Amitiés déçues : Le confinement m’a permis de faire le tri dans mes amis

“Pour moi, c’est le couple le plus gentil et généreux que je connaisse, ou du moins c’est ce que je croyais…. Avec le coronavirus, je les ai trouvé d’un égoïsme sans nom !” Eux, ce sont les amis de Béatrice*, parisienne de 35 ans qui, comme beaucoup, a découvert une facette insoupçonnée de ses proches pendant le confinement imposé par l’épidémie de Covid-19. “Ils ont quitté leur 100m2 en plein centre-ville pour se confiner dans leur maison de campagne. Jusque là, je ne juge pas, je peux comprendre. Ce qui m’a rendue folle, c’est qu’ils passaient leur temps à critiquer le comportement des parisiens dépeint par les médias alors qu’eux-même n’étaient pas irréprochables”, explique-t-elle. “Tous deux instituteurs, ils ont aussi refusé de se porter volontaires pour garder les enfants de soignants, comme le gouvernement a appelé à le faire. Ils m’ont rétorqué qu’ils n’étaient pas des babysitters… Je pense surtout qu’ils voulaient profiter de leur grand jardin et pouvoir continuer à faire des balades à vélo tous les jours.”

Des amis particulièrement décevants

Une décision revendiquée qui résonne comme un choc pour Béatrice*, qui a fortiori fait partie de ces citadins qui se sont soumis à un respect strict des règles du confinement. Et elle n’est pas la seule à tomber des nues face à l’attitude de ces amis de toujours. C’est également le cas de Maud, Belge de 32 ans expatriée (et toujours confinée) à Londres, dont certains amis se sont révélés particulièrement décevants.

Les réactions émotionnelles ne peuvent donc pas être interprétées indépendamment du contexte dans lesquelles elles s’inscrivent

“Entre celui qui continue de faire des soirées entre potes en pleine épidémie et celui qui se fait rapatrier à Bruxelles par sa maman au bout de trois semaines comme s’il avait 5 ans, ça ne passe pas du tout ! Je savais qu’ils étaient un peu égoïstes mais là je suis littéralement abasourdie.”

Des comportements d’autant plus difficiles à accepter que Maud fait aussi partie de ceux et celles qui ont perdu un être cher pendant cet épineux confinement. “En plus de tout ça, ma grand mère est décédée et je n’ai pas pu rentrer en Belgique pour assister aux funérailles. Ces amis en question étaient au courant, on passe tout notre temps libre ensemble habituellement, et pourtant, là, aucun d’eux n’a pris particulièrement de nouvelles. Même pas un texto. Silence radio”, déplore la jeune femme.

Peur(s) confinées et déceptions exacerbées

Si l’on peut aisément comprendre la peine endurée face au manque d’empathie de notre entourage lorsque l’on traverse un deuil particulièrement éprouvant, la déception ressentie suite à des actes qui, dans le fond, n’ont que peu de conséquences directes sur notre train-train confiné, peut nous laisser quant à elle songeurs. Qu’ils se ruent dans leur résidence secondaire, se découvrent une passion subite pour le running ou fassent un stock de papier hygiénique triple épaisseur dans leur 20m2 carré, pourquoi certains comportements de nos amis nous ont tant agacés pendant le confinement ?

“On le sait, l’adversité ruine souvent nombre de relations que l’on croyait amicales”, souligne Michel Fize, sociologue français dans une interview donnée au site Atlantico. Selon cet ancien chercheur au CNRS, le phénomène social “hors-normes” du confinement a généré une peur notable chez les Français qui “tentent alors de se protéger du mieux possible, en enrageant par exemple contre celles et ceux, fussent-il des amis, qui ne respectent pas les gestes barrières”, chacun ayant déjà le sentiment de risquer sa peau à chaque instant.

Un sentiment de peur omniprésent en somme, qui viendrait biaiser nos réactions émotionnelles, comme nous le confirme Boris Charpentier, psychologue et coach basé à Paris. “De manière générale, l’état psychologique d’une majorité d’individus a été très impactée pendant la période de confinement. Or, les réactions émotionnelles ne peuvent donc pas être interprétées indépendamment du contexte dans lesquelles elles s’inscrivent”, rappelle le spécialiste. Il souligne également que cette altération prolongée de nos modes de vie habituels a pu générer des sentiments intenses et durables de colère, de frustration et d’anxiété.

