Annie Ernaux, autrice féministe et sociale

Professeure de lettres et autrice, Annie Ernaux a durablement marqué la littérature française. Liant sociologie et autobiographie, elle demeure une écrivaine à part et toujours engagée, notamment sur les questions féministes. 

De l’enfance en Normandie à l’agrégation de lettres

Née Annie Duchesne, le 1er septembre 1940, à Lillebonne (Seine-Maritime), Annie Ernaux grandit dans une famille d’ouvriers, reconvertis en épiciers, dans la ville d’Yvetot.

Après des études à Rouen, puis à Bordeaux, elle devient professeure agrégée de lettres modernes. Elle débute sa carrière en Haute-Savoie, puis s’installe en banlieue parisienne, où elle vit toujours.

Venant d’un milieu social modeste, Annie Ernaux se considère comme une transfuge de classe. Son ascension sociale et ses origines modestes deviennent le terreau de ses premiers livres.

Une œuvre autobiographique féministe, empreinte de sociologie

Dans les récits autobiographiques d’Annie Ernaux, la sociologie n’est jamais bien loin. Son premier grand succès, La Place, sorti en 1983 et auréolé du prix Renaudot l’année suivante, est écrit après le décès de son père. C’est cette vie simple, d’épicier modeste d’une petite ville de Normandie qu’elle décrit, tout comme l’ascension sociale de ses parents, aussi au coeur de La Honte (1997). 

Dix ans avant son succès, elle faisait ses débuts en littérature avec Les Armoires vides, un premier roman où l’autrice se racontait déjà. Pas de première personne du singulier, mais un nom, celui de Denise Lesur, une jeune étudiante en train d’avorter, pour un récit balayant l’enfance, son milieu social modeste, et l’accès à l’éducation.

Dans La Femme gelée (1981), il est question de ses débuts comme professeure de lettres à Annecy et de son mariage, venu briser les idéaux d’égalité de la jeune femme qu’elle était.

Dans plusieurs de ses ouvrages, Annie Ernaux se focalise sur une partie très précise de sa vie. Dans L’Événement, publié en 2000, elle revient sur son avortement, subi à 23 ans, en 1963, bien avant la légalisation de l’IVG. Elle offre ici un regard sur la société pré-Mai 68, où la liberté des femmes se freinait au corps médical et au regard d’une société conservatrice. 

Son grand succès, salué par la critique en 2008 en remportant notamment le prix Marguerite-Duras, Les Années, balaie sa vie, de sa plus jeune enfance à l’année 2007. Plus qu’une autobiographie, le livre évoque l’histoire collective de la France et de ses évolutions, au fil des images qu’elle décrit et se rappelle avant qu’elles ne disparaissent. 

En 2016, l’autrice, alors âgée de 76 ans, revient sur l’année des 18 ans, en 1958. Dans Mémoire de fille, elle se raconte, en tant que monitrice dans une colonie de vacances durant l’été du passage à l’âge adulte. Cette période sera aussi celle de sa première expérience sexuelle, difficile, qui la marquera durablement. Annie Ernaux prend du recul sur « la fille de 58 » qu’elle a été. « C’est une déconstruction de cette fille que j’essaie de rejoindre », racontait-elle dans La Grande Librairie, après la sortie du livre. L’année suivante, elle reçoit le prix Marguerite Yourcenar pour l’ensemble de son oeuvre. 

Au Monde, elle se confiait en 2019 sur son style d’écriture : « Je ne suis pas autocentrée même si on me l’a reproché. Je crois que j’ai toujours parlé de moi en termes distancés, comme si j’étais le lieu d’une expérience que je restituais. Je parle de moi parce que c’est le sujet que je connais le mieux quand même… »

Je parle de moi parce que c’est le sujet que je connais le mieux quand même.

Avec l’autofiction, Annie Ernaux aime raconter le réel. En 2014, elle consacre un récit au supermarché Auchan de Cergy, qu’elle fréquente depuis des décennies. Dans Regarde les lumières mon amour, l’écrivaine observe dans ce centre commercial, des bribes de quotidien, et livre une analyse des classes sociales qui s’y entremêlent. 

Une autrice engagée

En mars 2020, elle explique à Marie Claire avoir fait « de la lutte pour la justice sociale et de celle contre l’injustice faites aux femmes », « les lignes de [son] écriture ».

Annie Ernaux a toujours été engagée pour les droits des femmes. Ces livres en sont la preuve. À Marie Claire, elle confie : « Ma vie depuis le début a été ombrée par le fait que les filles n’avaient pas les mêmes droits que les garçons. Elles étaient soumises à des lois patriarcales qui envahissaient la société ».

Mais son engagement ne s’arrête pas là. Le 30 mars 2020, alors que la France est confinée depuis deux semaines, elle adresse une lettre à Emmanuel Macron, lue par Augustin Trapenard, dans Boomerang sur France Inter, pour dénoncer sa politique : « Depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier – L’état compte ses sous, on comptera les morts – résonne tragiquement aujourd’hui. »

Quelques mois plus tôt, la femme de lettres avait apporté son soutien au mouvement des Gilets jaunes, dès ses débuts. Fin 2018, elle justifiait son choix auprès de Libération : « Je vois dans le mouvement des gilets jaunes une insurrection contre un pouvoir qui méprise, un gouvernement qui ignore la vie des gens. »

La vie privée d’Annie Ernaux

Installée à Cergy-Pontoise, dans le Val d’Oise, depuis les années 70, Annie Duchesne a été mariée à Philippe Ernaux, avec qui elle a deux fils.

Très discrète sur sa vie privée, elle consacre toutefois un de ses livres à l’histoire qu’elle a vécue avec un homme. Dans Passion simple, publié en 1992, Annie Ernaux retrace l’histoire brève, mais passionnée, entretenue pendant quelques mois avec un homme d’affaires mariée, originaire des pays de l’Est.

En 2005, elle publiait L’Usage de la photo, avec son compagnon de l’époque, Marc Marie, compilant photos et commentaires. 

  • Amélie Nothomb, autrice stupéfiante
  • Virginie Despentes, féministe trash et radicale



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