Affaire Daval : "La plus grande inconnue de cette affaire, c’est Jonathann Daval"
Le samedi 28 octobre 2017, Alexia Daval, 29 ans, employée de banque, ne rentre pas de son jogging habituel aux alentours de Gray-la-Ville, en Haute-Saône. Son corps sera retrouvé le 30 octobre, partiellement brûlé, dans un bois voisin, sous des branchages. On pense alors qu’un pervers rôde. Un climat de psychose s’empare de cette ville de 6000 habitants sans histoires, où le drame frappe une famille connue et appréciée, les parents d’Alexia, Jean-Pierre et Isabelle Fouillot, tenant le bar-tabac local.
Pendant trois mois, à la tête de la marche blanche ou dans les médias, son mari, Jonathann Daval, est un homme fracassé par le chagrin, suscitant la compassion du public qui se passionne pour ce fait-divers, et l’affection de ses beaux-parents qui l’ont toujours considéré comme leur propre fils.
Pendant trois mois, il s’enfonce dans le mensonge, jusqu’aux aveux, où il reconnait avoir frappé puis étranglé Alexia.
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L’affaire Daval, une « fresque sociale »
Aude Bariéty, qui après le Figaro Etudiants, vient d’intégrer le Web Actu du Figaro, commence alors à enquêter et comprend très vite que cette affaire va prendre plus d’ampleur que les autres.
Parce qu’elle relève de la fresque sociale dans une petite ville de province qui parle à tous, avec une jeune femme attachante, victime de la violence conjugale et d’un homme dont on ne parvient pas à cerner la personnalité.
La journaliste, qui a gagné la confiance de la famille Fouillot, publie L’affaire Daval* (Ed. du Rocher), une enquête fouillée et poignante. Elle sera au procès qui se tiendra à Vesoul du 16 au 20 novembre prochain. Jonathann Daval encourt la perpétuité pour meurtre sur conjoint. Entretien.
Marie Claire : Pourquoi avez-vous décidé de consacrer un livre à cette affaire, qu’a-t-elle de plus que les autres pour vous?
Aude Bariéty : Il est difficile de comprendre pourquoi un fait-divers prend plus d’ampleur que d’autres, tous sont des drames. Mais très vite, on a vu que cette affaire passionnait les Français. Il y a plusieurs hypothèses à cette médiatisation. D’abord on a cru un temps qu’Alexia avait été tuée pendant son jogging, ce qui a ému. Il y avait eu des précédents, et beaucoup ont imaginé leur mère, leur sœur, leur amie menacée. Et localement on a pensé qu’un pervers rôdait en Haute-Saône, ce qui a participé à un climat de psychose. Ensuite cela tient aux personnalités impliquées. On le verra lors du procès, tous les protagonistes sont vraiment particuliers, que ce soit les avocats, les membres de la famille, ou Jonathann Laval lui-même.
Quelqu’un dans votre livre parle de « fresque sociale », laquelle se passe en outre dans une petite ville typiquement française…
Oui, sans vouloir tomber dans les clichés, c’est vrai que Jonathann et Alexia viennent de deux milieux différents. Celui de Jonathann est plus simple, les parents d’Alexia, Jean-Pierre et Isabelle Fouillot, se sont élevés socialement. Après une carrière d’ouvrier et de caissière, ils ont acheté un bar-tabac à Gray-la-Ville jusqu’à devenir des notables du coin même si cette étiquette les dérange. Et effectivement, n’importe quelle lectrice est déjà allée dans une ville de 6000 habitants, une ville française assez ancienne, avec du charme, où, comme souvent dans les faits-divers, les gens s’étonnent qu’un tel drame puisse arriver chez eux, à un copain d’école, à la fille de son collègue, à son voisin.
