Animaux mutilés : pourquoi la maltraitance animale nous émeut-elle autant ?
C’est une véritable série noire. En 2020, les actes de barbarie envers les chevaux et d’autres animaux se sont multipliés. Avec plus de 150 enquêtes lancées et des centaines de cas signalés aux autorités, l’affaire émeut, intrigue, effraie même, jusqu’à développer la psychose. Nombreux sont celles et ceux, propriétaires d’équidés ou non, obnubilés par la traque des coupables et la mise au jour de leurs motivations.
Pour comprendre ces réactions et les expliquer, nous avons interrogé Laurent Bègue-Shankland, professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble Alpes, membre de l’Institut Universitaire de France et auteur du livre Psychologie du bien et du mal (Ed. Odile Jacob).
Marie Claire : Cela fait plusieurs mois que des mutilations sont commises sur des chevaux – et parfois d’autres animaux – en France. Ces actes soulèvent l’indignation et la colère. Selon vous, pourquoi ces actes nous révoltent autant ?
Laurent Bègue-Shankland : Le cheval fait partie des animaux avec lesquels le compagnonnage avec l’être humain est profond et ancien, depuis près de 4000 ans avant notre ère, et est aujourd’hui l’un des animaux préféré, après le chien et le chat. Sur une échelle qui traduit l’importance que nous accordons aux différentes espèces appelée « échelle socio-zoologique », il est situé très haut, considéré comme la « plus belle conquête » de l’homme.
C’est un animal très anthropomorphisé : on parle d’ailleurs de bouche, de pied, de jambe pour le cheval et non pour les autres animaux familiers, même très proches. Meurtrir un cheval, c’est donc véritablement atteindre les humains, car nous avons de nombreuses attaches avec ces grands mammifères qui peuplent nos mythes, notre passé artistique, et dont la force et la vitesse ont bien souvent été utilisés pour la traction ou la guerre.
Aujourd’hui plus que jamais, leur statut se rapproche de celui d’animaux de compagnie. Ceux qui les fréquentent savent qu’ils ont une personnalité, une vie singulière. L’historien Eric Baratay a très justement décrit la vie d’un cheval dans son captivant témoignage sur les Biographies animales.
Chez certaines personnes, c’est plus que de la colère : les actes de cruauté envers les animaux (pas seulement les chevaux) créent un malaise si profond qu’elles s’imaginent alors pouvoir être violente avec l’auteur.e des faits. Comment l’expliquer et d’où vient-elle ?
Laurent Bègue-Shankland : Les êtres humains sont dotés de dispositions psychologiques qui les rend capables de violence à caractère moral lorsqu’ils pensent que certaines personnes font souffrir intentionnellement d’autres êtres. Il s’agit d’une réaction qui n’a rien de pathologique et qui résulte d’une forme d’empathie ressentie pour la victime et de la conviction que les actes sont insoutenables et injustifiés, comme l’ont récemment montré deux anthropologues dans une recherche consacrée aux « violences vertueuses ».
La proximité zoologique et culturelle entre les humains et les chevaux conduit donc à réagir de cette manière. Le sentiment d’outrage moral que provoquent ces mutilations pourrait donc conduire à des violences extrêmes envers des auteurs présumés.
Face à ces actes, les médias avancent toutes sortes d’hypothèses : dérive sectaire, rituels sataniques, défi lancé sur les réseaux sociaux… Au-delà de l’aspect judiciaire de l’affaire, pourquoi notre société est obnubilée par le fait de trouver un coupable ? Pourquoi avons-nous à ce point besoin de comprendre ?
Laurent Bègue-Shankland : Le besoin de comprendre est proportionnel à la gravité des faits et à l’indignation qu’ils produisent. Ce besoin de comprendre est intimement lié au besoin de maîtriser le cours des choses, de protéger, et aussi de punir les auteurs une fois identifiés.
Selon vous, la cruauté envers les animaux est-elle un facteur prédictif de la violence envers les humains ?
Laurent Bègue-Shankland : L’histoire très médiatisée de tueurs en série comme Ted Bundy, auteur d’au moins 37 homicides, et dont les meurtres d’animaux auraient précédé les meurtres humains, fait régulièrement surface. La revue scientifique Research in veterinary science a recensé 96 publications sur le sujet depuis 1960.
Dans 98% des articles, une corrélation entre les violences envers des humains et la maltraitance animale était relevée. Cependant, si la majorité des auteurs d’homicides avec sadisme ont commis des actes de cruauté sur des animaux, cela ne signifie pas à l’inverse qu’une personne ayant martyrisé un animal commettra un homicide. La plupart des auteurs de tels faits de cruauté s’arrêtent aux animaux.
Que dit la recherche à propos de cela ?
Laurent Bègue-Shankland : Avec mon équipe, nous avons réalisé une étude portant sur 12500 adolescents publiée dans la revue Journal of Interpersonal Violence, et avons constaté que les auteurs d’actes de cruauté sur des animaux, le plus souvent des garçons, étaient plus anxieux et dépressifs, et avaient des liens plus ténus avec leur entourage. Nous avons également mesuré la tendance qu’avaient ces adolescents à considérer que la vie des animaux avait une valeur inférieure à celle des êtres humains, ou encore leur degré d’adhésion à l’idée qu’il est tout à fait normal de sacrifier des animaux pour soigner les humains, même si cela doit les faire souffrir.
Les résultats ont montré que plus les adolescents endossaient cette attitude de hiérarchie des espèces et légitimaient l’instrumentalisation des animaux, plus ils avaient tendance à avoir commis des actes de cruauté envers les animaux. Ce dernier résultat suggère qu’au-delà des facteurs psychopathologiques et de marques de déviance générale, les représentations largement partagées concernant l’infériorité de ces derniers pourraient aussi être impliquées à ces comportements.
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