Andréa Bescond raconte "Les Chatouilles", ou comment fictionner le viol
De son saisissant seule-en-scène “Les chatouilles”, où la danse se substituait aux mots pour exprimer le ressenti d’une victime de pédophilie, la comédienne Andréa Bescond a tiré un film sensible et porteur d’espoir*. Entretien.
Marie Claire : Votre film est un puzzle étrange où cohabitent humour, drame et poésie.
Andréa Bescond : C’est un hommage à la mémoire traumatique, comment les choses reviennent, pas forcément dans le bon ordre. Tous ces flashs que l’on ne contrôle pas, ces moments où tu aimerais saisir la perche et ne la saisis pas. Il fallait mettre en avant le concept du temps : pourquoi en met-on autant à parler quand on a été victime, enfant, de violences sexuelles ?
Pierre Deladonchamps, en violeur, a la tête du gendre idéal. C’est troublant…
C’est le seul acteur à qui on a proposé le rôle, on l’avait en tête dès le départ. Pierre incarne le meilleur ami de la famille, un mec séduisant. Notre volonté était d’aller contre ce cliché de l’agresseur nu sous son imperméable. Le mien était très sympa, cultivé, sportif, un notable de notre petite ville avec une famille parfaite.
Comment filme-t-on des scènes de viol avec une enfant ?
Cyrille Mairesse avait 9 ans lors du tournage. On l’a choisie pour son regard. C’est une petite fille équilibrée. Elle a vu mon spectacle ; à ma sortie de scène, elle m’a dit : « Je veux faire le film pour aider à protéger les enfants. » On a épluché le scénario avec sa mère. On était clair sur le filmage des viols. Cyrille n’a jamais eu une main sur sa cuisse ; avec son violeur, on a fait un champ-contrechamp. Etre dans les yeux de l’enfant et ceux de l’agresseur, ça suffit.
Karine Viard est excellente dans le rôle de la mère emprisonnée dans le déni. Est-elle pardonnable ?
Elle dit à Odette : « Tu ne sais pas ce que j’ai vécu, moi, dans la vie ! »Elle n’a pas la capacité d’entendre la douleur de sa fille car elle-même est en souffrance. Elle est pardonnable. Odette est obligée de prendre de la distance, ces deux-là ne sont pas faites pour communiquer. Crier sa douleur et son amour, comme le fait le père, c’est une chose, mais où sont les actes ? La mère n’arrive pas à l’exprimer, mais elle accepte de rencontrer la psychologue, et ça, c’est un acte d’amour.
Vous montrez bien, ensuite, ce besoin d’adrénaline qui pousse aux addictions…
A partir du moment où tu es violée, tu es anesthésiée. Tu n’as plus de grandes émotions mais une très forte tolérance à la douleur. Tous ces compor tements à risques pour se prouver qu’on est vivant posent la question des conséquences psychotraumatiques. Quand cela ressurgit, cela fait tellement mal que la drogue, le sexe, la violence aident à mettre le couvercle dessus. Sans la danse, j’aurais été beaucoup plus détruite. Je sais que je serai addictive toute ma vie ; aujourd’hui, c’est la création : je ne peux pas passer une journée sans écrire.
(*) Les chatouilles, coréalisé avec Eric Métayer, avec Andréa Bescond, Karin Viard, Clovis Cornillac
Cet article est initialement paru dans le n°796 de Marie Claire n°796, daté de décembre 2018
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