Au cœur de cette affaire, il y a surtout le mensonge. Comme pour Patrick Henry** ou plus récemment, Gilles Patron, père d’accueil de Laetitia Perrais qui hurle à la peine de mort pour les agresseurs sexuels et qui sera condamné pour viols…
Patrick Henry** est l’exemple qu’a cité Maitre Portejoie, l’avocat des parents d’Alexia. C’est ce qui explique que la France se soit passionnée pour cette affaire. En raison des mensonges de Jonathann Laval, il y a eu de multiples rebondissements : il a d’abord été le mari éploré, puis il a avoué en garde à vue avant de revenir sur sa version en accusant sa belle-famille, pour avouer de nouveau et finir par révéler avoir brûlé le corps d’Alexia.
Lors de la marche blanche, il a déclaré : « Elle était mon oxygène ». Une phrase reprise en boucle qui a choqué quand on a appris qu’il avait avoué avoir étranglé Alexia. La mère d’Alexia s’interroge : « L’a-t-il fait exprès pour nous faire plus de mal ? Voulait-il jouer avec ça devant les médias ?’ ». On ignore qui est vraiment Jonathann Daval…
La plus grande inconnue de cette affaire, c’est en effet Jonathann Daval. Il ne s’est exprimé qu’une seule fois lors de la marche blanche notamment pour dire cette fameuse phrase « Elle était mon oxygène », seuls ses avocats ont pris parole ensuite. Sur le moment, on a trouvé son discours émouvant. Ses déclarations tournaient beaucoup autour du sport, or on saura plus tard qu’Alexia n’est pas du tout morte pendant son jogging.
De vraies questions se posent sur la personnalité de Jonathann Daval, et sur les raisons de son passage à l’acte.
Autre exemple frappant, qui a dû être terrible pour les parents d’Alexia, c’est quand à son enterrement, dans son discours, son père a souhaité à tout le monde un gendre comme Jonathann. Il ne pouvait évidemment pas savoir qu’il allait avouer plus tard. Le procès sera intéressant car même s’il n’y a pas beaucoup de suspense sur sa culpabilité, il la reconnaît lui-même, de vraies questions se posent sur sa personnalité et sur les raisons de son passage à l’acte. Il reste beaucoup de mystères. C’est captivant et j’espère que le procès sera à la hauteur de ces trois ans d’enquête. L’enjeu est que Jonathann Daval s’exprime car, comme vous le savez, il a tout à fait le droit de garder le silence. Il faut que l’on sache ce qui s’est passé en octobre 2017 à Gray-la-ville.
La personnalité de Jonathann Daval
L’expert psychiatre conclut quand même que c’est un homme dangereux…
Oui, on a l’image de quelqu’un de discret, d’effacé, de banal. Or, l’expert dit que finalement, « ce serait peut-être pas un dominé mais plutôt un dominant. » Les parents d’Alexia et ses proches tiennent d’ailleurs à rappeler que c’était un marathonien. Ils m’ont montré une photo où on voit qu’il est très musclé, très baraqué. Un marathonien, c’est quelqu’un de fort, d’endurant sur le plan physique, mais aussi psychologique.
Quand l’avocat de Jonathann Laval, reprenant les mots de ce dernier, déclare : « Alexia avait une personnalité écrasante », Marlène Schiappa, alors secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité femmes-hommes et l’ex-ministre Laurence Rossignol, dénoncent le « victim blaming », le fait de rejeter la faute d’un crime sur la victime. C’est d’autant plus choquant que c’est une affaire de meurtre sur conjoint…
Bien sûr, il y a une dimension particulière. Je fais attention au terme de « féminicide », car Jonathann Daval n’a pas encore été reconnu coupable, je tiens à ce que la présomption d’innocence soit respectée. Mais on ne peut pas nier que cette affaire s’inscrit dans un contexte de violences faites aux femmes.
Les interventions de l’ex-secrétaire d’État et de l’ex-ministre, qui ont déclenché un débat juridico-juridique – « l’exécutif peut-il intervenir dans un dossier judiciaire ? » – ont surtout montré l’importance de cette affaire dans le paysage français. Et si cette intervention de Marlène Schiappa a été vivement contestée par les avocats de la défense, la famille d’Alexia, elle, l’a beaucoup appréciée. Très blessés par cette réflexion sur Alexia, ils se sont sentis soutenus.