“Cela peut impacter notre manière de réagir et d’interpréter certains comportements, notamment vis à vis des personnes qui semblent avoir compromis la sécurité sanitaires des autres.” poursuit-il. De plus, selon la théorie lacanienne, les relations amicales reposeraient sur un effet de miroir : l’ami serait un double idéal, un alter ego dans lequel on reconnaîtrait sa propre image ou du moins, la plus belle image de soi.

Alors forcément, quand ce dernier vient à se comporter de manière socialement répréhensible et entacher le portrait idyllique que l’on s’était mentalement dessiné, on peut avoir le sentiment inconscient de perdre une partie de nous même. « Nous avons tendance à idéaliser nos amitiés et à en attendre beaucoup », ajoute Emma Levillair, psychologue clinicienne, dans un article de LCI. « Il faut alors prendre du recul et se poser les bonnes questions : « Est-ce que mon attente n’est pas supérieure à ce qu’une amitié devrait être ? Est-ce que mes exigences sont réellement justifiées ? », conseille-t-elle. 

D’amitiés artificielles à une solitude réelle

Ces interrogations, Jordan*, 30 ans, se les ait longuement posées alors qu’il était confiné seul dans son studio parisien pendant près de deux mois. “Je pensais que certains allaient prendre des nouvelles. J’aurai aimé que certaines personnes m’écrivent simplement “Tout va bien ? ” mais elles ne l’ont pas fait. Et en même temps, habituellement, je n’en reçois pas plus que ça de leur part. Je ne suis pas allé en prendre non plus. Est-ce que ce n’est pas mon égo qui était simplement déçu ?”, nous raconte-t-il.

“Aujourd’hui, j’ai fait le deuil de tout ça, en me disant que finalement, tout le monde a vécu cette période comme il le pouvait, mais je me suis tout de même rendu compte que ça a révélé la nature artificielle de certaines “amitiés” », conclut-il. Un peu comme si la distanciation sociale s’était soldée, pour lui comme pour de nombreux français, par une distanciation amicale.

“L’éloignement et la séparation imposés par rapport à la famille et aux amis, la perte de liberté sont autant de facteurs qui ont généré un sentiment de grande solitude chez certains et plus spécifiquement chez les personnes qui vivent seules. Beaucoup se sont sentis d’autant plus isolés et parfois déçus. Leur sentiment est naturel parce que ce contexte les a placé dans une grande vulnérabilité psychologique”, analyse Boris Charpentier.

 Je leur parlerai de tout ça un jour, parce que je ne veux pas rester sur cette déception

Un phénomène d’autant plus violent qu’il est exacerbé par l’usage excessif des réseaux sociaux en période de confinement. “C’est une période au cours de laquelle l’ennui s’est fait fortement ressentir. Entre le matraquage médiatique et les réseaux sociaux il est évident que nos perceptions sont altérées. L’écart s’en est révélé d’autant plus important, entre notre vie pleine de frustrations et celle de ceux qui exposent certains instants de leur vie sur les réseaux. C’est un phénomène qui biaise notre perception de la réalité et de notre propre vie en nous amenant à nous comparer sans cesse à des images qui sont sublimées”, rappelle le psychologue.

Son conseil pour surmonter ces déceptions amicales ? “Exprimer clairement ce que l’on ressent auprès de ses proches afin de se sentir compris et soutenu davantage”, explique-t-il. Une solution envisagée par chacun de nos interviewés, qui soulignent tous leur refus de renoncer à ces amitiés endommagées.

“Je leur parlerai de tout ça un jour, parce que je ne veux pas rester sur cette déception”, conclut Béatrice. “Mais pas tout de suite. Là, maintenant, je ne suis pas prête.”

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*Tous les prénoms ont été changés

Merci à Boris Charpentier, psychologue et coach, basé à Paris

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