer leurs allers-retours dans des cliniques à l’étranger. Elles ont peur être pénalisées dans leur carrière. Parce qu’un manager, surtout si c’est un homme, peut penser qu’une PMA, c’est encore pire qu’un congé mat dans une équipe. Les entreprises qui n’auront pas compris qu’il faut développer une certaine souplesse et une certaine empathie vis-à-vis de ces femmes qui supportent des traitements lourds, représenteront le monde d’avant.

A l’heure des réseaux sociaux, c’est dangereux pour elles. Au contraire, celles qui soutiendront la PMA pour toutes pourraient valoriser leur marque employeur, comme ces entreprises qui ont une bonne image parce qu’elles offrent un congé de paternité plus long que la durée légale.

Est-ce qu’un nouveau modèle de couple parental apparaît, où les femmes inversent les étapes traditionnelles ? Plus besoin d’attendre d’avoir trouvé le futur père de ses enfants avant 40 ans. On « assure ses arrières » avec une PMA avant, et on trouvera (ou pas) le partenaire prêt à s’engager après.

Je dirais que je souhaite à toutes celles qui n’ont pas trouvé de partenaire entre 35 et 40 ans de faire la même démarche que moi. Parce que ça allège beaucoup la relation aux hommes, côté hommes comme côté femmes. Quand j’espérais trouver un amoureux pour fonder une famille, un ami m’a dit « toi, tu clignotes »… C’est horrible.

Face à une femme de 35 à 40 ans qui a déjà un enfant, les hommes ne sentent plus la demande, l’attente, la pression, réelle ou supposée de son horloge biologique. L’immense injustice, c’est qu’un homme qui ne veut pas ou plus d’enfants, peut changer d’avis même très tard. Pas nous. La seule chose que nous pouvons faire c’est prendre notre destin en main, et commencer par faire congeler nos ovocytes.

Cette révolution implique aussi un nouveau modèle de famille élargie aux amis à côté de la famille tradi ? 

Pour moi, c’est très important d’avoir des contre-pouvoirs, pour contrebalancer la monoparentalité. Je ne veux pas que ma fille soit élevée dans la pensée unique de sa mère. Il faudra qu’elle entende plusieurs avis, pour se forger le sien. C’est pour ça que j’ai fait appel à une espèce de petit comité, des amis solides qui acceptent ce rôle de parrains-marraines. Et aussi parce que l’énorme écueil, quand on est seule, c’est qu’on peut vite faire couple avec l’enfant et créer une relation trop fusionnelle.

Et puis avoir une famille élargie, une famille de cœur, nous prépare aussi pour le jour où un nouveau compagnon entrera peut-être dans ma vie et celle de ma fille. Nous formerons avec lui une famille recomposée, nous entrerons aussi dans la sienne, et il aura forcément une vision au moins légèrement divergente de la mienne sur l’éducation.

On découvre en vous lisant tout un écosystème autour de la PMA, des échographistes parisiens prêts à compter vos follicules dès 7h du matin, des acupuncteur espagnols qui reçoivent les femmes dès 6 heures du matin avant l’implantation des embryons etc. 

Oui, je n’avais pas d’amoureux dans mon lit, mais cinq ou six personnes oeuvraient pour que je devienne mère ! Souvent on me dit « Tu as fait un bébé toute seule ». Non, je ne me suis jamais sentie seule, j’étais hyper entourée. Mais c’était moi la cheffe d’orchestre.

* »Aller-retour pour un bébé », d’Audrey Page (Ed. Albin Michel) 

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