On ne peut pas nier que cette affaire s’inscrit dans un contexte de violences faites aux femmes.
Jonathann Daval, proche de ses beaux-parents pendant dix ans
C’est en présence de la mère d’Alexia que Jonathann Daval va finalement avouer…
Oui, il finit par faire ses aveux, et tombe à genoux devant sa belle-mère. Elle le prend alors dans ses bras car c’est pour elle une façon de le remercier d’avoir dit la vérité. Elle aura cette phrase terrible : « On l’a aimé, c’est dur de désaimer quelqu’un ». Je n’étais évidemment pas dans le bureau du juge d’instruction mais tous ceux qui m’ont raconté cette scène disent qu’elle était d’une intensité et d’une émotion exceptionnelles. Même de vieux routards de la justice, comme Maître Portejoie, déclarent n’avoir jamais vécu un moment pareil.
Il faut imaginer une mère qui prend dans ses bras celui qui avoue avoir tué sa fille. C’est bouleversant d’émotion. D’ailleurs, on sent bien que la maman d’Alexia a une très forte influence sur Jonathann Daval. Je pense qu’elle sera aussi une des clés du procès. Est-ce qu’il se livrera plus quand elle sera là ?
Les parents d’Alexia ont perdu deux personnes qu’ils aimaient, leur fille et ce gendre qui était comme un fils pour eux…
C’est très fort mais très juste de dire que c’est difficile de désaimer quelqu’un. Pendant dix ans, ils ont vraiment aimé Jonathann Daval comme un fils. Lui appelait parfois Isabelle Fouillot « maman ». Le jeune couple a vécu chez les parents d’Alexia avant d’emménager pas loin, ils se voyaient tout le temps. C’est donc un double choc : la mort de leur fille puis la trahison de leur gendre.
Pendant dix ans, ils ont vraiment aimé Jonathann Daval comme un fils.
Vous déplorez aussi le voyeurisme de ces curieux qui osaient venir dans le bar-tabac des parents d’Alexia, en disant « Je viens de loin, va falloir me raconter un peu… ».
Oui, c’est affreux. Je pense qu’un des enjeux de notre métier est de délivrer aux lecteurs l’information la plus juste possible. Il faut donc être en contact avec les protagonistes mais en essayant de le faire avec respect, et c’est pas facile. Les familles parfois ne souhaitent pas parler, ou alors prennent plus de temps.
J’ai eu la chance que la famille d’Alexia me fasse confiance. Je comprends que c’est difficile pour eux, à chaque fois qu’ils s’expriment, ils revivent l’affaire. J’ai passé une journée entière chez eux et avec eux. Mon idéal n’est pas de fouiller dans les poubelles ni de m’incruster dans leur intimité, je voulais, tout en respectant la présomption d’innocence, rendre hommage à Alexia.
C’est ce qui porte la mère d’Alexia qui confie : « Tant qu’on parle de ma fille, elle n’est pas morte »…
Si on parle de médiatisation à l’extrême, les parents d’Alexia sont assez partagés. Ils auraient préféré qu’on les laisse tranquilles mais ils admettent que les médias les ont aidés, « Ils étaient déjà là pendant la battue, ils ont fait parler de nous. C’est aussi grâce à eux que de gros moyens ont été déployés ». Ce que dit la maman d’Alexia, « tant qu’on parle d’Alexia, elle n’est pas morte », est émouvant.
Dans d’autres faits-divers, des proches de victimes m’ont confié que ce qui est très dur, ce n’est finalement pas la médiatisation pendant l’instruction et le procès, mais quand tous les médias se tournent vers une autre affaire. Tout d’un coup, ils se sentent oubliés. Et si certains préfèrent retourner à leur anonymat, d’autres le regrettent : « C’est très dur parce que nous, on a envie et on a besoin de continuer à faire vivre notre enfant, notre soeur, notre mère, notre père en continuant à en parler. »
** En 1976 à Troyes (Aube), Patrick Henry enlève et tue Philippe Bertrand, 7 ans. Soupçonné, il déclare à la télévision « le vrai criminal mérite la peine de mort ».
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